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L’hydrogène dans la transition énergétique

Publié en ligne le 20 août 2022 - Énergie -

L’hydrogène est l’élément chimique le plus commun dans l’Univers dont il constitue près de 75 % de la masse. Sur Terre, il se présente combiné à de nombreux autres éléments dans une variété considérable de molécules, notamment en association avec le carbone, l’oxygène et l’azote, dans les composés dits organiques qui constituent la matière vivante. Sa forme la plus commune est l’eau (H2O) où deux atomes d’hydrogène sont associés à un atome d’oxygène. Dans l’atmosphère, l’hydrogène, ou plus exactement le dihydrogène 1 (H2) est présent en très faible quantité, 0,55 ppm (parties par million). Et pour cause : il est efficacement oxydé par l’oxygène de l’air (O2) pour former de l’eau, une molécule particulièrement stable.

Aujourd’hui, les trois principales utilisations industrielles de l’hydrogène sont la désulfurisation de carburants pétroliers (60 %), la synthèse d’ammoniac principalement pour les engrais (25 %) et d’autres procédés chimiques (10 %) [1]. En Europe, deux grandes entreprises se partagent le marché des gaz industriels : Air Liquide en France et Linde en Allemagne. L’hydrogène circule entre les sites industriels dans le Nord de la France et le Benelux dans un réseau de gazoducs.

Son utilisation comme vecteur énergétique est récemment apparue au centre de nombreux plans de transition énergétique. En effet, l’oxydation de l’hydrogène par l’oxygène est une réaction chimique qui libère beaucoup d’énergie. Premier atout de l’hydrogène face aux carburants fossiles : à masse égale, il produit environ trois fois plus d’énergie que le gaz naturel. Second atout : la réaction ne produit que de l’eau et pas de dioxyde de carbone (CO2), gaz à effet de serre majeur 2.

Produire de l’électricité à partir de l’hydrogène

La pile à combustible
L’oxydation de l’hydrogène par l’oxygène est une réaction chimique qui peut être conduite de façon douce et produire directement de l’électricité dans un dispositif appelé « pile à combustible » (ou pile à hydrogène). Celui-ci transforme l’hydrogène (le combustible) en électricité par réaction avec l’oxygène de l’air.

Son principe a été mis en évidence en 1839 par les chimistes Christian Friedrich Schönbein et Sir William Grove. Les premières applications industrielles n’ont vu le jour que dans les années 1950. Cette pile a été utilisée dans des missions spatiales (Apollo). Elle est restée cependant cantonnée à des applications de niche jusqu’à très récemment. Dans les véhicules terrestres, la pile à combustible alimente un moteur électrique et une batterie « tampon ». La technologie utilisée est dite « à membrane d’échange de protons ». Elle a un bon rendement (60 %) à faible charge, mais celui-ci chute vers 40 % si la pile est fortement sollicitée.

En supposant un rendement de 50 % pour la pile à combustible, la consommation annuelle typique d’un foyer en électricité (10 MWh) pourrait donc être assurée par 600 kg d’hydrogène. De même, 1 kg de ce gaz donnerait 100 km d’autonomie à un véhicule électrique avec les mêmes hypothèses.

Vecteur énergétique
Comme l’hydrogène n’existe pas, ou très peu, à l’état naturel, une source d’énergie primaire est nécessaire pour le synthétiser avant de le réutiliser pour produire de l’énergie. En ce sens, c’est un « vecteur énergétique » : l’hydrogène est une forme de stockage d’énergie (qui peut ainsi être également transportée). Ses caractéristiques très favorables (densité énergétique massique trois fois supérieure à celle du méthane et absence de rejet de CO2 dans la phase de restitution d’énergie) en font un élément qui est mis en avant dans la plupart des scénarios de transition énergétique, tant en France qu’au niveau international.

La France, dans son plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique de 2018 [1], a annoncé que d’ici 2028 la moitié de la production actuelle d’hydrogène serait obtenue par électrolyse, alors qu’il est aujourd’hui obtenu quasi exclusivement à partir du méthane, et donc avec émission de CO2.

Une feuille de route a été élaborée au niveau de l’Union européenne [2]. Elle envisage qu’en 2030 la production d’hydrogène par électrolyse sera de dix millions de tonnes par an, ce qui correspond à la consommation totale au niveau européen en 2019. Elle prévoit qu’elle sera de 40 à 60 millions de tonnes en 2050.

De nombreuses questions techniques restent posées
Dans les conditions normales de température et de pression, l’hydrogène est gazeux. Il occupe alors, à énergie emmagasinée égale, un volume trois fois plus important que le méthane, son principal concurrent fossile. Sous la pression atmosphérique, il n’est liquide qu’à très basse température (253 °C), ce qui ne peut se réaliser qu’à un coût énergétique important. Le stockage par voie solide, sous forme d’hydrures métalliques notamment, n’est pas encore au point. La seule solution technique actuellement viable pour obtenir une densité énergétique importante est la compression sous haute pression (jusqu’à 700 fois la pression atmosphérique), ce qui a d’importantes conséquences sur son stockage et son transport. L’hydrogène peut en effet s’enflammer ou exploser dans l’air, comme en témoigne l’incendie du dirigeable LZ 129 Hindenburg en mai 1937, qui a conduit à son abandon comme gaz sustentateur.

Production et usages de l’hydrogène

Ce schéma présente les différentes sources de production d’hydrogène ainsi que ses principales applications (actuelles ou envisagées).

Source : IFP énergie nouvelles.

L’hydrogène présente ainsi un certain nombre de risques et nécessite des précautions d’utilisation, comme le rappelle un récent rapport de l’Académie des technologies (juin 2020) [3] : « L’hydrogène fait l’objet d’une utilisation industrielle depuis de nombreuses années avec un niveau de sécurité très satisfaisant malgré ses risques potentiels d’inflammation et d’explosion. Il conviendra d’adapter les normes et la réglementation déjà existantes à la multiplication des usages, notamment grand public, qui vont se multiplier, et de tenir compte des retours d’expériences, étant reconnu que les technologies permettant de prévenir et limiter les risques sont disponibles... » p. 59).

La production d’hydrogène

La technique majoritairement utilisée aujourd’hui est le « reformage » (ou « vaporeformage »), c’est-à-dire la réaction du méthane avec l’eau à chaud (900 °C) et sous une pression modérée (20 à 30 fois la pression atmosphérique). Ce procédé est écologiquement peu vertueux puisqu’il émet un peu plus de 10 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit [4]. Ainsi, la France qui produit environ 900 000 tonnes d’hydrogène par an (pour ses usages industriels) émet dans l’atmosphère onze millions de tonnes de CO2, soit 3 % du total de ses émissions [1].

Le recours à l’hydrogène dans le cadre de la transition énergétique n’a d’intérêt environnemental que s’il n’est pas associé à une émission significative de CO2 lors de sa production. Le procédé utilisé actuellement ne répond pas à ce critère.

En continuant à avoir recours au reformage, deux solutions peuvent être envisagées. La première consiste à utiliser du méthane, non pas issu de source fossile, mais issu de la biomasse. Avec les technologies envisagées, les gisements sont très limités. La seconde fait appel à des dispositifs de capture et de stockage dans le sous-sol du CO2 produit (CCS en anglais pour carbon capture and storage). Bien que les technologies soient maîtrisées, il n’y pas à l’heure actuelle d’installation industrielle de grande dimension en activité dans le monde couplant reformage et capture et stockage de CO2.

Une autre solution, en général privilégiée, consiste à mettre en œuvre un procédé d’électrolyse qui sépare l’oxygène de l’hydrogène de l’eau en faisant passer un courant électrique. Dans ce cas, l’importance des émissions de CO2 résiduelles est très variable selon l’origine de l’électricité utilisée (hydroélectrique, solaire, éolien, nucléaire, centrales thermiques à gaz ou à charbon).

La Chimiste, Henrika Šantel (1874-1940) Ce portrait représente Ana Mayer-Kansky (1895-1962), chimiste slovène spécialisée en chimie organique. Elle est restée dans l’Histoire pour avoir été l’une des premières femmes scientifiques de premier plan dans son pays.

Ainsi, selon les technologies utilisées, la production de 1 kg d’hydrogène peut générer des émissions de CO2 allant de 2 ou 3 kg (reformage avec capture et stockage du CO2 ou électrolyse sur le mix électrique français) à 20 kg (électrolyse sur le mix électrique européen) [4]. Dans ce pire cas, ce serait alors deux fois plus que la technique actuelle du reformage à partir de gaz naturel, ce qui ne correspond pas aux objectifs de la transition énergétique.

Pour décrire le « contenu carbone » du procédé de production de l’hydrogène, un code de couleur est parfois utilisé dans les articles et documents (voir encadré « Les “couleurs” de l’hydrogène »).

La capture et le stockage de CO2


La technologie de capture et stockage de CO2 (CCS, ou carbon capture and storage) possède également une maturité industrielle. L’enjeu réside dans la construction de l’infrastructure de collecte – adaptation des installations industrielles –, de transport – gazoduc ou navires – et de stockage du CO2. Le CO2 doit être stocké dans des aquifères salins profonds, via des puits qui sont forés ou dans des champs de gaz épuisés, ce qui induit des problèmes d’acceptabilité de la technologie.

Le CCS pourrait être une option à court terme pour la production d’hydrogène alimentant les sites industriels en zones portuaires comme à Dunkerque ou au Havre, pour lesquels le CO2 capté pourrait être exporté et stocké en mer du Nord sans qu’il soit besoin de procéder à un stockage en France. Le site de stockage Northern Lights sera ainsi opérationnel dès 2023. Ces zones de stockage en mer du Nord sont néanmoins susceptibles d’être l’objet de concurrence entre de nombreux industriels européens et de nombreuses sources de CO2 autres que la production d’hydrogène. En outre, il conviendrait d’évaluer le bilan carbone en incluant le CO2 émis par le transport par navire pour vérifier la pertinence environnementale de cette solution.

Source
CRE, « Le vecteur hydrogène », Groupe de travail n° 4 du Comité de prospective de la CRE (Commission de régulation de l’énergie), juin 2021. Sur eclairerlavenir.fr

L’hydrogène dans la transition énergétique

Quatre objectifs animent les politiques publiques pour constituer une filière d’hydrogène « bas carbone ». Le premier vise à décarboner les procédés de production existants, fortement carbonés (le plan français de déploiement de l’hydrogène dans la transition énergétique de 2018 [1] le met en premier du point de vue temporel – horizon 2035 – en substituant l’électrolyse de l’eau au reformage du gaz naturel). Le deuxième objectif vise à utiliser de l’hydrogène pour les transports et la mobilité en substitution des combustibles fossiles, en complémentarité des filières batteries. Le troisième s’intéresse à l’introduction de l’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel pour réduire l’utilisation de combustible fossile importé. Enfin, le quatrième cherche à faciliter l’intégration des énergies renouvelables intermittentes (éolien et solaire photovoltaïque) dans le mix électrique.

Sous réserve d’être produit de façon « propre », l’hydrogène devient en effet un moyen de stockage d’électricité produit en période d’abondance de vent ou de soleil. Le stockage d’électricité est indispensable au développement des sources d’électricité intermittentes (voir la première partie du dossier de Science et pseudo-sciences n° 339, janvier 2022). L’Union européenne affirme que, dans la période 2025-2030, « l’hydrogène renouvelable commencera à jouer un rôle dans l’équilibrage d’un système électrique fondé sur les énergies renouvelables » mais ne voit qu’à l’horizon 2050 un « hydrogène renouvelable » capable d’être « progressivement déployé à grande échelle, parallèlement à la mise en place de nouvelles capacités de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables » [2].

Une des principales difficultés est que le rendement du cycle complet de l’hydrogène est estimé entre 25 % et 35 % avec les technologies actuelles. Cela implique un fort surdimensionnement du réseau électrique et de la production dans un scénario fondé sur une électricité produite massivement à partir de sources principalement renouvelables intermittentes (voir l’article de Marc Fontecave et Dominique Grand dans ce dossier).

Les « couleurs » de l’hydrogène


Le procédé de fabrication de l’hydrogène est un élément majeur d’évaluation de son impact environnemental, en particulier sur le plan des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Il est devenu courant de qualifier son origine par une couleur.

  • L’« hydrogène brun » est produit par la gazéification du charbon.
  • L’« hydrogène gris » est produit à partir de combustible fossile, par la technique de « reformage ».
  • L’« hydrogène bleu » est produit par la même technologie de « reformage » à laquelle on vient adjoindre des procédés de captage et de stockage du CO2.
  • L’« hydrogène vert » est de l’hydrogène produit par la technique d’électrolyse utilisant une source d’électricité produite à partir d’énergie renouvelable.

D’autres couleurs sont parfois utilisées, comme le « rose » pour l’électrolyse à base d’électricité nucléaire ou le « jaune » pour l’hydrogène produit en France sur la base du mix électrique existant. L’attribution d’une couleur ne peut remplacer une analyse quantitative.

Soleil et vent sur le toit, John Sloan (1871-1951)

Un autre problème est lié à l’intermittence elle-même. Utiliser l’électricité lors des seules périodes d’abondance de soleil ou de vent conduit à une sous-utilisation des électrolyseurs, ce qui pose des problèmes industriels mais aussi de rentabilité. Une solution parfois évoquée consiste à assurer de façon centralisée la production d’hydrogène dans des pays fortement ensoleillés. C’est la solution retenue par l’Allemagne pour qui « il est clair qu’à moyen terme, l’hydrogène devra être importé des régions ensoleillées et venteuses du sud de l’Europe ou de l’Afrique » car « les énergies renouvelables d’Allemagne ne pourront pas le faire à elles seules » [5]. Des discussions sont en cours entre l’Allemagne et le Maroc. À moyen et à long terme, l’hydrogène ainsi produit pourrait être importé en Allemagne par navire ou par pipeline.

L’hydrogène dans les transports

L’hydrogène est promu comme carburant pour les transports, tant au niveau de l’Union européenne [6] que de la France. Pour les transports terrestres, la technique mise en avant est l’utilisation d’hydrogène gazeux sous pression dans un réservoir qui alimente une pile à combustible.

Le développement de cette technologie se heurte à plusieurs difficultés en comparaison notamment avec des solutions plus matures actuellement. En 2020, seulement 211 véhicules à hydrogène ont été vendus en France [7], contre 110 913 voitures électriques et 243 666 hybrides (essence et électrique) [8], chiffres eux-mêmes à comparer aux deux millions de véhicules thermiques mis en service les années hors pandémie. Les grands constructeurs historiques sont très prudents. En Europe, seul BMW annonce un modèle en collaboration avec Toyota. Volkswagen a abandonné ce créneau et investit massivement dans le développement de la voiture électrique sur batteries, malgré les incitations financières du gouvernement allemand en faveur du recours à l’hydrogène [9]. Le prix d’achat des voitures à hydrogène est ainsi encore très élevé. À titre indicatif, la Mirai de Toyota coûte autour de 70 000 € [10], tant à cause de l’extrême faiblesse de la production qui ne permet pas les économies d’échelle que des technologies nécessitant des métaux précieux et donc intrinsèquement plus onéreuses. Globalement, au niveau du fonctionnement, le véhicule électrique sur batterie est trois fois moins consommateur d’électricité que le véhicule à hydrogène [11] et il coûte à l’achat au moins deux fois moins.

D’autre part, l’usage généralisé de l’hydrogène nécessite de développer à grande échelle une infrastructure de distribution qui est encore balbutiante. Aujourd’hui les stations de recharge sont alimentées par transport routier, ce qui n’est pas optimal. Certaines procèdent par électrolyse in situ [12] et la reconversion d’une partie du réseau de gaz existant pourrait être envisagée [13]. Toutefois, une station de recharge à hydrogène se chiffre actuellement à plusieurs millions d’euros pour une capacité à alimenter un millier de véhicules, et, même s’il est difficile de prévoir leur coût à l’avenir, les investissements nécessaires seront gigantesques. Ainsi, la ville de Montpellier a récemment renoncé à exploiter une flotte de 51 bus à hydrogène en raison des coûts du carburant hydrogène. En effet, sans même tenir compte des coûts d’investissement financés par ailleurs, les coûts d’exploitation ont été estimés comme étant six fois plus élevés que pour un service équivalent reposant sur des batteries [14].

Les avions à hydrogène ?


Le secteur aérien, qui représente 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2, constitue l’un des secteurs les plus difficiles à décarboner. Airbus a annoncé, à l’automne 2020, le lancement d’un premier avion à hydrogène à l’horizon 2035, le plan de relance de 2020 prévoyant un soutien spécifique à cette filière. Le recours à l’hydrogène soulève cependant d’importantes difficultés techniques qui devront être résolues. La principale concerne le poids et le volume des réservoirs, facteur critique pour l’aviation. Selon Eric Dautriat – ancien directeur des lanceurs du Cnes – un Airbus A320 contient 23 tonnes de kérosène, soit l’équivalent énergétique de 9 tonnes d’hydrogène. Toutefois, cet hydrogène occuperait, sous forme comprimée, un volume huit fois plus important que le kérosène, et un volume encore quatre fois plus important sous forme liquéfiée – impliquant de repenser fondamentalement l’architecture des avions. Au décollage, le kérosène représentant 30 % du poids d’un moyen-courrier et 45 % de celui d’un long-courrier, un réservoir trop volumineux impliquerait moins de place pour des passagers ou du fret mais aussi un besoin plus important d’énergie si ce réservoir est lourd pour décoller. La puissance des piles à combustibles est pour l’instant trop faible pour propulser un avion, ce qui nécessitera sans doute d’injecter directement l’hydrogène dans les turbines à gaz. L’utilisation d’hydrogène dans les aéroports implique, également, de résoudre toute une série de difficultés logistiques en termes d’acheminement et de remplissage des avions. Sur ces différents points, les problématiques de sécurité seront cruciales compte tenu des caractéristiques de l’hydrogène […], tout accident étant susceptible de remettre en cause ce type de technologie. D’un point de vue environnemental, enfin, l’impact du rejet de la vapeur d’eau à la limite de la troposphère par un avion à hydrogène doit être expertisé, en étant susceptible de contribuer à l’effet de serre. À l’horizon 2030, l’avion à hydrogène ne devrait pas apparaître […]. Au-delà, un potentiel de l’hydrogène est subordonné à la capacité à surmonter les difficultés évoquées ci-dessus. À noter que l’usage d’hydrogène sous forme de e-jet fuel constitue une autre piste qui éviterait de transformer la motorisation de l’avion tout en réduisant significativement ses émissions.

Source
CRE, « Le vecteur hydrogène », Groupe de travail n° 4 du Comité de prospective de la CRE (Commission de régulation de l’énergie), juin 2021. Sur eclairerlavenir.fr

De surcroît, la généralisation de l’usage de l’électricité pour les transports s’accompagnera nécessairement de l’accroissement de la production électrique. À l’échelle de la France, à l’horizon 2030, le gestionnaire du réseau électrique RTE évalue le besoin à 17 TWh par an pour un parc de véhicules particuliers converti à 20 % à l’électrique (soit 7,1 millions de véhicules électriques) [15] que le producteur devra être en mesure de fournir par des moyens décarbonés. Du côté du consommateur, le coût d’usage dépend du prix de l’électricité nécessaire. Actuellement, pour une voiture sur batteries, il est de l’ordre de 2 à 3 € pour 100 km, ce qui le rend très compétitif par rapport aux carburants fossiles. Avec les rendements évoqués plus haut, autour de 30 % pour les technologies actuelles pour la production et consommation d’hydrogène, ce serait trois fois plus, et 20 % du parc de véhicules représenteraient 50 TWh d’électricité. Le bénéfice est nettement moindre. On peut donc légitimement se poser la question du développement de l’hydrogène dans les transports terrestres quand son prix est confronté à celui de l’utilisation de batteries. Par exemple, il n’y avait, début 2021, qu’une quarantaine de bus à hydrogène en circulation en France [16] alors que les bus à batteries connaissent une très rapide expansion dans toute l’Europe [17] et dans le monde [18]. Le véhicule à hydrogène conserve néanmoins des partisans qui mettent en avant l’autonomie du véhicule et la rapidité des recharges qui sont bien meilleures que celle d’un système à batteries à poids égal.

Un autre créneau actuellement exploré est le transport aérien. L’industrie aéronautique est ainsi subventionnée pour développer un avion à hydrogène à hauteur de 1,5 milliards d’euros d’ici 2022 par le gouvernement français [19]. Ce dernier estime nécessaire « l’accélération des efforts d’innovation en faveur d’un avion décarboné à hydrogène dont l’entrée en service pourrait avoir lieu au cours de la décennie 2030 » [20]. La solution envisagée repose sur des turbines à hydrogène alimentées par des réservoirs à hydrogène liquide. De nombreux problèmes techniques rendent peu crédible cette perspective à moyen terme [21]. Outre les développements des moyens de propulsion en eux mêmes, le stockage et l’alimentation posent des défis considérables. La seule consommation en kérosène des avions en partance des aéroports parisiens est autour de six millions de tonnes en année normale [22]. Cela représente une énergie de 70 TWh (1 kg de kérosène correspond à environ 12 kWh) qui nécessiterait en entrée environ 100 TWh d’électricité, comparable à la production d’une douzaine de réacteurs nucléaires.

Conclusion

L’hydrogène est un vecteur énergétique qui présente de nombreux atouts, en particulier en conjonction avec une proportion croissante des énergies renouvelables intermittentes dans le mix électrique. Les technologies de stockage et de transport, souvent initiées depuis plus de cinquante ans, connaissent un renouveau de développement et atteignent désormais une certaine maturité.

Toutefois, les investissements nécessaires tant du point de vue de la production que de la distribution et de l’équipement des usagers sont considérables, de sorte que la question des usages de l’hydrogène dans le futur reste ouverte. Le ministère de l’Écologie en charge de l’énergie estime que « les analyses montrent que la compétitivité de l’hydrogène “décarboné” ou “vert” (c’est-à-dire uniquement produit à partir d’énergies renouvelables) pourrait être atteinte à l’horizon 2035 » [1]. Une expertise de haut niveau menée pour la Commission de régulation de l’énergie [23] donne une très bonne description de la maturité de cette technologie mais souligne que « la production décarbonée [d’hydrogène] est beaucoup plus onéreuse que l’hydrogène “gris” issu du vaporeformage, à des fins industrielles » et que si « l’élan politique de ce début de décennie contribuera à une baisse des coûts […], il est peu probable que l’hydrogène décarboné devienne rapidement compétitif ». RTE, le gestionnaire du système électrique va dans le même sens en avertissant que « même en se projetant à l’horizon 2035 avec une hypothèse de baisse significative du coût des électrolyseurs […], le prix de revient de l’hydrogène produit par vaporeformage apparaît nettement inférieur à celui produit par électrolyse, quel que soit le mode opératoire » [24].

Présentation de Sir James Dewar à la Royal Institution sur l’hydrogène liquide, Henry Jamyn Brooks (1839-1925) L’Écossais James Dewar, l’un des plus brillants chimistes britanniques du XIXe siècle, a exploré de nombreux domaines lors de sa longue carrière, dont celui de la liquéfaction des gaz comme le fluor ou l’hydrogène. Il est resté célèbre pour la mise au point du « vase Dewar » ou « dewar », un récipient isotherme toujours employé en laboratoire pour stocker par exemple de l’azote liquide.

Enfin, comme le souligne l’Académie des sciences dans un récent rapport « […] la production d’hydrogène [par électrolyse de l’eau], que l’on imagine comme un des vecteurs énergétiques de l’avenir [nécessitera] beaucoup d’électricité pour donner naissance à une économie fondée sur une utilisation de grande ampleur […] », mais surtout, « l’utilisation du vecteur hydrogène ne fait pratiquement rien gagner en bilan de gaz à effet de serre si l’hydrogène est produit par des combustibles fossiles » [25].

L’hydrogène : comment et pourquoi ?

Extrait du rapport de l’Académie des technologies (30 juin 2020)

Production
Le contenu énergétique de l’hydrogène nécessaire à la décarbonation d’une part significative de la consommation finale française d’énergie mobiliserait plus de 275 TWh d’électricité si l’hydrogène était produit exclusivement par électrolyse. Cette augmentation de plus de 50 % de la production annuelle d’électricité requerrait de doubler la puissance installée actuelle, si réalisée uniquement par les énergies renouvelables intermittentes (variables et non pilotables). Il paraît plus réaliste de prévoir que la production d’hydrogène sera assurée : (1) par électrolyse d’eau par de l’électricité d’origine nucléaire permettant d’assurer un facteur de charge élevé des électrolyseurs ; (2) par électrolyse d’eau par de l’électricité intermittente ; (3) par vaporeformage avec capture et stockage du CO2 (CCS) […].

Usages
Dans ce contexte où l’hydrogène présente des attraits multiples, mais aussi des coûts, son utilisation devrait concerner en priorité deux secteurs, l’hydrogène « matière première » pour l’industrie et l’hydrogène « énergie » pour les mobilités. Le besoin le plus évident et immédiat est la substitution de l’hydrogène carboné issu des procédés de reformage par de l’hydrogène décarboné produit par électrolyse. Cela peut être fait rapidement pour l’industrie chimique diffuse qui paye pour l’hydrogène un prix élevé faute de réelle concurrence entre fournisseurs et pâtit du coût important du conditionnement et du transport. En outre, de nouveaux usages doivent être promus pour décarboner certaines industries (sidérurgie et peut-être cimenteries).

La mobilité à base d’hydrogène apporte une autonomie que ne permet pas la mobilité électrique exclusivement à base de batterie. Certaines mobilités (bateaux, trains, camions et bus) ne peuvent être décarbonées par des batteries électriques dont la densité massique et volumique d’énergie est trop faible. Il est raisonnable de penser que la mobilité hydrogène ne se développera dans un premier temps qu’à partir d’un nombre limité de points de distribution, réservant de fait son usage aux transports lourds et à des flottes locales. Enfin, la traction ferroviaire et les navires (sur de courtes distances, mais aussi en stationnaire au port) pourront recourir à l’hydrogène en substitution des hydrocarbures dont, notamment, le fioul lourd.

L’injection d’hydrogène décarboné dans les infrastructures existantes de gaz en substitution du gaz naturel doit être un troisième levier pour dynamiser la demande et susciter des sources fiables de production comme le souligne d’ailleurs l’AIE [Agence internationale de l’énergie [1]). Certes, le coût du CO2 évité est élevé ; mais c’est la conséquence du fait que le gaz naturel est bon marché et peu émetteur de CO2.

L’utilisation massive d’hydrogène comme stockage intermédiaire d’énergie électrique intermittente (éolien et solaire) dans la chaîne Power-to-Gas-to-Power se heurte à des obstacles rédhibitoires tenant aux volumes considérables des stockages d’hydrogène requis et au faible facteur de charge des électrolyseurs et piles à combustible de la chaîne « conversion-stockage-conversion » qui obère considérablement les coûts.

Les différents usages possibles de l’hydrogène seront en concurrence, dès lors que les capacités de production par électrolyse sont nécessairement limitées. Par exemple, produire la moitié de l’hydrogène actuellement consommé en France (922 000 tonnes) par électrolyse nécessiterait près de 50 TWh d’électricité ; cet hydrogène pourrait alternativement alimenter une dizaine de millions de véhicules électriques légers, soit environ le tiers du parc.

Plus ambitieux, l’hydrogène pourrait également être utilisé pour décarboner certaines industries ou pour produire du gaz et des carburants de synthèse. Ces différents usages pourraient requérir près de 300 TWh d’électricité ce qui dépasse de très loin les excédents d’électricité intermittente d’un mix 100 % renouvelable. Les différentes filières électricité, gaz et hydrogène sont interdépendantes et une approche systémique de la production et des usages de l’hydrogène est nécessaire.

Le développement de la filière hydrogène nécessitera la création d’infrastructures considérables pour sa production, sa distribution aux véhicules, sa transformation en méthane ou carburants liquides de synthèse ou, après stockage, en électricité, etc. Il conviendra de réaliser ces investissements alors que la demande ne sera pas présente : seul l’État pourra prendre ce risque.

Référence
1 | International Energy Agency, “The Future of Hydrogen, Seizing today’s opportunities”, juin 2019. Sur iea.org

Source
Académie des technologies,« Rôle de l’hydrogène dans une économie décarbonée », rapport, 30 juin 2020.

Références


1 | Ministère de la Transition écologique et solidaire, « Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique », 2018. Sur ecologie.gouv.fr
2 | Commission européenne, « Une stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre », 8 juillet 2020. Sur eur-lex.europa.eu
3 | Académie des technologies, « Rôle de l’hydrogène dans une économie décarbonée », rapport, 20 juin 2020. Sur academietechnologies-prod.s3.amazonaws.com
4 | Ademe, « Production d’hydrogène », Centre de ressources sur les bilans de gaz à effet de serre, 2020. Sur bilans-ges.ademe.fr
5 | République fédérale d’Allemagne,« L’Allemagne veut devenir le pays numéro un de l’hydrogène », 15 juin 2020. Sur deutschland.de
6 | Union européenne, “Hydrogen roadmap Europe : a sustainable pathway for the European energy transition”, 15 février 2019. Sur data.europa.eu
7 | Torregrossa M, « Voiture hydrogène : quelles ventes en Europe en 2020 ? », 22 février 2021. Sur h2-mobile.fr
8 | « Marché automobile 2020 : les ventes chutent, les électriques décollent », L’Argus, 2 janvier 2021. Sur largus.fr
9 | « Hydrogène : Volkswagen a-t-il tort contre tous les autres ? », Autonews, 24 février 2021. Sur autonews.fr
10 | « Toyota Mirai », présentation et fiche technique, janvier 2022. Sur automobile-propre.com
11 | Bossel U, “Does a hydrogen economy make sense ?”, Proceedings of the IEEE, 2006, 94 :1826-37.
12 | Cormier V, « Hynamics a investi 8,5 M dans sa première station H2 à Auxerre », Actualités, 13 octobre 2021. Sur greenunivers.com
13 | Gas for climate, “A path to 2050”, communiqué de presse, 2022. Sur gasforclimate2050.eu
14 | Torregrossa M, « Pourquoi Montpellier abandonne les bus à hydrogène », Actualités, 17 janvier 2022. Sur h2-mobile.fr
15 | Réseau de transport d’électricité, « Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France », rapport, 2021. Sur assets.rte-france.com
16 | Lauraux M, « Voitures, bus, camions : où en est la mobilité hydrogène en France ? », 15 novembre 2019. Sur automobilepropre.com
17 | Association nationale pour le développement de la mobilité électrique, « Les bus électriques ont représenté 6.1 % du marché européen en 2020 », communiqué de presse, 9 avril 2021. Sur avere-france.org
18 | IES Synergy, « Bus électriques : où en sommes-nous ? », 6 mai 2020. Sur ies-synergy.com
19 | Ministère de la Transition écologique, « Plan de soutien à l’aéronautique pour une industrie verte et compétitive », dossier de presse, 9 juin 2020. Sur ecologie.gouv.fr
20 | Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, « Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France », dossier de presse, 8 septembre 2020. Sur economie.gouv.fr
21 | Duvignau R, « Airbus dit que l’hydrogène ne sera pas largement utilisé dans les avions avant 2050 », Challenges, 10 juin 2021. Sur challenges.fr
22 | Société des transports pétroliers par pipeline, « Rapport annuel 2020 du Groupe Trapil », 2021. Sur trapil.com
23 | Commission de régulation de l’énergie, « Le vecteur hydrogène », Groupe de travail n° 4 du Comité de prospective, juin 2021. Sur eclairerlavenir.fr
24 | Réseau de transport d’électricité, « La transition vers un hydrogène bas carbone : atouts et enjeux pour le système électrique à l’horizon 2030-2035 », principaux résultats, janvier 2020. Sur assets.rte-france.com
25 | Académie des sciences, « Considérations sur l’électronucléaire actuel et futur », rapport, 14 juin 2021.Sur academie-sciences.fr

1 Dans la suite, le mot « hydrogène » sans précision désignera le gaz hydrogène (dihydrogène, H2).

2 L’eau est un gaz à effet de serre mais, contrairement au CO2, il ne s’accumule pas dans l’atmosphère et tout excès est éliminé par précipitation.

Publié dans le n° 340 de la revue


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L' auteur

Frédéric Livet

Directeur de Recherche Émérite au CNRS. Spécialité de sciences des matériaux, avec utilisation du rayonnement (...)

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