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Courriels et courriers : novembre 2007

Publié en ligne le 13 décembre 2007 - Psychologie -
SPS n° 279 - novembre 2007

Médecine occidentale et médecine chinoise

C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu l’édition d’août de votre revue, « peut-on tout faire dire aux nombres ? ». J’ai fait la connaissance de votre revue par hasard en flânant dans une libraire non spécialisée à La Baule. Votre décision récente de diffuser davantage auprès du public profane mérite succès. Chaque article, bien documenté et commenté de façon rationnelle, réfute avec rigueur les pseudo-sciences et attire judicieusement l’attention sur les risques de charlatanisme.

Mais je ne partage pas certaines affirmations publiées dans la rubrique « lecteurs et internautes » concernant la médecine chinoise et l’acupuncture. Qui plus est, leur parution dans le même numéro pourrait induire le lecteur en erreur, lui laissant croire que c’est après avoir acquis leur conviction par une étude approfondie de la matière que les auteurs les rejettent. Je reprends donc certains thèmes et vous fais part de mes réflexions.

L’acupuncture, et la médecine chinoise en général ne peuvent être rejetées d’un revers de main ; elles mériteraient un examen approfondi permettant de documenter un rejet total ou partiel des sciences. À propos, la médecine occidentale est une science ou un art ? […]. Dans quelle mesure la médecine occidentale est-elle basée sur la médecine factuelle (EBM, Evidence based Medicine), autrement dit sur des essais cliniques randomisés ?

De tels essais retiennent, comme critères d’efficacité d’un traitement, l’évolution de paramètres précis, biochimiques, hématologiques, endoscopiques ou d’autres encore : quelle est la compétence de tels essais pour évaluer des notions plus subtiles ou plus complexes impliquées dans la santé d’un être humain ? […]

Pratiquer la médecine occidentale sans appliquer en toute circonstance sa propre vision holistique est sans doute une erreur, mais cela semble possible puisque c’est si répandu. Les praticiens de médecine chinoise, eux, ne peuvent en aucun cas s’abstenir de la vision holistique qu’elle propose pour la pratiquer. […]

Le doute méthodique cartésien a judicieusement réactivé les précautions recommandées 20 siècles auparavant par les sceptiques grecs ; la science ne pourrait-elle pas adopter dans ce cas la suspension de jugement (épochè) de Pyrrhon d’Elis ?

Michel Vouilloz (Suisse)

Merci pour vos encouragements quant au succès de la diffusion de notre revue. Que ce soit l’acupuncture, la médecine chinoise, l’homéopathie ou n’importe quelle autre pratique à vocation thérapeutique, c’est à un examen au cas par cas auquel il faudrait procéder pour porter un jugement précis. Toutefois les médecines dites alternatives ou parallèles sont quasiment toutes caractérisées par un corps « théorique » ou doctrinaire qui relève plus de la métaphysique que de faits tangibles ou testables : la médecine chinoise évoque un équilibre d’énergies internes (le Qi ou le Tchi), l’acupuncture élabore son raisonnement diagnostique et thérapeutique sur une vision énergétique taoïste de l’Homme et de l’univers, la biologie totale caractérise toute maladie comme un « programme biologique spécial bien-fondé débutant par un syndrome de Dirk-Hamer », etc. La médecine (médecine officielle diront certains) ne peut faire sienne ces concepts métaphysiques, le Yin et le Yang, les énergies vitales, les « syndromes de Dirk-Hamer » ou les succussions hahnemanniennes. La médecine moderne, et que nous affirmons universelle (l’être humain est le même, qu’il soit chinois, américain, irakien ou français, la physiologie est la même), s’est justement construite en s’émancipant de tout préjugé idéologique et de toute supposition métaphysique.

Par contre, dans l’ensemble des pratiques, des remèdes ou des médicaments mis en œuvre par les médecines dites parallèles, il peut en exister certains aux effets thérapeutiques objectifs. Mais alors, on n’examine plus l’homéopathie en général, l’acupuncture en général, la médecine chinoise en général, mais telle ou telle action ou préparation précise. Méthodes statistiques, tests en double aveugle, les procédures sont maintenant codifiées pour vérifier s’il existe quelque chose de réellement spécifique dans un traitement ou un produit considéré. Que reste-t-il à la fin : de l’homéopathie, rien de spécifique, aucune préparation n’a montré une efficacité supérieure à un placebo. Si l’action d’aiguilles sur le corps humain peut induire la création d’endorphines, ceci n’a plus aucun rapport avec les méridiens de l’acupuncture, jamais mis en évidence par ailleurs.

Certains médicaments de la pharmacopée universelle remontent à bien longtemps (que l’on pense à l’aspirine, dont le principe actif était extrait de l’écorce de saule). On ne peut donc pas écarter l’hypothèse que l’on découvre encore des principes actifs nouveaux par examen des « médecines traditionnelles » qui subsistent. Toutefois, en ce début du 21e siècle, la principale source de production de médicaments nouveaux réside dans la connaissance des principes de physiologie et de biochimie.

Vous vous interrogez ensuite pour savoir si la médecine occidentale est une science ou un art et dans quelle mesure la médecine occidentale est fondée sur la médecine factuelle. Tout d’abord, pour nous, il n’y a pas une médecine « occidentale » que l’on opposerait à une « médecine orientale ». L’essentiel de ce qui est pratiqué dans les hôpitaux de Chine, du Canada ou de France relève des mêmes principes, des mêmes protocoles, des mêmes médicaments. Et donc, science ou art ? Il y a incontestablement une part empirique dans la pratique clinique. Mais cette part n’est pas complètement aléatoire ou subjective. Elle repose sur un corps de connaissances qui est objectivable, factuel (la physiologie, la connaissance des maladies, de l’action des molécules chimiques, etc.). Enfin, la médecine moderne n’implique pas par nature la déshumanisation du rapport entre le médecin et le malade. L’empathie, la bienveillance, et l’écoute sont des éléments importants, en particulier pour certaines pathologies. Nul besoin pour cela d’une des visions spiritualistes d’une médecine holistique, mais probablement une formation plus importante des médecins dans le domaine de la psychologie.

J.-P.K

Êtes-vous contre l’écologie ?

J’apprécie depuis longtemps votre combat contre les pseudo-sciences et les pseudo-médecines. Cependant, j’ai de plus en plus l’impression que vous prenez un tournant anti-écolo et pro-agrobusiness sans grand rapport avec la défense de la rationalité et du bien commun. […] Certes, il existe dans le mouvement écologiste une part de vrais barjos anti-scientifiques, et il est intéressant de les réfuter. Mais ils me semblent assez inoffensifs. En revanche, la dégradation des écosystèmes liée aux pratiques industrielles et aux habitudes de consommation modernes est bien réelle, et c’est quand même au combat des écologistes qu’on doit le peu de précautions qu’on commence à prendre.

On n’arrive guère à faire croire à une « menace écologiste » qu’en évoquant les soi-disant remèdes miracles OGM dont l’opposition écolo nous priverait. En cela il me semble que vous êtes parfaitement alignés sur la com’des grandes firmes de biotechnologies – hautement philanthropiques, comme chacun sait. Croyez-vous vraiment que des firmes qui s’accommodent parfaitement de famines et d’épidémies contre lesquelles les moyens existent déjà mais sont refusés pour des raisons d’intérêt économique vont changer radicalement grâce aux OGM, œuvrant soudain pour le bien de tous ? Il me semble que l’affaire des médicaments à l’usage des malades du sida est particulièrement éclairante : les grandes entreprises n’attendent pas avec impatience que les écolos obscurantistes les laissent sauver des Africains. Elles les laissent mourir quand ils n’ont pas de quoi payer le prix fort, et les utilise quand cela les arrange pour des raisons d’image et de stratégie.

Vous ne parlez jamais du principal danger des OGM, à savoir l’appropriation d’espèces vivantes par des firmes protégées par le droit de la propriété intellectuelle et ne travaillant que pour leur propre profit. Le meilleur argument de la critique des OGM est celui du retour à une forme de féodalisme, avec Monsanto et consorts dans le rôle des nouveaux seigneurs. Il me semble que vous n’en tenez pas compte. C’est évidemment une question plus politique que scientifique, mais on ne peut pas défendre les OGM au nom de la science et faire l’impasse sur les problèmes économiques et politiques. […]

François Tharaud

La dénonciation « des firmes qui s’accommodent parfaitement de famines et d’épidémies contre lesquelles les moyens existent déjà mais sont refusés pour des raisons d’intérêt économique » est un point de vue sur lequel l’AFIS, en tant qu’association ne se prononce pas. Qu’elle conduise à douter de la philanthropie de ces entreprises est logique, tout comme la conclusion consistant à ne pas prendre pour argent comptant leurs déclarations sur les bienfaits des OGM pour la faim dans le monde. Mais on ne peut pas pousser le raisonnement plus loin en affirmant que les OGM ne peuvent en rien constituer un jour une réponse partielle aux problèmes alimentaires, ni que les OGM, en tant que tels, sont le vecteur des intérêts de ces entreprises. L’analogie que vous faites avec les médicaments sur le Sida peut éclairer mon propos. Pour des raisons économiques, certains trusts pharmaceutiques refusent de céder des licences de leurs médicaments pour des pays qui n’ont pas les moyens de les payer au prix fort. Ils obéissent à la logique économique qui est la leur (et que l’on peut condamner). Mais pour autant, iriez-vous alors qualifier les traitements antiviraux en question de dangereux ?

Bref, condamner une société fondée sur le profit, sur la recherche unique du profit au mépris des besoins de l’humanité, peut sans doute puiser à d’autres sources d’arguments qu’à des contrevérités scientifiques, où à une vision manichéenne des rapports économiques. Mais encore une fois, il s’agit là de la libre opinion de nos lecteurs et adhérents : l’AFIS se contente d’illustrer la dimension scientifique, technologique et parfois sociale et économique du problème.

J.-P. K.