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Des horloges dans l’espace

Publié en ligne le 7 décembre 2025 - Astronomie -
Rubrique coordonnée par Kévin Moris

La mission ACES 1 a été lancée le 21 avril dernier en direction de la Station spatiale internationale, avec pour objectif principal de tester une prédiction de la relativité générale avec une précision inégalée. Le long processus de mise en route a débuté quelques jours plus tard et devrait prendre près de six mois avant les premières campagnes de mesure [1]. Cette mission, envisagée en 1997 et validée en 1999, devait initialement être lancée en. . . 2012. Elle embarque plusieurs horloges de pointe qu’il fut difficile de qualifier pour le vol.

Des horloges, à quoi bon ? On en a déjà plusieurs dizaines dans les satellites de géolocalisation (GPS, Galileo…) [2]. Mais ACES sera bien plus performant : deux systèmes côte-à-côte divergeraient de moins d’une seconde en 300 millions d’années [3]. Un clignement d’œil depuis l’extinction des dinosaures.

Vue d’artiste de la Station spatiale internationale : le système ACES est fixé sur le module Columbus de l’ESA (Agence spatiale européenne). ESA-D. Ducros

Ce petit effet prédit, quel est-il ? Au début du XXe siècle ont émergé trois grandes théories qui ont profondément modifié la physique. D’une part, la mécanique quantique décrit essentiellement le comportement des objets microscopiques comme les atomes. D’autre part, la relativité restreinte a révolutionné nos conceptions sur l’espace et le temps. Et finalement, la relativité générale est une théorie de la gravitation dans laquelle les corps massifs ne s’attirent pas selon la force de Newton, mais déforment l’espace-temps lui-même. Il n’y a plus de force, le mouvement est rectiligne mais dans un espace courbe. La relativité générale prédit que la fréquence d’une horloge au sol observée depuis un satellite, où la gravitation est moins intense, est inférieure à celle de la même horloge à bord. Les horloges en question mettent en jeu des échanges d’énergie entre des atomes et du rayonnement, de la lumière infrarouge ou microonde selon l’horloge considérée. La mécanique quantique stipule que ces échanges se font à une fréquence bien précise sous forme de photons d’énergie bien définie 2.

Bien que, d’après la relativité restreinte, les photons n’aient pas de masse, cela ne signifie pas qu’ils soient insensibles à la gravitation puisqu’elle modifie la structure même de l’espace-temps. Faisons une expérience de pensée basée sur le principe d’équivalence d’Einstein. Vous êtes enfermés dans une cabine. Deux situations :

  1. la cabine est posée au sol, vous sentez votre poids dû à la Terre ;
  2. la cabine est très loin dans l’espace mais accélère grâce à ses propulseurs. Vous êtes écrasés de la même façon dans votre siège, il n’y a pas de différence concrètement mesurable.

Imaginons maintenant un rayon de lumière qui rentre par le hublot latéral d’une fusée constamment accélérée. Le cosmonaute qui fait des mesures ne constate pas que le rayon va tout droit vers le mur opposé. Il va de plus en plus vite et pour lui les photons suivent une trajectoire courbe, comme s’ils « tombaient » vers le bas de la cabine. Or accélération et gravité sont équivalentes : bien qu’ils n’aient pas de masse, les photons sont affectés par la gravité. ACES doit tester cet effet au millionième près, soit une précision cent fois meilleure que le record actuel, dans l’espoir de détecter une minuscule anomalie qui pourrait nous mettre sur la voie d’une nouvelle théorie au-delà de la relativité générale et de la mécanique quantique. Il y en a pléthore (cordes, super-cordes, branes…), il faut faire un tri, l’expérimentation est le couperet.

Références


1 | The European Space Agency, “ACES : Atomic Clock Ensemble in Space”, page web. Sur esa. int
2 | Connect by CNES, « Géolocalisation par satellite. Principes de fonctionnement Galileo », vidéo, 2 décembre 2021. Sur youtube. com
3 | Massonnet D, Boutelier M, « 70 ans après la mort d’Einstein, une horloge atomique sur la station spatiale internationale pour tester la relativité générale », The Conversation, 16 avril 2025. Sur theconversation. com

1 Atomic Clock Ensemble in Space (ensemble d’horloges atomiques dans l’espace).

2 On peut en effet adopter plusieurs points de vue pour décrire un objet quantique. La lumière peut ainsi être considérée comme une onde de fréquence f ou un flux de photons d’énergie E. Ces grandeurs sont reliées par la relation de Planck-Einstein E = h × f, où h est la constante de Planck, une constante fondamentale de la physique.

Publié dans le n° 353 de la revue


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L'auteur

Renaud Mathevet

Maître de conférences à l’Université Paul Sabatier à Toulouse, Renaud Mathevet effectue des recherches dans le (…)

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