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Peut-on produire des combustibles durables à partir de dioxyde de carbone ?

Publié en ligne le 29 mai 2025 - Énergie -

L’utilisation des combustibles fossiles que sont le charbon, le pétrole ou le « gaz naturel » (qui est en fait du méthane 1de formule chimique CH4) entraîne des rejets de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre, ce qui augmente la contribution anthropique au changement climatique.

Le lot des 45 cellules photo-électrochimiques © CEA

Inversement, des recherches visent à utiliser le CO2 comme matière première pour fabriquer des combustibles. Ce n’est pas facile a priori car c’est une molécule très stable et il est nécessaire d’apporter de l’énergie pour la transformer, par exemple de l’électricité dans un électrolyseur. Dans un second temps, il faut pouvoir intégrer cet électrolyseur dans un dispositif générateur d’électricité décarbonée, afin de justifier le caractère durable du procédé. Deux pistes de recherche qui utilisent l’énergie du Soleil sont étudiées, en particulier en France à l’Institut de recherche interdisciplinaire de Grenoble (Irig), par le Laboratoire de chimie et biologie des métaux (LCBM).

La première possibilité envisagée consiste à enlever un atome d’oxygène au CO2 pour former du monoxyde de carbone (CO) ; l’eau (H2O) nécessaire à la réaction réagit aussi pour former du dihydrogène gazeux (H2). Le mélange gazeux obtenu (CO et H2) est communément appelé « gaz de synthèse », car il peut être transformé en combustibles (alcools ou hydrocarbures) par des procédés supplémentaires. Cette transformation du CO2 est accélérée par un catalyseur au cobalt déposé sur une électrode en nanotubes de carbone [1].

L’intégration de ce même catalyseur dans un module qui utilise la lumière solaire (électricité photovoltaïque) comme source d’énergie a été faite en collaboration avec une équipe vietnamienne [2]. La cellule photo-électrochimique ainsi conçue est fonctionnelle, mais avec un rendement très faible (0,013 %) de conversion de l’énergie solaire en combustible (énergie chimique).

La seconde possibilité envisagée est le remplacement des deux atomes d’oxygène du CO2 par quatre atomes d’hydrogène. Le méthane recueilli est ainsi un combustible directement utilisable. Dans le cadre d’un projet mené avec d’autres équipes du CEA sur Marcoule, Grenoble, Saclay et à l’Institut national des énergies solaires, le LCBM a contribué à concevoir un démonstrateur arrivé, en juillet 2022, en finale d’un concours organisé par le Conseil européen de l’innovation [3].

Le démonstrateur en fonctionnement © CEA

Le fonctionnement détaillé du procédé a été publié récemment [4]. Dans un premier temps, on produit une quantité importante de H2 par électrolyse de l’eau alimentée par électricité issue de la lumière solaire (cellules photovoltaïques à base de silicium et de pérovskite). Un ensemble de 45 cellules photo-électrochimiques sont mises en parallèle pour produire une quantité suffisante de H2.

Le dihydrogène produit est ensuite injecté avec du dioxyde de carbone dans un bioréacteur où les archées 2 présentes (Methanococcus maripaludis) transforment ce mélange gazeux en méthane, dans des conditions modérées de température (20 à 40 °C) et de pression (entre 1 et 2 fois la pression atmosphérique). Ce procédé fonctionne en continu avec un rendement de conversion de l’énergie solaire en combustible plus élevé (5,5 %) que le précédent.

Transformer le CO2 en molécules organiques est fait naturellement par les organismes vivants photosynthétiques, avec un rendement moyen estimé de l’ordre de 1 % (4 à 5 % dans les meilleures conditions) [5]. Ces travaux de recherche qui visent à reproduire le résultat de la photosynthèse de façon artificielle sont donc encourageants, même s’il y a encore du chemin à faire avant un processus exploitable industriellement.

Références


1 | Haake M et al., “Impact of the Surface Microenvironment on the Redox Properties of a Co-Based Molecular Cathode for Selective Aqueous Electrochemical CO2-to-CO Reduction”, Journal of the American Chemical Society, 2024, 146 :15345-55.
2 | Nguyen DN et al., “Unassisted Solar Syngas Production by a Molecular Dye-Cobalt Catalyst Assembly in a Tandem Photoelectrochemical Cell”, ACS Energy Lett., 2024, 9 :829-34.
3 | European Innovation Council, “Fuel from the Sun : Artificial Photosynthesis”, EIC Horizon Prizes, 2022. Sur eic.ec.europa.eu
4 | Maragno ARA et al., “A scalable integrated solar device for the autonomous production of green methane”, Joule, 2024, 8 :2325-41.
5 | Barber J, Tran PD, “From natural to artificial photosynthesis“, Journal of the Royal Society Interface, 2013, 10 :20120984.

1 Le charbon et le pétrole sont en fait tout aussi naturels que le « gaz naturel »

2 Les archées, anciennement appelées archéobactéries, sont des micro-organismes unicellulaires procaryotes (une cellule sans noyau). Elles sont d’aspect semblable à celui des bactéries, mais en diffèrent par leurs caractéristiques génétiques et biochimiques.

Publié dans le n° 351 de la revue


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L'auteur

Kévin Moris

Kévin Moris est ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan et diplômé de l’École nationale supérieure de (…)

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