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« Futurs énergétiques 2050 » : l’étude prospective du gestionnaire du système électrique français

Publié en ligne le 14 mai 2022 - Énergie -
Autoportrait à la lumière électrique, Oscar Parviainen (1880-1938)

RTE (Réseau de transport de l’électricité) est, comme son nom l’indique, l’entreprise gestionnaire du réseau de transport d’électricité français (qui gère les lignes à très haute tension ; à l’aval se trouve le réseau de distribution d’électricité, géré par Enedis). RTE a en réalité une mission qui va bien au-delà du périmètre de son propre réseau ; elle est légalement chargée d’assurer, au nom de l’État, l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité à tout instant et à toutes les échéances. Tous les pays ont une ou plusieurs entreprises similaires à RTE (l’Allemagne en a quatre, correspondant à ses quatre grandes régions géographiques). C’est une entreprise classée d’importance vitale (OIV), le système électrique étant lui-même classé infrastructure d’importance vitale (SIIV) pour le pays eu égard au rôle crucial de la disponibilité d’électricité [1]. Parmi ses missions légales, RTE réalise tous les ans un « Bilan prévisionnel » des perspectives d’évolution du système électrique à cinq ans. En réponse à une saisine du gouvernement, RTE a lancé en 2019 une vaste étude à beaucoup plus long terme intitulée « Futurs énergétiques 2050 ». Cette étude a été présentée et diffusée en deux parties.

RTE est-il indépendant ?


Avec l’ouverture des marchés de l’énergie, dans la décennie 2000, les consommateurs sont libres du choix de leurs fournisseurs d’électricité (et de gaz). Les producteurs d’électricité et les entreprises de commercialisation sont en concurrence. Mais les réseaux électriques sont restés des monopoles et, à ce titre, sont tenus de respecter une entière neutralité. Leurs gestionnaires (RTE, mais aussi Enedis pour le réseau de distribution) sont des entreprises chargées d’une mission de service public et sont soumises à une régulation très stricte, supervisée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

RTE est une société anonyme dont le capital est, depuis 2016, entre les mains de la Coentreprise de transport d’électricité (CTE), holding détenue par EDF (50,1 %), la Caisse des dépôts (29,9 %) et CNP Assurances (20 %). Elle doit respecter une indépendance totale vis-à-vis de tous les acteurs du système électrique, indépendance inscrite dans le code de l’énergie et dans un code de bonnes pratiques validé par la CRE [1]. À ce titre, RTE signe un contrat de service public avec l’État qui décrit en détail ses missions et ses engagements (le dernier en date a été signé en 2017 [2]). L’essentiel de ses ressources provient du tarif d’utilisation du réseau de transport dont le montant est fixé par la CRE. Son programme annuel d’investissements est soumis pour approbation de la CRE, qui en effectue le suivi.

En dérogation aux dispositions du Code de commerce, les pouvoirs de son conseil de surveillance sont limités et les décisions relatives à la gestion et au développement du réseau ne relèvent pas de lui, mais de son directoire. Les membres de ce dernier sont nommés, après avis de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), par le Conseil de surveillance [3].
Références
1 | Réseau de transport d’électricité, « Indépendance de RTE et code de bonne conduite », avril 2019.
2 | Réseau de transport d’électricité, « Contrat de service public entre l’Etat et RTE : les 76 engagements de RTE pour la transition énergétique et le système électrique », asset, 5 mai 2017.
3 | Réseau de transport d’électricité, « Gouvernance de RTE », RTE en bref, septembre 2020. Sur rte-france.com

Le cadre de la prospective

Rédaction de la Déclaration d’Indépendance en 1776, J. L. G. Ferris (1863-1930)

La première partie de l’étude, publiée le 27 janvier 2021, a été réalisée en commun avec l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et est intitulée « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 » [2]. Comme son titre l’indique, elle portait sur les questions de faisabilité technique et a conclu que le fonctionnement stable et sûr du système électrique implique « quatre ensembles de conditions strictes, qui devront être remplies pour permettre, sur le plan technique et avec une sécurité d’approvisionnement assurée, l’intégration d’une proportion très élevée d’énergies renouvelables dans un système électrique de grande échelle comme celui de la France » (voir encadré ci-après).

Ce rapport suggère que tout est théoriquement possible mais qu’aucune de ces quatre conditions n’est actuellement validée et qu’elles devraient être impérativement traitées dans les scénarios supposant une forte part d’énergies renouvelables intermittentes.

La seconde partie a été présentée le 25 octobre 2021 [3] et apporte de nombreux éléments nouveaux dans les domaines technique, environnemental, économique et sociétal.

  • Sur le plan technique, il s’agit d’une description complète du système électrique concernant la production, la consommation, l’infrastructure de réseau, à la fois en termes d’énergie et de puissance, et sur des échéances allant de 2030 à 2050, voire 2060 dans certains cas.
  • Sur le plan environnemental, l’empreinte carbone est étudiée tout au long de la trajectoire de chacun des scénarios retenus, intégrant le cycle de vie des matériels, le bilan en matières premières (et les enjeux associés de disponibilité à long terme), l’occupation des sols des moyens de production et du réseau, etc.
  • Sur le plan économique, RTE a évalué le coût complet pour la collectivité et analysé la sensibilité de ses scénarios aux différentes hypothèses retenues (notamment le coût du capital).
  • Sur le plan sociétal, les implications sur les modes de vie ont été examinées : télétravail vs mobilité, niveau de consommation d’électricité, niveau de sobriété souhaité vs niveau requis, niveau de flexibilité des usages. Sur ce point, RTE insiste sur le fait qu’il limite ses analyses à la description des conséquences sociétales de ses différents scénarios, mais ne se prononce pas sur leur désirabilité, qui relève d’un choix de société.
Les conditions d’une importante intégration d’énergies renouvelables intermittentes


Quatre ensembles de conditions strictes […] devront être remplies pour permettre, sur le plan technique et avec une sécurité d’approvisionnement assurée, l’intégration d’une proportion très élevée d’énergies renouvelables dans un système électrique de grande échelle comme celui de la France :

  • Même si elles doivent encore faire l’objet d’une démonstration à grande échelle, il existe un consensus scientifique sur l’existence de solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique sans production conventionnelle. Des difficultés spécifiques pourraient concerner les systèmes comportant une part importante de photovoltaïque distribué pour lesquels il est nécessaire de poursuivre l’évaluation des impacts sur le réseau de distribution et la sûreté du système électrique.
  • La sécurité d’alimentation en électricité (adéquation des ressources) – capacité d’un système électrique à approvisionner la consommation en permanence – peut être garantie, même dans un système reposant en majorité sur des énergies à profil de production variable comme l’éolien et le photovoltaïque, si les sources de flexibilité sont développées de manière importante, notamment le pilotage de la demande [= de la consommation], le stockage à grande échelle, les centrales de pointe [centrales (souvent à gaz) sollicitées aux heures où la consommation est la plus élevée, en particulier le soir en hiver] et avec des réseaux de transport d’interconnexion transfrontalière bien développés. La maturité, la disponibilité et le coût de ces flexibilités doivent être pris en compte dans les choix publics.
  • Le dimensionnement des réserves opérationnelles [puissance disponible à tout instant pour adapter production et consommation] et le cadre réglementaire définissant les responsabilités d’équilibrage et la constitution des réserves opérationnelles devront être sensiblement révisés, et les méthodes de prévision de la production renouvelable variable continuellement améliorées.
  • Des efforts substantiels devront être consacrés au développement des réseaux d’électricité à compter de 2030, tant au niveau du transport que de la distribution. Cela nécessite une forte anticipation et un engagement public en matière de planification à long terme, d’évaluation des coûts et de concertation avec les citoyens pour favoriser l’acceptation des nouvelles infrastructures. Ces efforts peuvent néanmoins être partiellement intégrés au renouvellement des actifs de réseau vieillissants.

L’évaluation économique de ces différentes conditions dépasse le cadre du présent rapport. Toutefois, celui-ci souligne que les coûts peuvent être substantiels et que l’atteinte de ces exigences a des implications techniques et sociales profondes.

Source
International Energy Agency, Réseau de transport d’électricité, « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 », synthèse, 2021.

Les précisions entre crochets sont de la rédaction de SPS.

Deux hypothèses principales ont été retenues, reflétant des choix politiques faits par le gouvernement français dans le cadre de ses engagements climatiques suite aux accords de Paris, et matérialisés dans sa feuille de route pour 2050 intitulée « Stratégie nationale bas carbone » [4]. Il s’agit, d’une part, du respect de l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 qui sera obtenue par la sortie complète des énergies fossiles à cette date. Cet objectif implique une transformation profonde de l’économie et des modes de vie. Il s’agit, d’autre part, de l’hypothèse d’une consommation d’électricité de référence égale à 645 TWh par an en 2050. Cette consommation cible est celle retenue par la Stratégie nationale bas carbone, légèrement augmentée par RTE pour tenir compte de nouvelles données disponibles.

L’hypothèse de consommation à l’horizon 2050

Pour estimer le niveau de consommation électrique qui sera atteint en 2050, RTE a repris différentes hypothèses économiques et démographiques adoptées dans le cadre de la Stratégie bas carbone du gouvernement français, avec en particulier une démographie correspondant à la trajectoire centrale estimée par l’Insee (une population totale en France métropolitaine continentale de 71 millions d’habitants contre environ 65 millions aujourd’hui).

Parabole de l’homme riche, Rembrandt (1606-1669)

La perspective de consommation de 645 TWh par an retenue pour 2050 est à comparer à la consommation d’électricité en France en 2019 (dernière année « normale » connue d’avant la pandémie) qui est de l’ordre de 475 TWh. Elle lui est supérieure d’environ 35 %, ce qui correspond à un accroissement moyen de 1 % par an entre 2019 et 2050. Elle est contestée de deux côtés.

Les tenants d’une sobriété radicale souhaitent rester à une consommation pratiquement inchangée voire inférieure à la consommation actuelle (voir par exemple l’association négaWatt [5]), tout en développant une part d’électrification de certains usages.

De l’autre côté, cette hypothèse est jugée irréaliste par ceux qui considèrent qu’il est impossible de se passer des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon résiduel), qui représentent actuellement les deux tiers de la consommation d’énergie globale du pays, sans augmenter fortement la consommation d’électricité (qui va se substituer aux énergies fossiles pour de très nombreux usages et va ainsi devenir la source très majoritaire d’énergie en 2050). On trouve parmi les tenants de cette position l’Académie des sciences qui anticipe une consommation comprise entre 700 et 900 TWh [6], l’Académie des technologies qui projette environ 840 TWh [7], et d’autres organismes qui anticipent des augmentations du même ordre, se situant autour de 80 % (soit une croissance de 2 % par an) par rapport à 2019.

En résumé, il y a donc une interrogation forte sur la projection de consommation pour 2050. RTE a en réalité examiné six variantes autour de l’hypothèse de 645 TWh à l’horizon 2050 qui portent des noms qui évoquent leur contenu et vont de 555 TWh au minimum à 754 TWh au maximum : « Sobriété » (555 TWh), « Moindre électrification » (578 TWh), « Électrification rapide » (700 TWh), « Efficacité énergétique réduite » (714 TWh), « Réindustrialisation profonde » (752 TWh) et « Hydrogène + » (754 TWh).

Des combinaisons des variantes hautes auraient sans doute gagné à être analysées afin d’élucider les effets combinés des hypothèses sous-jacentes : par exemple, la variante « Efficacité énergétique réduite » peut affecter les évaluations des variantes « Réindustrialisation profonde », « Électrification rapide » et « Hydrogène + » : la consommation sera, dans tous ces cas, supérieure à celle qui suppose une meilleure efficacité énergétique.

Les six scénarios étudiés par RTE

RTE distingue deux groupes de scénarios d’évolution du mix électrique pour 2050, basés sur l’exploitation des réacteurs nucléaires existants ou en construction (scénarios M) ou bien sur la construction de nouveaux réacteurs (scénarios N).

Les scénarios sans nouveau nucléaire
Ils ont vocation à devenir « 100 % renouvelables » à terme, lorsque les réacteurs nucléaires du parc actuel seront tous arrêtés. RTE distingue ainsi trois scénarios M :

  • le scénario M0 qui deviendrait « 100 % renouvelable » dès 2050 avec l’arrêt forcé de la totalité des réacteurs nucléaires à cette date ;
  • les scénarios M1 et M23 qui comportent encore 16 GW de nucléaire historique en 2050 et n’atteindraient le stade 100 % renouvelable qu’ultérieurement.

Les scénarios qui impliquent la construction de nouveaux réacteurs nucléaires
RTE distingue également trois scénarios, notés N :

  • les scénarios N1 et N2 qui comportent toujours 16 GW de nucléaire historique en 2050, mais impliquent en outre respectivement 13 GW et 23 GW de nouvelles capacités nucléaires d’EPR2 (modèle d’EPR optimisé et dont la construction est simplifiée par rapport à celle de la tête de série de l’EPR de Flamanville) ;
  • le scénario N03 qui comporte davantage de réacteurs prolongés du parc historique (24 GW) et davantage de nouvelles capacités nucléaires (27 GW) constituées majoritairement d’EPR2 avec en plus quelques SMR (Small Modular Reactors) qui seraient disponibles à partir de 2035.

Comparaison des scénarios extrêmes

Faire une comparaison générale de tous ces scénarios dépasserait le cadre de cet article. Seuls sont donc comparés les scénarios extrêmes, M0 « 100 % renouvelable » dès 2050 et N03 qui comporte la part de nucléaire la plus importante, soit 51 GW en 2050, sachant que les autres scénarios se situent dans des positions intermédiaires entre ces deux cas.

Émissions de CO2
Le scénario N03 est celui qui émet le moins de CO2 : moins de 7 Mt/an, à comparer à plus de 11 Mt/an pour le scénario M0, le plus émetteur de tous.

Ce résultat s’explique par le fait que le nucléaire est, avec l’hydraulique, le moyen de production le moins émetteur de CO2 (moins de 6 g par kWh d’électricité émis en cycle de vie complet [8], c’est-à-dire en prenant en compte toutes les phases, de la construction au démantèlement des centrales, du recyclage à la gestion des déchets, en passant par l’extraction des minerais), contre plus du double pour l’éolien et plus de sept fois plus pour le photovoltaïque avec des panneaux fabriqués en Chine pour la plupart, à partir d’une électricité fortement carbonée.

À ce sujet, RTE met en évidence le fait que le scénario de « Réindustrialisation profonde » aurait un impact très favorable sur le climat en permettant de relocaliser la fabrication de produits actuellement importées utilisant une électricité beaucoup plus carbonée que l’électricité française (déjà décarbonée à près de 95 % grâce au nucléaire, à l’hydraulique et à ses autres productions décarbonées, éoliennes et photovoltaïques).

Coût du kWh produit
En « coût système global » (qui comptabilise les coûts complets annualisés de l’ensemble des filières de production, mais également des besoins de flexibilité et de réseau), le scénario N03 est le moins coûteux : moins de 91,5 €/MWh à comparer à près de 120 €/MWh, soit 30 % de plus, pour le scénario M0.

RTE ajoute que cet avantage économique du scénario N03 persisterait même en cas d’un coût de construction du nouveau nucléaire de série qui atteindrait celui de l’EPR de Flamanville (hypothèse maximaliste puisqu’une tête de série est nécessairement plus coûteuse) et d’un taux de financement qui passerait de 4 % (taux pris en compte en base pour tous les moyens de production) et atteindrait jusqu’à 7 %. Ce constat de RTE est donc particulièrement robuste aux aléas. C’est ce qui lui permet d’écrire que « construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique ».

L’écart entre les scénarios N03 et M0 s’explique par le coût très élevé des systèmes de compensation de la variabilité et de l’intermittence des sources éoliennes et photovoltaïques afin d’assurer une continuité de fourniture suffisante de l’électricité. Dans le scénario M0, il faut mettre en œuvre des moyens pilotables de secours alimentés en gaz décarbonés, hydrogène ou ses dérivés de synthèse, qui coûtent très cher à produire, ainsi que des moyens de stockage/déstockage d’énergie, non seulement pour l’hydrogène mais aussi sous forme de très grandes capacités de batteries dont les coûts sont également très élevés. Il faut y ajouter les très importantes extensions de réseaux électriques, qui sont nécessaires et qui augmentent le coût global du système électrique.

La part du nucléaire


Selon RTE, la proposition industrielle la plus haute de la filière consiste à date à atteindre un parc nucléaire d’une capacité complète de 50 GW en 2050 (contre 63 GW en 2019), dans un scénario de relance volontariste du nucléaire. Cette perspective représente un défi industriel de premier plan.

En effet, disposer d’un parc de 50 GW en 2050 implique de réunir quatre conditions :

  1. prolonger l’essentiel des réacteurs actuels au moins jusqu’à 60 ans,
  2. être en mesure d’exploiter certains d’entre eux au-delà de cette durée (et ce d’autant plus que certains fermeront à 50 ans) en respectant les prescriptions de sûreté qui seront imposées par l’ASN,
  3. mettre en service 14 nouveaux réacteurs de type EPR 2 entre 2035 et 2050, dont de très nombreux entre 2040 et 2050, et
  4. installer en complément une capacité significative (4 GW) de petits réacteurs nucléaires.

Cette projection pourra être amenée à évoluer avec le temps : sans réinvestissement dans la filière, sa capacité projetée à long terme continuera de diminuer, tandis qu’une décision rapide de relance pourrait conduire, ultérieurement, à revoir à la hausse ses perspectives.

Un parc de 50 GW est susceptible de produire de l’ordre de 325 TWh en 2050. Un tel volume représente, dans la trajectoire de consommation de référence, environ 50 % de la production d’électricité nationale.

Source
Réseau de transport d’électricité, « La production d’électricité : des perspectives intégrant des évolutions contrastées sur les énergies renouvelables et nucléaire », in Futurs énergétiques 2050, RTE, 2021, chapitre 4, 108-54.

Les besoins d’extensions de réseaux électriques
Le scénario N03 (avec le plus de nucléaire, rappelons-le) est celui qui nécessite de loin le moins d’extensions de réseaux de grand transport et régionaux : il ne nécessite qu’un peu plus de 11 000 km supplémentaires alors que le scénario M0 (100 % renouvelable) en nécessite près de 54 000, soit presque cinq fois plus. Ce résultat s’explique par le fait que les sources éoliennes et photovoltaïques sont de plus petites tailles et beaucoup plus réparties sur tout le territoire, avec des localisations parfois non connectées actuellement. Notons par ailleurs que l’ouverture de nouvelles lignes à haute tension suscitent des oppositions pratiquement aussi fortes que l’opposition à l’installation de nouvelles éoliennes.

Les besoins en métaux rares ou très demandés
RTE analyse également les besoins en métaux rares. Ils entrent surtout dans la composition des aimants permanents des éoliennes en mer et dans celle des batteries. Le cuivre est aussi devenu un métal jugé critique compte tenu de sa demande prévisible en très forte hausse dans tous les domaines de l’électrification de l’économie. Or, le scénario N03 en consomme deux fois moins que le scénario M0. Ce résultat est dû au fait qu’il faut beaucoup plus de cuivre par MWh produit dans les installations éoliennes et photovoltaïques que dans les grands alternateurs nucléaires (qui fonctionnent en équivalent pleine puissance pendant plus de 75 % du temps, contre 25 % pour l’éolien et moins de 15 % pour le photovoltaïque). De même, l’aluminium, quoique moins critique, est nécessaire pour le fort développement des réseaux, surtout dans le scénario M0.

Occupation des sols
Le scénario N03 est de loin celui qui occupe le moins d’espace. Comme l’indique RTE, « le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d’occupation de l’espace et de limitation des usages. Il peut s’intensifier sans exercer de pression excessive sur l’artificialisation des sols, mais doit se poursuivre dans chaque territoire en s’attachant à la préservation du cadre de vie. » Comparé au scénario N03, le scénario M0 requiert en effet un surplus de 70 % d’éoliennes terrestres, 280 % d’éoliennes en mer, 300 % de surfaces photovoltaïques et 325 % pour les grands parcs au sol qui devraient représenter, selon RTE, jusqu’à 250 000 ha. Les parcs photovoltaïques au sol occupent à peu près 10 000 ha actuellement et suscitent des tensions sur les espaces disponibles et par conséquent des oppositions, surtout lorsque cela implique de détruire des forêts, qui sont des puits de carbone naturels, pour les installer (ainsi par exemple le projet de parc solaire envisagé à Saucats en Gironde qui conduirait à couper 1 000 ha de forêt de pins : il fait l’objet d’un débat public [9] et suscite des controverses [10]).

Les besoins de « flexibilité » pour la stabilité du système électrique
Pour assurer un équilibre constant entre production et consommation, le système électrique doit pouvoir s’appuyer sur des « capacités de flexibilité ». Celles-ci doivent être d’autant plus substantielles que la part de sources intermittentes d’énergie est importante. Le scénario M0 nécessite plus de deux fois plus de nouvelles capacités de flexibilité que le scénario N03 (voir encadré sur la flexibilité ci-dessous).

Sources d’énergie intermittentes et « capacités de flexibilité »


La production d’électricité à partir de l’énergie éolienne et de panneaux solaires photovoltaïques est soumise à une forte variabilité (jour/nuit, été/hiver, conditions météorologiques) et doit être couplée avec d’importantes capacités d’adaptation fournies par d’autres éléments du système électrique : moyens « pilotables » qui modulent leur production, moyens de stockage/déstockage d’énergie, importations et enfin flexibilité de la demande d’électricité. C’est ce qu’on appelle des capacités de « flexibilité ». Même un système sans énergies intermittentes a besoin de capacités de flexibilité pour pouvoir s’adapter à la variation de la consommation et aux défaillances de certains éléments du système électrique (pannes d’une centrale de production, incident sur le réseau, etc.). Mais le besoin est alors beaucoup moins important.

Ces capacités de flexibilité peuvent se présenter sous forme d’unités de production que l’on sollicite davantage, à la hausse ou à la baisse 1, (c’est le moyen très largement dominant aujourd’hui), de stockage/déstockage d’énergie ou de consommations des utilisateurs que l’on réduit (ou que l’on sollicite à la hausse, en avançant des usages pour profiter d’une production solaire surabondante, par exemple).

Dans son scénario « 100 % énergies renouvelables » pour 2050 [1], RTE prévoit une capacité totale de flexibilité de 118 GW. Il fait reposer cette capacité, par ordre décroissant, sur : les importations d’électricité depuis les pays voisins (39 GW, soit 33 %), de nouvelles centrales thermiques utilisant un gaz non fossile (29 GW, soit 24 %), du stockage à base de batteries (26 GW, soit 22 %), une modulation des consommations des utilisateurs (15 GW, soit 12 %), des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP, 8 GW, soit 7 %) et, enfin, la modulation des charges des batteries des véhicules électriques connectés (moins de 2 %).

La puissance disponible de ces capacités de flexibilité (mesurée en GW) est un indicateur incomplet. Il faut en effet prendre en compte la dimension temporelle (les besoins peuvent être limités à une heure, ou s’étendre sur plusieurs jours, semaines ou mois, conduisant à des quantités d’énergie très différentes) et toutes les technologies ne sont pas polyvalentes. Ainsi, RTE rappelle que les batteries ne sont adaptées que pour un stockage journalier. La flexibilité à long terme (à l’échelle inter-saisonnière) serait assurée dans le cadre du développement de l’économie de l’hydrogène, partie prenante des scénarios prospectifs (stockage de l’hydrogène produit par électrolyse et modulation dans le temps du fonctionnement des électrolyseurs).

Le scénario « 100 % énergies renouvelables » de RTE se distingue de son scénario « 50 % de nucléaire » par un très fort besoin en stockage par batteries (26 fois plus) et le recours à de nouvelles centrales thermiques utilisant du gaz renouvelable (essentiellement hydrogène).

On mesurera l’importance du défi technologique et économique représenté par ce scénario « 100 % énergies renouvelables » en rapportant les besoins de flexibilité à ce qui est aujourd’hui disponible et utilisé par le système électrique français. Selon RTE [2], au 31 décembre 2020, il y a 0,04 GW (40 MW) de stockage batterie (il faudra multiplier par 500). La flexibilité long terme du scénario « 100 % renouvelable » repose en large part sur une économie de l’hydrogène à créer. Quant aux importations, elles ont atteint au moment le plus fort de l’année 2020 une puissance de 10 GW [3]. Les 39 GW (quatre fois plus) attendus des pays voisins seront-ils disponibles si eux-mêmes suivent une trajectoire similaire ?

Aujourd’hui, avec 5 GW, les STEP représentent la quasi-totalité de la capacité de stockage de l’électricité en France (et ce constat est, en général, également vrai à l’échelle mondiale). Les possibilités de développement de nouvelles capacités de STEP en France sont limitées, ce qui explique qu’entre 2020 et 2050, RTE n’en prévoit qu’une augmentation très marginale (passer de 5 GW à 8 GW) malgré la grande efficacité de ce moyen de stockage.

Références
1 | Réseau de transport d’électricité, « Futurs énergétiques 2050 : les scénarios de mix de production à l’étude permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 », conférence de presse, 25 octobre 2021. Sur rte-france.com
2 | Réseau de transport d’électricité, « 40 MW : capacité installée de stockage par batterie », Bilan électrique, 2020. Sur bilan-electrique-2020.rte-france.com
3 | Réseau de transport d’électricité, « 43,2 TWh : solde France des échanges d’électricité », Bilan électrique, 2020. Sur bilan-electrique-2020.rte-france.com

La Muse de l’Électricité, Henry Siddons Mowbray (1858-1928)

Conclusion

L’étude « Futurs énergétiques 2050 » de RTE montre que, parmi les six scénarios analysés, celui qui affiche le plus de nucléaire (50 % de la production) présente les meilleures performances dans la totalité des domaines étudiés. Rappelons cependant que ce scénario prévoit bien, néanmoins, un développement important des énergies renouvelables (environ 10 % à partir de l’hydraulique existant et 40 % à partir de sources intermittentes) sans lesquelles la neutralité carbone ne peut être atteinte. RTE précise que le facteur limitant en termes de capacité du nucléaire est la capacité de la filière industrielle (voir dernier encadré).

Le scénario « 100 % renouvelable », non seulement n’est pas validé à ce jour du point de vue de la sécurité de fonctionnement (voir plus haut les « quatre ensembles de conditions strictes » citées par RTE dans son rapport commun avec l’AIE, qui ne sont actuellement pas satisfaites), mais RTE n’a pas démontré à ce jour dans son étude qu’il serait capable de satisfaire des consommations nettement plus élevées requises par une forte réindustrialisation du pays ou par une très forte électrification des usages.

Références


1 | Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « La sécurité des activités d’importance vitale », octobre 2016. Sur sgdsn.gouv.fr
2 | International Energy Agency, Réseau de transport d’électricité, « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 », synthèse, 2021. Sur assets.rte-france.com
3 | Réseau de transport d’électricité, « Futurs énergétiques 2050 : les scénarios de mix de production à l’étude permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 », conférence de presse, 25 octobre 2021.Sur rte-france.com
4 | Ministère de la Transition écologique, « Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) », mars 2020. Sur ecologie.gouv.fr
5 | Association négaWatt, « Scénario négaWatt 2022 : la transition énergétique au cœur d’une transition sociétale », présentation, 26 octobre 2020. Sur negawatt.org
6 | Académie des sciences, « L’apport de l’énergie nucléaire dans la transition énergétique, aujourd’hui et demain », avis, 8 juillet 2021.
7 | Académie des technologies, « Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050 », avis, 10 mars 2021.
8 | Agence pour la transition écologique, « Centre de ressources sur les bilans de gaz à effet de serre », bilans GES, 28 septembre 2021. Sur bilans-ges.ademe.fr
9 | « Le projet Horizéo en résumé », débat public plateforme photovoltaïque, 9 septembre 2021. Sur debatpublic.fr
10 | Maisiat J, « Projet Horizéo : des interrogations sur la déforestation lors du premier débat public », France Bleu Bordeaux, 10 septembre 2021.

1 Les besoins de flexibilité à la hausse correspondent aux périodes où les sources d’énergies intermittentes produisent peu ou pas du tout. Les besoins de flexibilité à la baisse correspondent aux moments où cette énergie est surabondante : ce sont des périodes où le stockage – hydraulique, sous forme de gaz de synthèse ou dans des batteries – pourra être utilisé avec profit.

Publié dans le n° 339 de la revue


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L' auteur

Georges Sapy

Ingénieur ayant fait toute sa carrière dans le groupe EDF, dans la R&D puis dans l’ingénierie des moyens de (...)

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