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Créationnisme et complotisme, tous deux liés à la pensée téléologique

Publié en ligne le 12 mai 2019 - Créationnisme -

On entend souvent dire que « rien n’arrive par hasard », ou bien que « c’était écrit ». C’est l’idée d’un destin qui guiderait le quotidien de chacun. D’une autre façon, on pourrait affirmer que le Soleil se lève pour que les animaux voient clair lorsqu’il fait jour. Ou encore que la pluie tombe pour permettre aux plantes de pousser. Il s’agit d’une forme de « finalisme » : un événement survient pour en permettre un autre qui arrive plus tard.

Les humains ont naturellement tendance à justifier les phénomènes observés par des causes postérieures. C’est ce que les chercheurs en sciences cognitives appellent la « pensée téléologique ».

Il s’agit d’une erreur de raisonnement – les chercheurs disent un « biais cognitif » – car, par définition, une cause ne peut être postérieure à un phénomène, elle ne peut que le précéder ! Voltaire raillait déjà cette erreur de raisonnement dans Candide, quand il fait dire à son personnage Pangloss, philosophe et professeur de métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie :  « Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. » [1]

La pensée téléologique est évidemment partie prenante du créationnisme, cette croyance que la Terre et les êtres vivants ont été créés par une entité surnaturelle pour accueillir l’humain, son ultime création 1.

Le complotisme consiste, quant à lui, à expliquer des événements passés ou présents par l’action secrète de groupes d’individus puissants ou d’institutions (États en particulier), en dépit des faits observés ou de la plausibilité des hypothèses invoquées. Pendant un temps assez confidentiel – par exemple, dès le début des années 1970, sans que cela ne soit alors très répandu, la réalité des premiers pas humains sur la Lune était contestée –, le phénomène s’est développé avec Internet, à partir des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis 2, en proposant de multiples « explications alternatives » à la « version officielle » ; il perdure encore aujourd’hui pour chaque événement remarquable (attentat, catastrophe industrielle...).

Les études réalisées

Des chercheurs suisses et français 3 ont supposé que la pensée téléologique pouvait être une caractéristique des adeptes de théories du complot [2]. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont, dans un premier temps, interrogé 157 étudiants en Suisse, à l’aide d’un questionnaire incluant des affirmations téléologiques et complotistes, et mesuré ainsi la pensée analytique, les croyances magiques et ésotériques et la sensibilité au hasard de l’échantillon estudiantin. L’analyse des données a montré que la pensée téléologique était liée, de façon modérée mais significative, à la propension à croire aux théories du complot. Dans un deuxième temps, l’interrogation d’un échantillon représentatif de la population française (1 252 personnes) a permis de trouver une forte corrélation entre les croyances conspirationnistes et créationnistes. Enfin, ces liens entre pensée téléologique, créationnisme et complotisme ont été confirmés par un troisième questionnaire plus détaillé (733 personnes sur les réseaux sociaux), qui a aussi permis de vérifier l’indépendance visà-vis d’autres variables comme la religion, l’âge, l’orientation politique, la pensée analytique et le niveau d’éducation.

Des perspectives

Ces études, sur un total de plus de 2 000 personnes interrogées, identifient nettement que la pensée téléologique est liée au conspirationnisme aussi bien qu’au créationnisme. Le parallèle entre les deux, pas évident au premier abord, peut se comprendre ainsi : les auteurs expliquent que le créationnisme peut être vu comme une théorie du complot ultime, qui donne du sens à l’existence de toute chose. De même, le conspirationnisme est bien lui aussi un type de croyance créationniste ciblant les événements historiques (ceux-ci ont été organisés par des entités secrètes).

La pensée téléologique est un biais cognitif présent notamment chez les enfants, et ne peut être combattue qu’avec difficultés par l’éducation. Ces résultats pourront donc servir l’enseignement des sciences ou le développement de l’esprit critique. À l’heure où la défiance envers l’expertise scientifique et les décisions politiques est fortement prégnante, il est toujours nécessaire de mieux comprendre les caractéristiques de ces croyances alternatives afin de les combattre.

Références

 1 | Voltaire, Candide, 1759, chapitre 1.

 2 | Wagner-Egger P, Delouvée S, Gauvrit N, Dieguez S, “Creationism and conspiracism share a common teleological bias”, Current Biology, 2018, 28 :R867-R868. Sur sciencedirect.com

1 Rappelons que cette croyance est en contradiction avec la théorie de l’évolution des êtres vivants. On pourra trouver des articles sur ce sujet sur afis.org

2 Pour approfondir le sujet, voir « Dix ans après les attentats du 11 septembre. La rumeur confrontée à la science », hors-série SPS, juin 2011. Sur afis.org

3 L’un des auteurs, Nicolas Gauvrit, enseignant-chercheur en psychologie à l’École pratique des hautes études (Paris), est membre du comité de parrainage de l’Afis et de la revue SPS.

Publié dans le n° 326 de la revue


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L' auteur

Kévin Moris

Kévin Moris est ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan et diplômé de l’École nationale supérieure de (...)

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Que la pâte soit avec vous !

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