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Gènes du retard mental et de l’intelligence

Publié en ligne le 20 mars 2010 - Cerveau et cognition -

L’intelligence est, en soi, un sujet assez controversé. Mais encore plus controversé est l’association entre génétique et intelligence. Pendant longtemps, les polémiques se sont développées sur la base d’un ensemble de données relative-ment restreintes que sont les études d’héritabilité, les études de jumeaux, les études d’adoption etc. Globalement, ces études montrent que plus des personnes sont similaires génétiquement, plus leurs scores d’intelligence sont proches. Ce qui conduit à dire que l’intelligence est héritable à tant de pour-cent et qu’il y a donc des influences génétiques sur l’intelligence. Le problème est que cela reste incomplet comme base d’argumentation. Une fois qu’on a dit qu’il y a des influences génétiques sur l’intelligence, la question immédiate qui se pose est de savoir lesquelles. Et comment elles se manifestent. Les résultats de recherches récentes en génétique moléculaire, tant sur le développement du cerveau que sur le développement des fonctions cognitives chez l’enfant, permettent de donner un petit peu de substance à l’idée qu’il y a une contribution génétique à l’intelligence.

Mesurer l’intelligence

Lorsque l’on veut mesurer l’intelligence de quelqu’un, typiquement, on lui administre toute une batterie de tests qui sont assez différents les uns des autres et qui sont censés mesurer des aspects différents du fonctionnement cognitif de l’individu. La batterie de Wechsler, la plus utilisée, contient une dizaine de tests, tels qu’un test d’arithmétique, un test de mémoire verbale où il faut retenir des chiffres, un test où il faut compléter des images etc. Et tous ces tests-là sont supposés mesurer des fonctions cognitives telles que celles indiquées sur le schéma. Ce n’est pas une liste exhaustive.

La vitesse de traitement de l’information serait une composante possible. De même, les capacités d’attention, les capacités de mémoire à long terme, à court terme, les capacités verbales, les capacités de calcul, les capacités visuo-spatiales sont toutes des fonctions cognitives dont on peut penser que ce sont des composantes qui contribuent à l’intelligence.

La grande découverte, qui date déjà maintenant de la première moitié du XXe siècle, est que les scores obtenus par les gens dans tous ces tests sont forte-ment corrélés entre eux : quand une per-sonne est bonne à un test, elle a de fortes chances d’être bonne aux autres tests, et vice-versa. Cette constatation a conduit à une formulation théorique de ce fait statistique : à savoir qu’il y a un facteur sous-jacent, unique, qui explique la majeure partie des variations dans ces différentes composantes. C’est ce qu’on va appeler le facteur g, pour « intelligence générale » 1

C’est avant tout une réalité statistique. C’est-à-dire que quand on fait une analyse factorielle des scores 2 dans tous les tests on obtient un facteur unique qui explique la majeure partie de la variance. Néanmoins il y a plu-sieurs manières d’interpréter ce fait. Est-ce que ce facteur g correspond à une véritable entité cognitive, en terme de traitement de l’information, ou biologique, représentant une propriété du cerveau ? Ou n’a-t-il qu’une réalité statistique ?

Génétique et fonctions cognitives

Il faut bien distinguer la détection des variations génétiques qui influencent l’intelligence de la détection des variations génétiques qui peuvent engendrer des retards mentaux. Les scores de QI dans une population sont répartis selon une distribution gaussienne (une courbe en cloche), avec la majorité des gens qui sont au milieu, autour de la moyenne, certains qui ont des scores très élevés, et d’autres qui ont des scores moins élevés.

On peut aussi se demander quels sont les facteurs génétiques qui font qu’une partie de la population se retrouve dans la queue de la distribution plutôt qu’au milieu. Mais on peut aussi se demander quels sont les facteurs génétiques dont les variations peuvent induire de la variation au cœur de la distribution. C’est une question différente. Il est parfaitement possible et concevable que la réponse à ces deux questions soit en partie la même. C’est-à-dire que les mêmes facteurs génétiques aient des variations qui influencent à la fois les pathologies de l’intelligence et les variations dans l’intelligence normale. Mais il peut aussi y avoir des différences. En fait, la recherche montre des différences extrêmement importantes. Pensons qu’il y a déjà environ 300 gènes qui ont été associés de manière fiable à différentes formes de déficience intellectuelle. 300 gènes, c’est énorme. Là, les données sont extrêmement solides. Pourtant, on peine à trouver des gènes qui sont associés aux variations normales de l’intelligence, dans le cœur de la distribution.

Pourquoi une telle différence ? Premièrement, il y a simplement une facilité méthodologique dans la déficience intellectuelle, qui est que l’effet qu’on observe est massif, et donc facile à détecter. Il est beaucoup plus facile à mesurer, et les phénomènes qui se produisent sont beaucoup plus catastrophiques à tous les niveaux, à la fois au niveau génétique, au niveau cérébral, et au niveau cognitif.

La deuxième raison, c’est que la cognition humaine, l’intelligence, est un édifice extrêmement complexe et fragile, auquel on peut porter atteinte de multiples manières. Pour prendre une métaphore, il y a dans une voiture de nombreuses pièces dont la déficience peut empêcher de rouler : le démarreur, les pistons, l’huile, la transmission, l’embrayage, les roues, etc. Alors que de petites variations des mêmes pièces peuvent avoir un effet beaucoup plus modeste sur la vitesse du véhicule. De même, dans l’intelligence humaine, il y a de nombreux gènes essentiels dont des mutations peuvent avoir des conséquences dramatiques sur le cerveau et engendrer une déficience intellectuelle. En revanche, des variations courantes de ces mêmes gènes peuvent n’avoir aucun effet sur les variations de l’intelligence, ou bien un effet très petit et à la limite du mesurable, quoique significatif tout de même.

Par exemple la phénylcétonurie est une maladie génétique qui affecte environ 1 naissance sur 10 000. Elle résulte de la mutation d’un gène maintenant bien connu, l’hydroxylase de la phénylalanine, une enzyme qui digère la phénylalanine, un acide aminé qui se trouve dans beaucoup de nos aliments. La mutation de ce gène, qui perturbe la digestion de la phénylalanine, fait que cet acide aminé s’accumule dans le cerveau et finit par nuire à son développement. À tel point qu’elle peut induire une déficience intellectuelle importante. Accessoirement, il y a une solution simple pour prévenir cette conséquence, qui consiste à adopter un régime pauvre en phénylalanine, et c’est pour cette raison qu’on fait le fameux test de Guthrie dès la naissance dans toutes les maternités. Ce test permet de détecter les enfants qui ont la phénylcétonurie de manière à ce qu’ils adoptent le régime adapté jusqu’à l’adolescence.

On a donc un gène qui est incontestablement un « gène de la déficience intellectuelle », dans le sens où une de ses mutations engendre une déficience intellectuelle. Et pourtant, des variations plus courantes de ce gène n’ont aucune influence sur l’intelligence. En l’occurrence, ce n’est pas un gène qui est véritablement associé à l’intelligence. C’est plutôt un gène de la digestion. Cela illustre bien les différences entre l’étude de la déficience intellectuelle et l’étude de l’intelligence normale.

On peut en voir encore une autre illustration dans l’étude récente de deux gènes très intéressants. Les gènes ASPM et Microcéphaline sont des gènes qui régulent la taille du cerveau au cours du développement. La taille du cerveau est un candidat potentiel pour expliquer des variations dans l’intelligence. On sait aussi que des mutations de l’un ou l’autre de ces gènes peuvent provoquer des microcéphalies, c’est-à-dire des enfants qui ont un cerveau anormalement petit. Sans surprise, les microcéphalies sont généralement accompagnées de déficiences intellectuelles. Cela suggère que ces gènes sont de bons candidats pour être aussi des gènes qui régulent les variations normales de la taille du cerveau et donc éventuellement des variations de l’intelligence.

Une autre donnée intéressante est que des allèles (des variations courantes au sein de la population) de ces deux gènes sont apparus extrême-ment récemment dans l’espèce humaine, il y a moins de 10 000 ans, et ont fait l’objet d’une importante pression de sélection. Tout suggère qu’effectivement une nouvelle version de ces gènes qui, peut-être, augmenterait la taille du cerveau et l’intelligence chez l’être humain serait apparue récemment et se serait rapidement propagée au sein de la population humaine. Voilà un scénario très intéressant. Cela conduit tout de suite à se demander si des allèles de ces deux gènes pourraient être responsables de variations normales de la taille du cerveau ? Il se trouve que plusieurs études ont recherché l’association de ces allèles avec le volume du cerveau ou le périmètre crânien, et n’en ont trouvé aucune.

De même, si on regarde l’association de ces allèles avec les scores de QI, là encore la réponse est non. Ces deux gènes ne sont pas associés à des variations normales ni dans le volume du cerveau, ni dans l’intelligence. Encore une fois, des gènes impliqués dans des retards mentaux, paraissant d’excellents candidats pour expliquer également dans les variations normales de l’intelligence, déçoivent sur ce point.

Y a-t-il vraiment des gènes qui semblent associés à l’intelligence générale parmi ceux déjà étudiés ? D’une part, comme on l’a dit, on connaît un grand nombre de gènes associés à des retards mentaux et à des troubles du développement cognitif. En dehors de la pathologie, il y a aussi un petit nombre de gènes qu’on commence à connaître, qui semblent associés à des fonctions cognitives relativement spécifiques. Cela peut être l’attention focalisée, la capacité à ignorer les distracteurs, la mémoire de travail, l’apprentissage à partir des erreurs, la détection de stimuli nouveaux. En revanche, contrairement à ce que l’on observe dans les troubles, les effets des variations de ces gènes sont relativement faibles, voire extrêmement faibles. Quelquefois, les variations d’allèles de ces gènes expliquent seule-ment 1 % de la variance, voire moins. On peut soupçonner que les premiers gènes à avoir été identifiés étaient les plus faciles à trouver, c’est-à-dire ceux qui expliquaient la plus grande partie de la variance. Donc, ceux qui restent à trouver, expliquent probablement moins de 1 % de la variance. Mais, ils sont très nombreux et leurs effets se cumulent. Donc, ces gènes influencent les capacités cognitives, qui elles-mêmes influencent la performance dans les tests de QI. On peut donc considérer qu’il y a un grand nombre de gènes qui ont des petits effets sur les fonctions cognitives et, a fortiori, de manière encore plus indirecte, des tous petits effets sur les variations dans les performances dans les tests de QI. Et de nombreux facteurs génétiques influencent chacun de multiples propriétés cérébrales. Ce qui fait que tous ces facteurs sont croisés et induisent des corrélations dans tous les sens, ce qui donne à la fin l’impression qu’il y a un facteur g cognitif et biologique unique qui explique tout. Mais on peut penser en fait que c’est juste une réalité statistique, et qu’il n’y a pas de fondement cognitif et biologique unique.

Du rôle de l’environnement

L’environnement compte aussi, évidemment. Il y a de nombreux facteurs génétiques qui influencent le développement de l’intelligence. Chacun a un effet faible, mais au total leur influence est importante. Et néanmoins, les facteurs environnementaux ont aussi une influence importante. Quand on dit que le QI est héritable à 60 %, ça veut dire que les facteurs environne-mentaux contribuent pour 40 % de la variance, ce qui n’est pas négligeable. On pense par exemple à l’effet Flynn, qui est que le QI de la population augmente d’à peu près 3 points tous les 10 ans. Ceci n’est pas attribuable à des changements génétiques au sein de la population, mais probablement à des facteurs environnementaux relativement généraux comme l’amélioration de la nutrition, de la santé, et l’évitement d’un certain nombre de facteurs de risque en terme d’exposition prénatale aux virus et aux toxines, qui ont une influence sur le développement du cerveau du fœtus. Et évidemment, il y a des facteurs environnementaux plus « traditionnels » tels que la qualité des interactions dans l’environnement familial ou social. L’enseignement aussi aide au développement de l’intelligence. Bien entendu, les influences génétiques ne suffisent pas à déterminer le destin de l’individu. Tout est une question d’interaction entre des prédispositions génétiques et des facteurs environnementaux. Ce qui veut aussi dire que même des inégalités qui sont fortement influencées génétiquement ne sont pas nécessairement inéluctables, elles peuvent être au moins en partie comblées par des compensations environnementales. Par exemple, lorsqu’on propose une rééducation orthophonique à un enfant dyslexique, c’est exactement ce qu’on fait. L’enfant dyslexique a un déficit qui peut être en partie d’origine génétique, et néanmoins, il n’est pas condamné à être non-lecteur toute sa vie. Avec un enseignement approprié, avec une rééducation appropriée et un environnement favorable, il peut compenser dans une certaine mesure, et donc il faut jouer sur l’environnement pour compenser les désavantages génétiques.

1 Pour une discussion plus détaillée sur le facteur g, voir l’article de Nicolas Gauvrit : « La structure de l’intelligence. Facteur g ou pas facteur g ? ».

2 Analyse statistique permettant de mettre en évidence un nombre limité de facteurs expliquant les variations observées.


Publié dans le n° 289 de la revue


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L' auteur

Franck Ramus

Directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l’École normale supérieure. Il dirige l’équipe « (...)

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