Jean-Claude Pecker et la renaissance de l’Observatoire de Nice
Publié en ligne le 9 août 2024 - Astronomie -
Les deux textes que nous publions ici sont extraits du livre La Renaissance de l’Observatoire de Nice (Jean-Claude Pecker et Gilles Bogaert, éditions Z4, 1969). Reproduits pour Science et pseudo-sciences avec l’aimable autorisation de Gilles Bogaert et de l’éditeur.
Avant-propos du livre
L’année 1962 est à inscrire en lettres d’or dans le Grand Livre de l’astronomie. Elle signe la fin d’une époque de ruine et de désolation pour ce qui fut, quelques décennies plus tôt, le plus moderne et le plus bel observatoire du monde. Cette année-là, l’Observatoire de Nice voit Jean-Claude Pecker nommé à sa direction.
Pendant les sept années suivantes, il va obtenir soutien administratif et financier autour d’un plan ambitieux qui sera réalisé en grande partie. Les bâtiments, œuvres de Garnier, sa grande coupole, œuvre d’Eiffel, une des plus grandes du monde, vont être restaurés, les instruments réparés, des astronomes vont venir s’installer et les utiliser, accompagnés d’un grand nombre de personnes qui assurent le fonctionnement du site. L’université de Nice est créée dans le même mouvement, de même qu’un diplôme d’études approfondies d’astronomie (DEA, troisième cycle) 1. L’Observatoire de Nice sort de sa léthargie et est remis au service de l’astronomie de façon magistrale.
Il ne faudrait pas s’imaginer que le succès de cette opération initiée en 1962 était acquis dès le départ, que le simple fait de nommer un nouveau directeur souhaitant avec ardeur l’essor de l’observatoire devait automatiquement réussir à en faire ce qu’il est devenu dans les années suivantes, un haut lieu de l’astronomie mondiale.

Evry Schatzman, le complice de Pecker, avec qui le plan d’action avait été initié dès 1960 et accompagnant le mouvement à travers l’Association pour le développement international de l’observatoire de Nice 2, dira plus tard : « L’arrivée de Jean-Claude Pecker à Nice devait en entraîner la renaissance. Jean-Claude Pecker a eu très vite une vision claire du chemin à parcourir, qu’il s’agisse des problèmes de personnes, des problèmes de recrutement, ou des problèmes de construction. Il faut croire que la mémoire de son action est vivace, car l’on entend encore parfois les plus anciens, ceux que Pecker a recrutés, parler de lui avec émotion. Sur le plan scientifique, l’Observatoire a acquis une renommée internationale, due sans aucun doute à ceux qui y travaillent actuellement, mais basée sur l’action opiniâtre de Jean-Claude Pecker pendant 7 ans » [1]. Cette émotion dont Evry Schatzman parle, nous l’avons encore rencontrée chez les personnes qui ont connu cette époque […]. Une fois ces explications données, laissons la parole à Jean-Claude Pecker.
Gilles Bogaert, Physicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur
L’Observatoire à mon arrivée
La première chose que j’ai vue, c’est un tas de papiers brûlés devant la bibliothèque : les papiers de l’Observatoire ! Les factures disparaissaient dans la hâte… C’était heureusement peine perdue pour les factures, leurs doubles étant au rectorat de Paris […].
Les bâtiments étaient à l’abandon total, il n’y avait pas un volet droit, certains étaient en morceaux. Les eucalyptus avaient brûlé deux ans plus tôt dans un grand incendie qui avait ravagé la crête du Mont Gros, notamment sur le haut à côté de la grande coupole et entre la coupole et le méridien.
La Grande Coupole offrait un spectacle de dévastation. Vous n’en avez pas idée ! La statue en bronze, que l’on voit avec les deux bras tendus tenant les flambeaux de la connaissance, avait ses deux bras cassés. La coupole, œuvre de Gustave Eiffel, était elle-même dans un état absolument consternant : il y pleuvait. Le plancher éventré était couvert d’une couche de poudre de rouille de quelques centimètres d’épaisseur. Cette coupole était conçue pour flotter sur un bassin d’eau salée au chlorure de magnésium. Il s’agissait d’une originalité technique de la construction de l’astucieux Eiffel, qui avait immédiatement séduit Charles Garnier [l’architecte de l’Observatoire, également architecte de l’Opéra de Paris] et Raphaël Bischoffsheim [mécène et fondateur de l’Observatoire] : la grande coupole, lourde de cent tonnes, flottait ! Ceci permettait de répartir la charge sur le solide mur de soutien, et de faciliter son déplacement, sans frottement. Le chlorure de magnésium a une densité supérieure à l’eau, ce qui assure une meilleure flottaison. En même temps il abaisse le point de fusion de l’eau à moins 40 °C. Ce sel avait aussi le bon goût de ne pas corroder le métal peint. Du temps de Gustave Eiffel qui l’avait construite, cela marchait très bien. Mais il aurait fallu l’entretenir ! Cela faisait cinquante ans qu’on ne s’en était pas servi. On a dû découper au chalumeau le métal entièrement grippé, rouillé, troué, ce qui nous a valu un procès de la famille Eiffel ! En relativement peu de temps, la coupole a été entièrement refaite avec un système simple : des galets à la place du système de flotteurs. La coupole a été remise en service début 1967. Le système de galets fonctionne toujours.
Quand je suis arrivé à l’Observatoire, j’ai aussi eu la surprise de voir qu’il était entièrement habité ! [Une famille], des amis du gardien, des copains, tout était habité… Environ cinquante squatters y avaient élu domicile. Un petit atelier d’argenture servait à fabriquer des miroirs, et l’atelier de mécanique servait à la réparation de motos. Miroirs et motos étaient vendus en ville. J’ai chassé tout ce monde – mais avec des gants. C’est-à-dire que j’ai vu, à la mairie de Nice, le service logement, et ils ont tous été recasés en ville, dans des logements variés, à l’Ariane par exemple.
Quelques semaines après mon arrivée à l’Observatoire, j’ai eu la visite d’un épicier dont la boutique était à proximité. Il est venu me voir, il m’a dit en substance : « Ah, Monsieur le Directeur, je vous félicite et cætera. Est-ce que nous pourrons avoir avec vous les mêmes arrangements qu’avec votre prédécesseur ? Il y a 45 oliviers, c’est moi qui les cultivais et récoltais les olives, et c’est moi qui faisais faire l’huile. Et on se partageait les bénéfices avec votre prédécesseur. » Que ce soit le directeur qui récolte cet argent, c’était quand même ahurissant ! J’ai poliment envoyé paître l’épicier, et on a arrêté de cultiver les olives cette année-là. C’était un brave homme, dont le fils a ensuite travaillé à l’observatoire. Vraiment, cette situation était ahurissante ! […]
Dans la bibliothèque, tous les livres s’entassaient sans aucun ordre sur le vieux billard que Bischoffsheim avait offert en 1890 pour la distraction des astronomes. L’observatoire n’était abonné à aucune publication, aucun journal d’astronomie, rien. On recevait simplement quelques exemplaires de revues gratuites que les observatoires envoyaient comme échange avec les publications (très peu nombreuses) de Nice.
Le problème était que, dans cet observatoire, il n’y avait plus d’astronomes – à part Paul Couteau, l’excellent observateur qui s’était installé à Nice. Patry, le seul astronome qui avait vraiment la classe du temps de Gustave Fayet [le précédent directeur de l’observatoire], était décédé peu avant mon arrivée. Madame Laugier, une bonne astronome, prenait sa retraite. Hervé Fabre était l’astronome respectable du lieu. Auteur de très belles notes sur la relativité générale, il était néanmoins dépassé par la situation. Il s’occupait un peu d’administration. Lui, qui avait été dans sa jeunesse un très bon relativiste, n’avait plus rien produit depuis longtemps. Champeaux était encore assistant et il suivait les études de licence à Marseille. Je ne l’ai jamais vu faire quelque travail scientifique que ce soit pour l’observatoire. Seul Couteau travaillait, travaillait, travaillait […]. Il observait à la petite lunette qui était alors de 38 cm, dont il a fait remplacer l’objectif par une lentille de 50 cm ; et il a fait beaucoup de travaux, pour son catalogue d’étoiles doubles […].
À mon arrivée je ne souhaitais pas qu’il y ait de directions de recherches particulières, autres que l’utilisation au mieux des instruments. Donc on a remis en service tout ce que l’on pouvait. Je n’avais plus d’ambition personnelle, j’étais correspondant de l’Académie des sciences, bientôt professeur au Collège de France, et mon ambition était que l’Observatoire devienne un véritable observatoire, qu’un champ de ruines devienne un observatoire […]. J’ai eu à cœur que tous les instruments servent. C’est pourquoi nous avons remplacé le chercheur de comètes (le seul instrument installé du temps de Fayet, et qui avait été obtenu au titre des réparations de la guerre de 1914-1918) par un chercheur de satellites artificiels, installé dans la petite coupole Schaumasse [construite en 1931].
Jean-Claude Pecker
Référence
1 | Schatzman E, « Jean-Claude Pecker » (depuis archive.org), Bulletin de l’Association pour le développement international de l’observatoire de Nice, 1980-1981, 18 :55. Sur biblio-n.oca.eu
EN VOYAGE DE QUELQUE PART À AILLEURS – 1001 AQUARELLES
Jean-Claude Pecker - Z4 Éditions, 26 €
Recueil d’une cinquantaine d’aquarelles. Jean-Claude Pecker a commencé à dessiner très tôt. Repéré au lycée de Bordeaux par Jean Sauboa, son professeur de dessin (lui-même artiste-peintre), Jean-Claude sera lauréat du concours général de dessin. Le dessin, et plus particulièrement l’aquarelle, est une passion qu’il va garder toute sa vie.
1 Vers le milieu des années 2000, le DEA a été remplacé par le diplôme de master [NDLR].
2 L’Association pour le développement international de l’Observatoire de Nice (Adion) a été créée dès le 16 juin 1962 pour recevoir subventions et donations. Durant toutes ces années, Pecker en est le président, Schatzman le secrétaire général.
Publié dans le n° 348 de la revue
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L'auteur
Jean-Claude Pecker

Jean-Claude Pecker (1923-2020) a été astrophysicien, professeur au Collège de France et membre de l’Académie des (…)
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