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Énergies

Publié en ligne le 20 août 2022
Énergies
Maxence Cordiez
Tana éditions, coll. Fake or not, 2022, 120 pages, 13,90 €

La collection « Fake or not » vise, selon l’éditeur, à « [déconstruire] les idées reçues en s’appuyant sur l’analyse d’un scientifique » dans divers sujets de société. L’espoir, ici, est qu’« une fois qu’on sera débarrassés des fakes, on pourra commencer à débattre sérieusement à propos de notre avenir commun ».

La forme adoptée, qui obéit au cahier des charges de la collection, est sans doute un peu déroutante : pas de long texte mais un ensemble d’encarts traitant des différentes questions que peut se poser le lecteur et contenant des informations qualitatives aussi bien que quantitatives. Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie, a écrit ici un ouvrage lumineux. Composé de neuf parties, il met l’accent sur la sobriété nécessaire pour répondre aux défis énergétiques.

Après un bref résumé, le livre commence par une description de la consommation des diverses formes d’énergie sur vingt-quatre heures dans le monde. Une discussion sur le rôle de l’énergie dans le développement des sociétés humaines est alors présentée.

Ensuite, sont abordés les problèmes posés par nos besoins en énergie, aujourd’hui couverts à 80 % par les carburants fossiles.

La partie suivante expose deux des problèmes que cela induit : le réchauffement climatique et l’épuisement de ressources qui ont mis parfois plusieurs centaines de millions d’années à s’accumuler.

Est alors décrite en détail la « fée électricité » 1 qui permettrait une transition vers une société « bas carbone » pourvu qu’elle ne soit pas, comme aujourd’hui à l’échelle mondiale, produite à 63 % avec des ressources fossiles.

Vient ensuite une description de la « transition » comme un remplacement des énergies fossiles par l’électricité décarbonée. Pour cela, on peut faire appel aux énergies renouvelables (EnR) comme l’éolien, le solaire et l’hydraulique, ou à l’énergie nucléaire. Les deux premières ne sont pas sans problème du fait de leur intermittence et de leur intensité diffuse à la surface de la Terre. Pour le nucléaire, l’auteur explique bien ce que sont les déchets et comment la France les gère. Il rappelle que le pays, grâce au nucléaire, dispose d’une électricité très peu carbonée. Le livre discute de ce que pourrait être le mix de production électrique du futur tel qu’exposé dans les scénarios élaborés par Réseau de transport d’électricité (RTE), le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français. Tout renouvelable ? Nucléaire et renouvelables ? L’auteur rappelle ainsi l’objectif français de réduction de la part d’utilisation d’énergies carbonées dans la production d’énergie tel que prévu dans la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique (Stratégie nationale bas-carbone, ou SNBC).

In fine, on trouve un appel à la sobriété individuelle, forme moderne du « chasse au gaspi » 2 des années 1970, sous la forme d’un questionnaire destiné à faire réfléchir chaque citoyen, suivi de quelques actions qui pourraient être prises à l’échelle individuelles : faire son bilan carbone, réduire sa consommation, etc.

L’auteur déconstruit un certain nombre de légendes intéressées qui participent du « green washing » 3 Par exemple : « Un fournisseur d’électricité qui propose de consommer de l’électricité 100 % renouvelables sans contrainte ni surcoût, ça n’existe pas... »

Cependant il est moins convaincant lorsque, rappelant que « [l’énergie] nous a permis d’accomplir d’immenses progrès », il ajoute : « Les économistes classiques du XIXe siècle pensaient que [la richesse] provenait du travail. » Par cela, il souscrit à la théorie répandue de la survalorisation de l’énergie dans les progrès de l’humanité. Rappelons que ces progrès dépendent de nombreux paramètres et l’auteur lui-même tempère ses affirmations quand il conclut : « Ce n’est pas la rareté ou l’abondance d’une énergie qui fait son prix, mais les efforts à fournir pour l’exploiter. »

Si, bien sûr, on ne peut que souscrire à la diète aujourd’hui promue, on peut se demander si cette promotion de la sobriété ne devrait pas être plus explicitement réservée aux énergies fossiles. En insistant lourdement sur les limites à « l’abondance énergétique », il manque une perspective montrant les possibilités ouvertes par le nucléaire avec, entre autres, la surgénération. En outre, la relation à la biodiversité ne me paraît guère convaincante ici sans une comparaison des impacts des diverses sources d’énergies.

Enfin, l’auteur met en avant la SNBC, en particulier les plans gouvernementaux, tels que décrits par RTE, de combinaison des EnR et du nucléaire. L’accroissement prévu des puissances fournies en EnR devrait bouleverser les paysages de notre pays. Ces deux moyens de production ne sont pas équivalents : un mix essentiellement nucléaire n’a guère besoin des EnR et occupe peu d’espace. L’inverse n’est pas vrai : les EnR ont besoin d’un « backup », et elles sont dévoreuses d’espace. En outre, le nucléaire, fortement capitalistique, voit ses coûts augmenter s’il est en position de suppléer les EnR. Ajoutons que les prévisions d’augmentation des besoins en électricité de RTE (à 600-650 TWh par an) correspondent à des perspectives gouvernementales, mais que l’Académie des technologies 4 les estime plutôt autour de 800 TWh vers 2050, et nos voisins allemands 5 tablent sur un doublement des besoins à l’échéance de 2045.

Ce livre n’a évidemment pas vocation à juger la politique du gouvernement. Il est une remarquable mine d’informations et les modestes références à la fin ne peuvent suffire à couvrir les très nombreux encadrés. Malgré l’aspect un peu décousu de la formule, la rigueur est au rendez-vous dans les informations scientifiques que l’auteur communique : l’ouvrage constitue une source fiable d’informations qui répondent à la curiosité du lecteur. Un bon petit livre qui amène d’intéressants débats…

1 En référence à la peinture monumentale de Raoul Dufy (1877-1953), commandée par la Compagnie parisienne de distribution d’électricité dans le cadre de l’exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne du 25 mai au 25 novembre 1937 se déroulant à Paris. Pour le commanditaire de l’œuvre, l’objectif était de « mettre en valeur le rôle de l’électricité dans la vie nationale et dégager notamment le rôle social de premier plan joué par la lumière électrique ».

2 Campagne lancée en 1979 par le ministère de l’Industrie et l’Agence pour les économies d’énergie afin d’inciter les automobilistes à conduire le plus économiquement possible.

3 Procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation pour se donner une image de responsabilité écologique.

4 Académie des Technologies, « Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050 », Avis, 2021. Sur academie-technologies.fr
https://www.academie-technologies.fr/wp-content/uploads/2021/03/Avis_besoins_energie_2021.pdf

5 Lauer H, « Le tournant énergétique allemand », blog, 2022, figure 14. Sur allemagne-energies.com (consulté le 15 août 2022).
https://allemagne-energies.com/tournant-energetique/#secteurelec