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Les petits réacteurs modulaires

Publié en ligne le 14 août 2022 - Énergie -

Le 12 octobre 2021, le président Macron annonce consacrer un milliard d’euros pour relancer la filière nucléaire française, en mettant l’accent sur les small modular reactors (SMR, petits réacteurs modulaires) et le projet Nuward (pour nuclear forward, le projet français porté par un consortium composé d’EDF, de TechnicAtome, de Naval Group et du CEA [1]).

Un SMR est un réacteur de faible puissance, allant de quelques mégawatts (MW) à plusieurs centaines de MW. À titre de comparaison, le total des puissances installées en France pour la production électrique (nucléaire, gaz, hydraulique, éolien, solaire, etc.) atteint 135 000 MW, et un seul exemplaire des nouveaux réacteurs nucléaires (EPR) permet une puissance de 1 650 MW. Un SMR est compact, d’une conception plus simple que les réacteurs classiques. Ainsi, son niveau de sûreté est, sur le plan théorique, meilleur que celui des réacteurs de la filière classique. Cependant, cet excellent niveau de sureté ne sera démontré de manière absolument certaine qu’avec un déploiement massif. À l’heure actuelle, les conclusions sur la sureté sont appuyées par des études de conception, mais aussi par le processus de validation par les autorités de sûreté, validation qui est loin d’être automatique [2]. Il existe des retours d’expérience sur des réacteurs similaires, mais très peu en comparaison de celui issu des réacteurs du parc français. Ces derniers disposent d’un retour d’expérience d’environ 2 000 années-réacteur.

Mais surtout, un SMR peut être fabriqué en série et assemblé par modules dans des usines spécialisées. Cela permet aux opérateurs de limiter les opérations d’assemblage sur place, voire de procéder à une installation directe. Cela simplifie considérablement les projets de construction. Cet atout n’est pas négligeable dans le contexte français lorsque résonnent encore dans les esprits les retards et les nombreux problèmes rencontrés par l’EPR de Flamanville, toujours en cours de construction.

Éruption du Vésuve, Pierre-Jacques Volaire (1729-1799)

Un concept qui n’est pas nouveau

Pourtant, le concept de petit réacteur modulaire n’est pas nouveau. De nombreux projets américains, principalement à vocation militaire, ont vu le jour dans les années 1960. On peut par exemple citer le réacteur nucléaire de la base militaire américaine de Camp Century au Groenland, d’une puissance totale de 10 MW (dont 2 MW de production d’électricité, le reste étant dévolu à la production de chaleur pour faire fondre de la glace et alimenter la base en eau [3, 4]). Ce réacteur est entré en service en 1960 pour alimenter une installation militaire et scientifique et a fonctionné jusqu’en 1964. Même s’il a été assemblé sur place, un grand nombre d’éléments étaient préfabriqués.

Technologiquement, les SMR sont assez proches des réacteurs des sous-marins à propulsion nucléaire : ils sont petits et flexibles (la puissance du réacteur s’adapte rapidement à la demande), et peuvent être produits en série en fonction des besoins. C’est d’ailleurs pour cette raison que des acteurs de la filière nucléaire de propulsion navale française comme TechnicAtome ou Naval Group sont associés au projet Nuward : le projet de concevoir et réaliser un SMR est assez proche de celui consistant à construire un réacteur de propulsion navale.

Enfin, des projets de petits réacteurs destinés à des usages civils ont déjà vu le jour en France par le passé. Ils sont cependant restés à l’état de projets et aucun n’est arrivé au stade opérationnel, faute de débouchés industriels. On peut citer les chaufferies avancées de série (CAS) développées par TechnicAtome dans les années 1970 [5]. Il s’agissait d’adapter le concept de réacteur de propulsion navale à la production de chaleur. Il y a également eu le projet d’un petit réacteur de 100 MW pour alimenter le réseau de chaleur de la ville de Grenoble (projet Thermos en 1975 [6]).

Le renouveau

La principale raison de l’échec des SMR à cette époque est qu’un réacteur nucléaire demande beaucoup de capitaux lors de sa construction. En outre, un tel projet nécessite l’intégration de nombreux systèmes et ouvrages dont le coût est fixe ou sans lien de proportionnalité avec sa taille. En effet, quelle que soit la taille du cœur, une centrale nécessite une épaisse cuve en acier capable de résister à l’irradiation, des systèmes de régulation chimique du cœur et une enceinte de confinement en béton étanche, capable de résister à une explosion de vapeur. Elle requiert également l’accès à une source d’eau froide (fleuve, mer), son aménagement, une connexion au réseau routier ou ferroviaire pour la logistique, ainsi que des travaux en génie civil pour se prémunir contre les catastrophes naturelles (inondations, séismes…) [7]. Pour ces raisons, un réacteur trop petit ne permet pas d’obtenir un retour sur investissement suffisamment rapidement.

Soleil couchant à Ivry, Armand Guillaumin (1841-1927)

Si le SMR est une idée ancienne, qu’est-ce qui la rendrait plus pertinente aujourd’hui ? Il s’agit du changement de contexte. Des années 1970 aux années 1990, les industries nucléaires occidentales étaient au meilleur de leur santé : elles disposaient d’un tissu d’entreprises solides et de compétences fiables, éprouvés par les nombreux programmes nucléaires qui avaient été lancés jusque-là. L’État leur garantissait également un soutien sans faille. La tendance était à construire des réacteurs de plus en plus gros afin de diminuer les coûts grâce à l’effet d’échelle.

Avec l’accident de Tchernobyl en 1986, la réglementation s’est renforcée et les exigences de sécurité se sont accrues, rendant les projets plus complexes sur le plan technique. La fin des années 1990 a également vu un ralentissement dans le nombre de projets de construction, conduisant à une perte de compétences lorsque les réacteurs de la génération de l’EPR ont vu le jour au cours des années 2000.

Les États sont devenus plus hésitants à soutenir l’industrie nucléaire, principalement pour des raisons politiques. En effet, ils ont dû faire face à une opinion publique moins acquise à cette technologie. En France, on notera par exemple l’arrêt définitif du réacteur Superphénix (prototype de réacteur à neutrons rapides) en 1997, arrêt dont les conséquences sur la recherche relative aux futurs réacteurs nucléaires sont encore palpables aujourd’hui. En 2012, le processus qui mènera à la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2020 est enclenché. En 2019, le projet Astrid d’un réacteur industriel à neutrons rapides est arrêté sur décision gouvernementale [8].

Ainsi, les SMR reviennent en force dans une époque où les industries nucléaires occidentales sont dans une phase difficile. La France n’est d’ailleurs pas la première à s’être engagée sur le chemin des SMR. En Russie, la centrale nucléaire sur barge « Akademik Lomonosov » est en service depuis décembre 2019 [9]. D’une puissance électrique de 70 MW, elle alimente en électricité la ville de Pevek en Sibérie. Aux États-Unis, le concept Nuscale de 50 MW par réacteur a été homologué en 2020 [10]. Un projet de centrale de douze réacteurs est en cours d’élaboration à Idaho Falls avec une mise en service attendue pour 2030 [11].

Caractéristiques techniques et usages

Ce type d’équipement apporte des réponses intéressantes aux difficultés des réacteurs actuels : la petite taille des SMR permet d’être moins dépendant du soutien de l’État et d’être attractif pour des investisseurs privés. Il diminue également les problèmes de sûreté qui se posent sur de grands réacteurs comme l’EPR (voir encadré). Sa modularité permet de simplifier des projets devenus trop complexes pour une industrie qui a manifestement perdu en compétences, comme le montrait le rapport Folz remis en 2019 au ministre de l’Économie et des Finances, ainsi qu’au président directeur général d’EDF [12].

Miniature tirée du Bestiaire dAberdeen (XII e siècle) : le Phénix.

Dans un contexte de prise de conscience croissante des impacts du changement climatique, de tensions géopolitiques majeures sur l’accès et le prix des énergies fossiles, une nouvelle perception de ces enjeux émerge. Le nucléaire en général, et les SMR de façon spécifique, peuvent apparaître comme une contribution intéressante dans le cadre de la transition énergétique. Leur petite taille en fait un outil polyvalent. En plus de leur application pour la production d’électricité, ces réacteurs peuvent viser des utilisations décentralisées, comme la production et la distribution de chaleur, la production décarbonée d’hydrogène ou la désalinisation d’eau de mer [1].

Rappelons cependant que, pour le moment, les SMR n’ont jamais été plus que des concepts sur le papier ou des solutions marginales, ou réservées à des applications militaires.

La sûreté de fonctionnement des SMR


La petite taille des SMR est un atout pour la conception de systèmes de sûreté. Un des dangers majeurs de l’exploitation d’un réacteur nucléaire est la perte de la fonction de refroidissement. Cela peut mener à l’échauffement du cœur jusqu’à sa fusion, et ainsi entraîner des accidents comme ceux de Three Mile Island aux États-Unis en 1979 et de Fukushima au Japon en 2011.

Plus un réacteur est grand, plus la puissance (et donc la chaleur) à évacuer en cas d’accident est importante. Pour un EPR par exemple, il est nécessaire de disposer de systèmes de refroidissement actifs (c’est-à-dire alimentés par une source d’énergie), ce qui complexifie grandement la garantie de sûreté qui suppose de ne jamais perdre l’alimentation électrique. On doit donc ajouter des systèmes additionnels, complexes et chers, comme des générateurs diesel prenant le relais en cas de panne électrique.

Pour un SMR, on peut envisager d’immerger le réacteur et sa cuve dans une piscine. Le refroidissement est donc « passif », c’est-à-dire assuré en toute circonstance par cette grande masse d’eau toujours en contact avec la cuve. Cette eau refroidit suffisamment au contact des parois de la piscine pour garantir un refroidissement sûr du réacteur. Une telle conception, simple et efficace, se retrouve dans de nombreux réacteurs expérimentaux comme l’installation Cabri conçue par le CEA et exploitée par l’IRSN dont le but est de simuler certains types d’accidents dans les centrales nucléaires afin de mieux les comprendre pour mieux les prévenir [1]. Ce type de système de sûreté passive permet des démonstrations de sûreté beaucoup plus simples, et sans recours à de coûteux systèmes annexes.

En termes de déchets, cependant, on ne note pas d’avancée majeure. Un SMR comme celui de Nuscale ou de Nuward produira la même quantité de déchets par kWh qu’un EPR. La petite taille des centrales est d’ailleurs un inconvénient dans la mesure où la multiplicité des sites complexifie la logistique du combustible et des déchets.

Référence
1 | IRSN, « Le réacteur de recherche CABRI ».

Un débat de société

Au-delà de leurs caractéristiques techniques, les SMR soulèvent des débats de société majeurs dont nous pouvons énumérer quelques aspects.

Les SMR sont adaptés à un spectre d’utilisations plus large que les réacteurs classiques (désalinisation, production de chaleur et d’hydrogène…).

Il convient aussi d’étudier les utilisations qui engendrent des impacts négatifs, comme l’extraction de pétrole non conventionnel. Le pétrole ne serait alors plus considéré comme une source d’énergie, mais simplement comme un vecteur énergétique (extrait pour sa seule caractéristique d’être facilement transportable). Et peu importe que son extraction consomme plus d’énergie que celle délivrée par sa consommation. Absurde ? Sur le plan écologique c’est certain. Mais sur le plan économique, le MIT a démontré qu’un tel système pouvait tout à fait être rentable lorsque les prix du pétrole sont élevés [13]. Cette considération est vraie pour tout type de source d’énergie, mais les SMR peuvent grandement améliorer l’équation économique (grande quantité d’énergie disponible de façon flexible, concentrée et très délocalisée).

Le déploiement du nucléaire tel qu’il s’est fait en France, autour de très grosses unités de production et avec un programme national, suppose une implication forte de l’État s’appuyant sur de grands groupes industriels. Dans le champ politique français, les conséquences d’une telle implication ne sont plus acceptées aussi unanimement que par le passé. Les SMR pourraient permettre de s’affranchir partiellement de cette contrainte. Cela rendrait l’énergie nucléaire davantage compatible avec un fonctionnement de société plus décentralisé. C’est en partie à cause de cette faiblesse du nucléaire que cette énergie a été écartée dans la politique énergétique allemande [14]. L’exemple états-unien de la régie électrique de l’État de l’Utah nous montre que les SMR peuvent s’inscrire dans des projets de politiques énergétiques régionales, qui impliquent des acteurs industriels de taille plus modeste.

Les SMR occupent une place encore marginale dans le paysage de la production d’électricité en général et du nucléaire en particulier. Leur déploiement pourrait soulever d’importants enjeux comme le suggère une étude de l’Institut français des relations internationales (Ifri) [15] : « Si leur efficacité venait à être avérée, notamment grâce aux économies d’échelle de la production de masse déjà observées dans d’autres industries lourdes, la décennie 2030-2040 pourrait être celle d’un engouement généralisé pour l’énergie nucléaire, permettant de décarboner efficacement les économies, au côté des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. » Sans être une révolution technologique majeure, il s’agit d’un nouveau paradigme industriel susceptible de porter l’industrie nucléaire dans une nouvelle phase dynamique.

Références


1 | Crampon C, « NUWARD, le futur SMR français », Forum scientifique de la Société française d’énergie nucléaire, 28 septembre 2021. Sur new.sfen.org
2 | Cho A, “Smaller, cheaper reactor aims to revive nuclear industry, but design problems raise safety concerns”, Science, 18 août 2020. Sur science.org
3 | Association for the Preservation of Coelacanth, “Camp century, Greenland”, 2022. Sur gombessa.tripod.org
4 | World Nuclear Association, “Small nuclear power reactors”, décembre 2021. Sur world-nuclear.org
5 | Martinot G, « Le réacteur CAS », Revue générale du nucléaire, 1977, 2 :109-13. Sur sfen.org
6 | Dalmasso A, « Le projet Thermos (1975-1981) ou l’échec de “l’atome au coin du feu” », Colloque « Nucléaire et développement régional », Tours, CEHMVI, Fondation EDF, 17-18 décembre 2008. Sur hal.archives-ouvertes.fr
7 | Woite G, « Le coût des investissements dans les centrales nucléaires », AIEA Bulletin, 1978, 20 :11-23. Sur iaea.org
8 | Chodorge S, « Comment le gouvernement justifie l’arrêt du projet nucléaire Astrid », L’Usine nouvelle, 2 septembre 2019. Sur usinenouvelle.com
9 | Rosatom, “First-of-a-kind floating nuclear power unit Akademik Lomonosov leaves Murmansk for Pevek”, communiqué de presse, 23 août 2019. Sur rosatom.ru
10 | NuScale, “Nuclear Regulatory commission (NRC) Interaction”, 1er juillet 2021. Sur nuscalepower.com
11 | Guidez J, Capdevilla JM, « NuScale : l’avant-garde des SMR américains », Revue générale du nucléaire, 2017, 2 :21-4. Sur sfen.org
12 | Foltz JM, « La construction de l’EPR de Flamanville », rapport au président directeur général d’EDF, octobre 2019. Sur vie-publique.fr
13 | Curtis DJ, Nuclear renewable oil shale hybrid energy systems : configuration, performance, and development pathways, thèse, Massachusetts Institute of Technology, 2015. Sur dspace.mit.edu
14 | Meyer T, « Remunicipaliser l’électricité : le modèle allemand », Revue Projet, 2015, 344 :64-70. Sur revue-projet.com
15 | Merlin C, « Les petits réacteurs modulaires dans le monde : perspectives géopolitiques, technologiques, industrielles et énergétiques », Études de l’IFRI, mai 2019. Sur ifri.org

Publié dans le n° 340 de la revue


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L' auteur

Paul Ferney

Ingénieur en génie atomique et doctorant en physique des réacteurs. Il travaille dans un organisme de recherche (...)

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