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Le livre noir de l’autisme

Publié en ligne le 16 avril 2021
Le livre noir de l’autisme

Olivia Cattan
Cherche midi, 2020, 288 pages, 19 €

Cette note de lecture est suivie d’un extrait de l’ouvrage, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.

Selon Santé publique France, l’autisme toucherait 120 000 personnes en France. La réalité des troubles de ce qui est désormais désigné sous le l’expression de « spectre autistique » couvre des problèmes extrêmement différents, allant de formes sévères avec de graves conséquences neurologiques et comportementales au syndrome d’Asperger où les difficultés dans les interactions sociales ne s’accompagnent d’aucun déficit intellectuel. Une des ambitions de la « stratégie nationale pour l’autisme » mise en place par le gouvernement français en 2018 est de remettre la science au cœur de la politique publique sur le sujet.

Dans ce contexte, Le Livre noir de l’autisme nous apporte un témoignage et un éclairage inquiétants. La science a longtemps été mise à l’écart au profit des approches psychanalytiques dont la « vieille garde [continue] de considérer l’autisme comme un trouble psychique lié à une mère frigidaire » préconisant des prises en charge inadaptées. Se pourrait-il désormais que la psychanalyse se voie remplacée par une cour des miracles de thérapies alternatives non validées et parfois dangereuses ? Que les enfants autistes servent de cobayes à des praticiens peu scrupuleux pour des essais cliniques illégaux ? Et que, finalement, le « désert médical et scientifique » dénoncé par Olivia Cattan se retrouve en partie occupé par de nouvelles pratiques charlatanesques ?

Le Charlatan arracheur de dents - Theodoor Rombouts (1597-1637)

L’auteure, est à la fois présidente de l’association SOS autisme France, la mère de Ruben, un enfant autiste, mais aussi journaliste. Elle nous livre un récit qui s’appuie sur de nombreux témoignages de parents. On découvre les « fausses promesses de guérison que de nombreux marchands de rêves […] vendent continuellement pour s’enrichir sur l’autisme de nos enfants » et des thérapeutes qui profitent du profond désarroi de parents qui veulent le meilleur pour leurs enfants. Les adresses de « bons thérapeutes » sont discrètement communiquées au sein de groupes de parents sur les réseaux sociaux.

Le propos est toujours très empathique, d’autant plus qu’Olivia Cattan témoigne comment elle-même a d’abord été conduite par un de ces thérapeutes à essayer un régime sans gluten pendant trois semaines. Elle décrit « de l’intérieur » le cheminement d’une mère qui souhaite au plus profond aider son enfant. C’est cette motivation qui anime tous les parents d’enfants autistes et qui peut les conduire, avec les meilleures intentions du monde, à laisser leurs enfants entre les mains de praticiens peu scrupuleux. En revanche, on sent poindre une révolte justifiée contre ces médecins et leurs théories archaïques qui développent de florissantes affaires au détriment de la santé des enfants : hypnose, auriculothérapie, zoothérapie, neurofeedback, oxygénothérapie hyperbare, chélation (élimination des métaux lourds), antibiothérapies de longue durée, régimes alimentaires restrictifs, régimes sans gluten ni caséine, traitements à base de chlore ou d’eau de Javel… Le tout sur fond de théories parfois ahurissantes, mais parfois habillées des atours de la science et promues par des scientifiques en marge de leur communauté. Les vaccins, la pollution environnementale, les chemtrails, la bactérie responsable de la maladie de Lyme, le stress oxydatif ou les ondes électromagnétiques remplacent l’explication psychanalytique de la « relation mortifère » de la mère à son enfant.

Dans une seconde partie de l’ouvrage, c’est une enquête minutieuse et rigoureuse qui prend place. Les allégations médicales et scientifiques sont reprises une par une et confrontées aux avis des agences sanitaires et à l’état des connaissances scientifiques.

Chronimed est l’une des associations qui entend donner une apparence scientifique à ces prises en charge dénuées de tout fondement scientifique. Parmi les membres fondateurs de ce regroupement de médecins créé en 2012, on retrouve le Pr Luc Montagnier (prix Nobel de médecine et très controversé pour ses nombreuses prises de position sur la « mémoire de l’eau », les vertus de la papaye contre la maladie d’Alzheimer, le lien entre la vaccination et l’autisme et, tout récemment, la prétendue création du virus de la Covid-19 dans un laboratoire). Mais on retrouve aussi, dans les fondateurs, les promoteurs de la théorie alternative de la « maladie de Lyme chronique » dont le Pr Christian Perronne (qui relaie la rumeur selon laquelle il y aurait eu une « exposition cachée » de la maladie de Lyme « due à une prolifération mal contrôlée de tiques trafiquées par un chercheur nazi réfugié aux États-Unis » 1). Ils affirment ainsi que de nombreuses pathologies (autisme, pathologies neurodégénératives, « maladie de Lyme chronique », syndrome de fatigue chronique, etc.) seraient en réalité des « infections froides » d’origine bactérienne, virale ou parasitaire exploitant une prédisposition génétique, psychologique ou environnementale. Les médecins de Chronimed expérimentent depuis des années leurs protocoles sur des enfants autistes dans des essais cliniques sans aucune autorisation légale. C’est ce que Le Livre noir de l’autisme révèle, documents et références à l’appui. Face au manque de réaction des autorités, O. Cattan interroge : « Ne serait-il pas légitime d’évoquer un scandale d’État lorsque des enfants en situation de handicap, jugés d’autant plus vulnérables, sont utilisés pour tester des “protocoles médicamenteux” sans […] autorisation des agences de santé ? »

L’auteure du Livre noir de l’autisme raconte toutes ses démarches pour dénoncer cette situation, ses rencontres avec des ministres, des secrétaires d’État, ses alertes lancées en direction de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), du conseil de l’Ordre des médecins, de l’Assemblée nationale et du Sénat. Elle constate avec amertume n’avoir vu, en retour, que des opérations de communication : « Nous n’avons jamais autant parlé d’autisme, à travers des romans, des fictions, des reportages… Et nous n’avons jamais vu autant de désespoir et de colère. »

Partageons la conclusion du livre : « Trop de générations d’enfants autistes ont été sacrifiées. Nous n’accepterons pas qu’il y en ait une de plus. » En témoignant, en informant, en documentant, O. Cattan nous propose un ouvrage indispensable.


EXTRAITS DU LIVRE NOIR DE L’AUTISME (OLIVIA CATTAN)

Autisme, antibiotiques et essais sur les enfants

Malgré les campagnes nationales de santé publique et leurs slogans – « Les antibiotiques, c’est pas automatique », « Les antibiotiques sont précieux, utilisons-les mieux » –, l’autisme ne semble pas concerné par cette mise en garde, puisque des milliers d’enfants ont été depuis de nombreuses années gavés d’antibiotiques pour « soigner » leur autisme, et continuent de l’être par des médecins appartenant au mouvement biomédical. Ce traitement, appelé « protocole Chronimed », associe antibiotiques, antifongiques et antiparasitaires, et s’accompagne d’un régime spécifique et de compléments alimentaires – parfois même d’une chélation 2.

Cette antibiothérapie est prescrite au long cours, avec des périodes de pause de quelques jours. Comme ces médicaments ne sont pas recommandés pour soigner l’autisme, le médecin responsable de cette prescription est tenu d’inscrire la mention « hors AMM 3 » sur l’ordonnance, ce qui entraîne son non-remboursement par la Sécurité sociale. Le patient doit être prévenu des risques encourus et y consentir explicitement. Dans le cas d’enfants autistes mineurs ou non verbaux, ce sont les parents qui donnent leur accord.

Pourtant, aucune mention « hors AMM » ne figure sur les ordonnances que nous avons pu nous procurer. Mais ce n’est pas le plus grave.

Ce « protocole expérimental », non recommandé par la HAS (Haute autorité de santé), est dangereux pour la santé de ces milliers d’enfants. Non seulement il provoque de graves effets secondaires, mais il expose au risque de développer une antibiorésistance lourde de conséquences. Enfin, sur une période aussi longue, il peut également provoquer des pathologies sévères, allant jusqu’à la mise en danger de leur vie.

Comme en témoigne le Pr Alain Astier, professeur de pharmacie clinique et biotechnique, chef du pôle de pharmacie des hôpitaux universitaires Henri-Mondor et de la faculté de médecine Paris XII, que j’ai interviewé : « J’avais entendu parler de ces traitements associant antibiotiques, antifongiques, antiparasitaires, antiviraux, suivis d’une “chélation”, traitements à fortes doses et de longue durée, basés sur des hypothèses non validées scientifiquement, fussent-elles soutenues par un prix Nobel comme le Pr Luc Montagnier. Mais sincèrement je ne pensais pas que cela s’adressait à des enfants autistes, et qu’il y avait autant de médecins qui les pratiquaient. Je dois avouer que je suis sidéré ! C’est invraisemblable que l’on pratique ce genre de pseudo-traitements dans notre pays. Les antibiotiques sont certes efficaces, mais uniquement contre les bactéries ! Et l’autisme n’est pas dû à une bactérie ! C’est une maladie du développement complexe liée originellement à plusieurs gènes et à l’environnement de ce génome. Aucune étude scientifique n’a validé jusqu’à présent cette thèse d’un possible traitement par cette association d’agents anti-infectieux. Dans certaines ordonnances que j’ai lues, des cocktails d’antibiotiques sont prescrits sur du long terme, de six mois à plusieurs années. Il y a évidemment beaucoup d’effets indésirables avec ce genre de prescriptions, notamment des diarrhées chroniques et la possibilité d’une colite pseudo-membraneuse qui peut se développer chez le jeune enfant. C’est une maladie grave qui peut aller jusqu’à la mort. Utiliser des produits actifs de cette façon est une folie pure ! Prescrire par exemple de l’azithromycine (Zithromax®) pour deux mois est invraisemblable, puisqu’il ne doit être prescrit que pour quelques jours au maximum, ce qui est stipulé clairement dans son autorisation de mise sur le marché qui figure dans toutes les recommandations officielles. Son utilisation sur plusieurs mois peut conduire à de dramatiques dommages, surtout sur de jeunes enfants comme c’est le cas ici ! »

Le premier médecin qui aurait réussi à « améliorer et même à guérir des personnes souffrant de schizophrénie, de psychose maniaco-dépressive, de troubles obsessionnels compulsifs ou d’autisme par des antibiothérapies prolongées » [1] serait le Dr Philippe Bottero. Dans un document [2], ce médecin généraliste explique qu’en 1989 il a traité un enfant autiste de douze ans dont « la sérologie était positive au départ pour certaines variétés de rickettsies » 4 et que le traitement a duré « quatorze mois ». Il affirme que « tous les symptômes majeurs ont été très améliorés, y compris la fatigue et l’hypotonie ». Il écrit également que, si un traitement ne fonctionne pas au bout de six mois, il faut « traiter une maladie de Lyme cachée, associée ». Puis il ajoute avoir soigné un « deuxième cas en 2005 » et obtenu « une guérison clinique ». Le traitement prescrit par les infectiologues qu’il décrit dans ce document est composé « d’antibiothérapie (cyclines, macrolides...) très prolongée ou en cures intermittentes » associée à un antiparasitaire, des bains d’algues chauds, des vitamines et une alimentation saine... Il évoque la nécessité de « coopérer étroitement avec la médecine vétérinaire » ; de réaliser « des enquêtes épidémiologiques, ethniques, socio-culturelles » ; et de faire « une mise au point de préventions et de vaccins ». Il parle aussi de l’impact de l’environnement et des métaux lourds, des ondes électromagnétiques et de la radioactivité...

Mais c’est en 2006 que le Dr Bottero rencontre le Dr Raymond, généraliste près de Valence [1]. Ce « protocole » médicamenteux expérimental va être donné à des milliers d’enfants par une soixantaine de médecins sur plusieurs années d’après ce document [3]. Les résultats obtenus seront notés, consignés dans un rapport portant le nom du Dr Raymond [4] et publié sur un site Internet. Il existe plusieurs documents publiés à différentes dates, où le nombre des patients varie, laissant peut-être penser que cette « étude » est évolutive.

Dans une de ces versions, intitulée « Autisme et maladie de Lyme » [5], « 97 enfants » auraient été traités par ce protocole antibiotique. Il y a « 73 diagnostics d’autisme ; 10 TED 5 ou autistes atypiques, TSA ; 4 syndromes de Dravet (autisme + EMSN) ; 2 syndromes de Rett ; 3 syndromes d’Asperger ; 3 épileptiques + retard mental ; 2 syndromes de Gilles de La Tourette » ; 88 % de ces enfants ont entre deux ans et demi et douze ans. L’âge maximal est de vingt-neuf ans et l’âge minimal de quinze mois.

D’autres médecins et chercheurs, cités à la page 34 du rapport, auraient obtenu des « résultats identiques ».

Le protocole de traitement administré à ces enfants est indiqué à la suite : « Antibiothérapie par cure (macrolides azithromycine) + antifongiques (Triflucan®) + Fluvermal®, puis Flagyl® + correction des carences ; Zinnat® ou ceftriaxone si borréliose résistante ; régulièrement pendant les six premiers mois puis espacement (on ne traite que si rechute) ; relais par antibactériens et immunostimulants : phyto, HE, homéo, antioxydants, oméga-3, compléments alimentaires. »

Concernant les résultats de cette étude, il y aurait « 55 % d’améliorations rapides et régulières ; 28 % d’améliorations lentes et régulières, ou en dents de scie ; et 17 % d’échecs ou arrêts de traitement ». Figure également l’historique de ce protocole antibiotique sur des enfants autistes : premier cas traité par antibiotique, Ph. Bottero, 1987 ; réels débuts, 2005 ; novembre 2009 : 2 médecins, 30 enfants.

C’est en 2009 que le Dr Raymond aurait rejoint le Pr Montagnier et d’autres médecins afin de fédérer les recherches de chacun, lors de la réunion de deux associations, Ariane et Adno [2], dirigées respectivement par deux médecins généralistes. Une réunion intitulée « Stress oxydant et infections chroniques froides dans les pathologies neurodégénératives, le syndrome de fatigue chronique et l’autisme ».

Dans le document présentant cette réunion, le Dr Rueff, premier président de Chronimed, décrit l’approche du groupe et ce qui les a réunis. En voici quelques extraits [2] : « Lorsque nous avons envisagé avec mon amie et consœur Corinne Skorupka le programme de cette réunion commune, je pensais que nous allions approfondir ce concept auquel je suis attaché depuis le début de mon exercice médical : celui d’une médecine la plus étiologique et la plus globale possible [...]. Notre curiosité et notre volonté d’apporter le plus possible à ces patients nous a poussés, avec d’autres confrères [...], à nous intéresser à l’homéopathie (on y reviendra avec Luc Montagnier), à l’immunothérapie, à la diététique, à la supplémentation nutritionnelle, [...] à la recherche et éviction des intolérances alimentaires, [...] au problème de l’intoxication chronique en provenance de l’environnement, qu’il s’agisse de métaux lourds, de substances médicamenteuses [...]. Avec cette approche multifactorielle, bien que nous ayons eu de nombreux résultats aussi satisfaisants pour nos patients que pour nous, parfois définitifs mais souvent inconstants, nous avions l’impression qu’il nous manquait encore des éléments essentiels de ce puzzle complexe. La rencontre avec les Dr Bottero et Raymond nous a convaincus qu’avec le dépistage et le traitement des infections froides à mycobactéries, nous tenions alors une pierre fondatrice de tout cet édifice [...]. Le travail et la réflexion que mène Luc Montagnier à la fois sur les nanobactéries et l’importance de la structure de l’eau est un continuum vivant et dynamique de toute cette recherche [...]. Nous tenons ici à le remercier tout particulièrement pour son esprit à la fois profondément humanitaire, au sens noble du terme, et constamment novateur, qui le mènera certainement à d’autres récompenses internationales. »

C’est ainsi que l’association Chronimed est créée de façon informelle, en 2009 [6]. Il faudra attendre le 18 février 2012 pour qu’elle ait une existence officielle, avec le dépôt des statuts en préfecture.

Références données dans le livre

1 | Perronne Ch, La Vérité sur la maladie de Lyme, Odile Jacob, 2017.
2 | « Stress oxydant et infections chroniques froides dans les pathologies neurodégénératives, le syndrome de fatigue chronique et l’autisme », colloque Adno-Ariane, 29 novembre 2009. Sur lymeaware.free.fr
3 | Lettre signée du docteur Raymond, 20 janvier 2018. Sur ledroitdeguerir.com
4 | Raymond P, « Infections chroniques à chlamydiae pneumoniae, trachomatis et mycoplasma et mycoplasma pneumoniae : analyse sémiologique sur 137 cas et proposition de traitement », présentation au congrès Adno-Ariane novembre 2019.
5 | « Autisme et maladie de Lyme », présentation 7 juin 2014, sur associationlymesansfrontieres.com
6 | La page Wikipédia sur Chronimed.

Certains des documents cités en références ont été effacés des sites qui les hébergeaient. L’auteur du livre dispose des copies de tous ceux cités dans l’ouvrage, et la rédaction de SPS dispose de ceux relatifs aux extraits cités ici.

1 Journal du Dimanche, 18 septembre 2016.

2 Chélation : méthode d’élimination des métaux lourd du corps [note de la rédaction de SPS].

3 Le « hors AMM » correspond à une prescription pour d’autres indications que celles pour lesquelles le médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché.

4 Bactérie généralement inoculée à l’Homme par des hématophages (tiques, poux, acariens).

5 TED : trouble envahissant du développement [note de la rédaction de SPS].

Publié dans le n° 335 de la revue


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Auteur de la note

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences

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Autisme

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) résultent d’anomalies du neurodéveloppement. Ils se manifestent par des altérations dans la capacité à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des anomalies comportementales. Malgré la diversité des troubles et les capacités d’insertion sociale très variables de ces personnes, l’autisme est reconnu comme un handicap en France depuis 1996.
Source : Inserm

Dossier Autisme

Le 6 novembre 2016