Accueil / Notes de lecture / Les Nuits étoilées de Vincent Van Gogh

Les Nuits étoilées de Vincent Van Gogh

Publié en ligne le 7 avril 2023
Les Nuits étoilées de Vincent Van Gogh
Jean-Pierre Luminet
Seghers, 2023, 160 pages, 21 €

Vincent Van Gogh n’a nul besoin d’être présenté. Sa biographie a été littéralement disséquée par une multitude d’historiens de la peinture, de médecins qui se sont penchés sur les épisodes de sa vie alternant démence et lucidité créatrice flamboyante, sur son automutilation de l’oreille, sur son séjour artistiquement prolifique dans un asile psychiatrique, sur son suicide. On pourrait alors croire que tout avait déjà été dit sur l’homme et l’œuvre, jusqu’à ce que Jean-Pierre Luminet vienne nous apporter un nouvel éclairage. Cet astrophysicien mondialement reconnu pour ses travaux sur les trous noirs, ce romancier, s’est en effet assigné le but d’éclairer, sous l’angle de l’astronomie, certaines œuvres majeures de Van Gogh, élaborées lors des deux années les plus fécondes de son existence : celles qui suivent son arrivée en 1888 à Arles, où la luminosité et la couleur du ciel provençal, ses nuits et ses astres, éblouissent les yeux : « Je veux maintenant absolument, dit Van Gogh, peindre un ciel étoilé. Souvent il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour. »

Les étoiles peintes par Van Gogh sont-elles disposées au hasard ou bien correspondent-elles à une configuration réelle du ciel nocturne à la date où il les a représentées ? Cette question, J.-P. Luminet se la posait déjà en 1985 à propos de la Nuit étoilée de Saint-Rémy. Il reprenait alors à son compte une thèse d’Albert Boime (1933-2008) : selon ce dernier, Van Gogh aurait été un passionné d’astronomie, connaissant l’Astronomie populaire du vulgarisateur français Camille Flammarion (1842-1925) ; et le croquis réalisé par Lord Rosse de la nébuleuse M51 l’aurait inspiré pour composer les tourbillons de la Nuit étoilée 1. « L’hypothèse était trop belle pour ne pas être prise en compte », avoue J.-P. Luminet. En effet, ce raisonnement n’avait rien d’absurde devant l’extraordinaire ressemblance des tourbillons de Van Gogh avec le croquis de Lord Rosse.

Trente ans plus tard, J.-P. Luminet remet cette hypothèse en question et cherche à voir si les figures du ciel de Provence sont également réalistes dans les autres tableaux de Van Gogh. Armé du Stellarium, logiciel capable d’afficher pour un site donné l’image de la voûte céleste à n’importe quelle date, il se déplace partout où Van Gogh a posé ses chevalets.

Il constate alors que si les constellations sont plus ou moins à leurs positions dans la Terrasse du café le soir et la Nuit étoilée sur le Rhône, il est impossible d’en dire autant pour la Nuit étoilée de Saint Rémy : la Lune est déformée et trop grosse, Vénus est basse sur l’horizon, les étoiles s’éparpillent anarchiquement de part et d’autre des volutes tourbillonnantes, etc. : « Les représentations du ciel [de Van Gogh] auraient-elles glissé du réalisme à l’imagination la plus folle, au fil de sa dégradation mentale ? » se demande-t-il.

Par ailleurs, Vincent Van Gogh entretenait une correspondance soutenue, notamment avec son frère Théo à qui il racontait sans filtre et par le menu ses lectures, ses découvertes, les sources de ses tableaux, ses états d’âme… Et on ne trouve dans ce courrier « aucune mention de Flammarion, ni d’un quelconque livre ou magazine d’astronomie populaire, ni même le mot “astronomie” ». Il en conclut donc, après une recherche identique sur d’autres toiles, que ces œuvres sont des montages composites, « époustouflants », de ce que le peintre a vu, à un moment donné, mémorisé et intégré en fonction de son intuition artistique et des nécessités de la composition d’un tableau : des « constructions d’atelier très élaborées, faisant également appel à son vaste savoir littéraire ».

La fascination de Van Gogh pour les étoiles est donc loin de se limiter à une volonté de reproduction réaliste. Mais si l’astronomie passe finalement au second plan, on est séduit par ces recherches de J.-P. Luminet, qui nous rendent plus intelligibles les magnifiques tableaux de Van Gogh, dont le livre est richement illustré.

1 En 1845, le couple anglo-irlandais Mary Field (1813-1885), une pionnière de la photographie, et William Parsons (1800-1867), dit Lord Rosse, futur président de la Royal Society, mettent en lumière sur leurs terres un télescope amateur géant, surnommé « Léviathan de Parsonstown ». Doté d’un tube de 17 m et d’un miroir de 183 cm de diamètre, voué à l’étude des nébuleuses jadis cataloguées par Charles Messier (1730-1817), il était capable de résoudre des astres de magnitude 18. En 1850, William Parsons publie un dessin qui révèle la structure spiralée de la nébuleuse M51, qu’il baptise « Whirlpool Galaxy » (« galaxie du Tourbillon »). Ce croquis spectaculaire, qui fera le tour du monde savant, sera reproduit en 1881 dans l’Astronomie populaire de Camille Flammarion. Sa concordance est si forte avec les tourbillons de la Nuit étoilée de Saint-Rémy que la comparaison devient en effet saisissante.