Accueil / L’acupuncture est-elle efficace ?

L’acupuncture est-elle efficace ?

Publié en ligne le 2 septembre 2023 - Médecines alternatives -

À la question de savoir si l’acupuncture fonctionne, de manière générale, les patients et les praticiens répondent oui, alors que les chercheurs répondent non. Qui a raison ?

Le lecteur de cet article pense peut-être que l’acupuncture ne fonctionne pas, et en tout cas s’attend à lire ici qu’elle ne fonctionne pas. En fait, la réalité est plus complexe : il convient de préciser au préalable ce que l’on entend par « fonctionner ».

À titre d’exemple, considérons l’utilisation de l’acupuncture contre les douleurs lombaires chroniques. Beaucoup d’études ont été menées et elles sont assez représentatives de ce qui se fait en termes de recherche en acupuncture (du moins en ce qui concerne la gestion de la douleur, qui est de très loin la principale utilisation de l’acupuncture). Examinons ce qu’en dit la littérature scientifique, et en particulier les méta-analyses.

La Douleur ou La Madeleine, Paul Cézanne (1839-1906)

Les méta-analyses sont des compilations de travaux déjà publiés : les auteurs rassemblent toutes les études sur un sujet donné (tel traitement dans telle indication) et font une synthèse des données disponibles. Il est notamment nécessaire pour cela d’évaluer les articles pour ne garder que ceux de bonne qualité et compiler toutes leurs données pour en sortir un résultat global, plus représentatif que celui obtenu par les études individuelles.

La méta-analyse Cochrane sur les douleurs lombaires chroniques

Beaucoup de chercheurs font des méta-analyses, mais l’organisation Cochrane est probablement le groupe le plus réputé en la matière. Cochrane est une organisation internationale indépendante, à but non lucratif, fondée en 1993 et dont la mission est de favoriser les prises de décisions en santé éclairées par les données probantes, grâce à des synthèses de données de recherche [1]. Elle met en réseau des milliers de chercheurs dans près de deux cents pays. Cochrane a procédé en 2020 à une analyse de la littérature scientifique relative à l’efficacité de l’acupuncture contre les douleurs lombaires chroniques [2]. Ont été retenues 33 études portant sur 8 270 patients. Les principales conclusions sont les suivantes : « Nous avons trouvé des données probantes d’un niveau de confiance modéré indiquant que l’acupuncture a produit un soulagement de la douleur […] et a amélioré la fonction dorsale […] par rapport à l’absence de traitement » et « Des données probantes d’un niveau de confiance faible […] suggèrent que l’acupuncture pourrait réduire la douleur […] et améliorer la fonction spécifique du dos immédiatement après le traitement […] par rapport aux soins habituels. »

L’acupuncture semble donc effectivement efficace dans ce cas particulier.

On peut cependant émettre une première réserve : le « niveau de confiance » (qui évalue le degré de certitude des données compilées) n’est pas très élevé. Et c’est en réalité le cas pour toutes les méta-analyses Cochrane portant sur l’acupuncture. Ainsi, des chercheurs ont noté que malgré le grand nombre d’essais cliniques, les méta-analyses sur l’acupuncture ne permettent de conclure qu’avec un niveau de confiance généralement faible [3], c’est-à-dire que la qualité des études utilisées ne permet pas d’assurer la fiabilité de la conclusion de la méta-analyse.

Par ailleurs, des faiblesses dans la réalisation des revues de Cochrane sur l’acupuncture sont parfois montrées du doigt. C’est notamment le cas de deux faiblesses critiques : la mauvaise prise en compte du biais de publication (les résultats négatifs, c’est-à-dire ceux qui ne montrent pas d’efficacité, ont tendance à être moins publiés) et celle des conflits d’intérêt (beaucoup des études prises en compte ont été réalisées par des partisans de l’acupuncture) [4]. Ces deux éléments ont tendance à favoriser l’acupuncture.

Mais revenons à la méta-analyse sur les douleurs lombaires chroniques. Une lecture rapide pourrait laisser croire que l’acupuncture est efficace. Mais dans la conclusion, les auteurs notent en fait ceci : « Nous avons constaté que l’acupuncture pourrait ne pas jouer un rôle plus significatif sur le plan clinique que l’acupuncture fictive […]. Cependant, l’acupuncture s’est révélée plus efficace que l’absence de traitement pour améliorer la douleur et la fonction [dorsale] à court terme. » L’« acupuncture fictive » (aussi appelée « acupuncture simulée ») représente le « placebo » permettant d’étudier l’acupuncture (voir encadré ci-dessous).

Comment réaliser un placebo en acupuncture ?


Il est évidemment plus simple de créer un placebo avec un médicament : il suffit d’utiliser un comprimé ou une poche d’intraveineuse ne contenant pas le principe actif que l’on veut tester. C’est moins simple pour l’acupuncture puisque le patient peut se rendre compte qu’on ne le pique pas avec des aiguilles.

Trois méthodes peuvent être utilisées pour simuler l’acupuncture. Les deux premières consistent à planter les aiguilles de façon très superficielle, ou à les planter en dehors des points traditionnels (ou une combinaison des deux approches). La troisième méthode, plus récente, consiste à utiliser un dispositif composé d’un petit tube collé sur la peau dans lequel on vient loger soit une vraie aiguille, soit une aiguille télescopique qui ne se plante pas du tout dans la peau. C’est cette dernière méthode qui est la plus intéressante, puisqu’elle permet de ne pas planter d’aiguilles. L’utilisation de ces fausses aiguilles qui ne pénètrent pas la peau permet en théorie de faire des essais en double aveugle, mais ne fait cependant pas complètement illusion : dans une étude, 68 % des patients et 83 % des acupuncteurs arrivaient à deviner si les aiguilles étaient de vraies aiguilles ou de fausses aiguilles, alors que le hasard aurait donné 50 % [1].

Référence
1 | Vase L et al., “Can acupuncture treatment be double-blinded ? An evaluation of double-blind acupuncture treatment of postoperative pain”, PLoS One, 2015, 10 :e0119612.

Et c’est là qu’on commence à toucher le nœud du problème : l’acupuncture fait ici mieux que rien du tout, mais elle ne fait probablement pas mieux que le placebo.

Deux conclusions opposées peuvent alors être tirées : soit l’acupuncture n’est pas efficace car elle ne fait pas mieux qu’un placebo, soit l’acupuncture est efficace car elle fait mieux que « ne rien faire ». En fait, tout dépend du référentiel dans lequel on se place. Les chercheurs comparent par rapport à un placebo et ne constatent aucun effet spécifique, mais les patients, eux, comparent par rapport à l’absence de prise en charge et considèrent donc que l’acupuncture est efficace contre la douleur.

Ainsi, comme nous le disions plus haut, la réponse à la question dépend de ce qu’on entend par « fonctionner ».

Ce que l’acupuncture placebo nous apprend

Acupuncture vraie contre acupuncture simulée
La première étude évaluant l’acupuncture contre les douleurs lombaires chroniques comparée à l’acupuncture placebo (ici, en plantant de façon superficielle et en dehors des points) a été publiée en 2007 [5]. Elle portait sur 1 162 patients répartis en trois groupes : un groupe d’acupuncture vraie (dite « verum »), un groupe d’acupuncture simulée (placebo), et un groupe recevant le traitement classique (antidouleurs, kinésithérapie et exercice physique). Résultats : après six mois, 27,4 % des patients du groupe de traitement classique ont eu une amélioration notable de leurs douleurs, contre 44,2 % des patients du groupe placebo et 47,6 % du groupe verum. Ainsi acupuncture vraie et acupuncture placebo font mieux que le traitement classique, mais l’acupuncture vraie ne fait pas mieux que l’acupuncture placebo.

La Femme à la balance (détail), Johannes Vermeer (1632-1675)

Première information : il semble que planter les aiguilles n’importe où et de façon superficielle fonctionne tout aussi bien que de suivre à la lettre la théorie telle que suivie par les praticiens.

Protocole individualisé
En 2009, une autre étude portant sur 638 patients a montré des résultats similaires [6], mais cette fois-ci, l’acupuncture simulée s’est faite sans planter d’aiguilles, et il y avait deux groupes d’acupuncture vraie : un groupe où le traitement est individualisé (on laisse le choix des modalités de traitement de chaque patient à l’appréciation de l’acupuncteur) et un groupe où il est standardisé (avec un protocole commun à tous les patients qui est défini à l’avance). Cette étude montre à nouveau que l’acupuncture simulée est aussi efficace que l’acupuncture vraie, et donc que planter les aiguilles n’apporte rien. Mais elle montre également que le traitement individualisé n’est pas meilleur que le traitement standardisé.

Deuxième information : il semble que planter les aiguilles n’apporte rien de plus, et que les protocoles personnalisés des acupuncteurs soient sans intérêt.

« Mieux que rien » ?
Mais si l’acupuncture vraie ne fait pas réellement mieux que l’acupuncture placebo, elle fait tout de même mieux que rien du tout. Comment expliquer précisément cela ? La question n’est pas anodine : en comprenant mieux comment la séance permet d’améliorer les douleurs du patient, il devient possible de l’optimiser, et donc d’obtenir une meilleure efficacité. Et ce même si cette efficacité relève uniquement d’un effet placebo.

Le fait que planter les aiguilles n’importe où (voire ne pas les planter du tout) soit aussi efficace que la vraie acupuncture démontre néanmoins que ce ne sont pas les aiguilles qui permettent de réduire les douleurs (car il y a incontestablement réduction des douleurs) mais « le reste ».

En clair : ce qui est efficace, ce n’est pas l’acupuncture.

L’accompagnement par le praticien
En 2008, une étude a été publiée pour évaluer les composantes de l’effet placebo en acupuncture [7]. Cette étude ne s’intéressait plus aux douleurs lombaires mais au syndrome de l’intestin irritable. Elle comparait trois groupes de patients dont aucun n’a bénéficié de vraies séances d’acupuncture. Deux groupes ont été « traités » sans que les aiguilles ne soient plantées et le troisième n’a reçu aucun traitement. Un des deux groupes « placebo » (aiguilles non plantées) a bénéficié de séances avec une interaction très limitée avec le praticien (moins de cinq minutes), l’autre a bénéficié de séances avec une interaction « augmentée » (environ 45 minutes, et fondées notamment sur une attitude chaleureuse, de l’écoute active, de l’empathie, et l’expression d’un optimisme quant à l’efficacité du traitement).

Après trois semaines, les patients vont mieux dans les trois groupes, mais ceux du groupe sans traitement rapportent une amélioration un peu moins importante que ceux du groupe avec interaction limitée, qui eux-mêmes rapportent une amélioration nettement moins importante que ceux du groupe avec interaction augmentée.

Rappelons que dans cette étude, aucune aiguille n’a été plantée. L’objectif n’était pas d’étudier l’effet des aiguilles, mais de de toutes les autres caractéristiques de l’accompagnement. Cette étude montre que dans une séance d’acupuncture, une grande partie de l’efficacité repose sur la séance elle-même, et non pas sur l’utilisation des aiguilles. Ainsi, il est intéressant de constater que le temps passé avec le praticien et son attitude permettent d’améliorer la qualité de vie chez le patient alors même qu’il n’y a en fait eu aucun traitement.

Qu’en conclure ?

Dans les autres indications où l’acupuncture semble plus efficace qu’une absence de traitement, la conclusion reste à peu près la même : l’acupuncture vraie ne fait en général pas mieux que l’acupuncture simulée. Mais dans certaines études, l’acupuncture vraie semble faire un peu mieux que l’acupuncture placebo. Peut-être que le fait de planter les aiguilles (dans ou en dehors des points) a un petit effet, même faible en comparaison du reste des effets expliqués précédemment. Des hypothèses existent à ce sujet, comme celle de la libération d’endorphines lors de l’insertion des aiguilles [8], mais sont assez peu étayées.

Chrysanthèmes et feuillage d’automne (détail), Félix Vallotton (1865-1925)

Une conclusion générale s’impose : apprendre les points et leur rôle et individualiser le traitement de chaque patient n’a apparemment aucun intérêt. Si l’on peut avoir la même efficacité en piquant n’importe où, alors la quasi-intégralité de ce que l’acupuncture théorise (les méridiens, les points d’acupuncture, etc.) peut être complètement abandonné. En fait, il ne s’agirait même plus d’acupuncture au sens où on l’entend, mais juste l’effet de l’utilisation d’aiguilles, sans rapport avec la médecine traditionnelle chinoise et ses fondements.

Par ailleurs, un traitement dont l’efficacité ne repose que sur l’effet placebo a-t-il un intérêt ? En fait, oui. Cela signifie qu’on peut réduire des douleurs rien qu’en jouant sur cet effet. Cela signifie par ailleurs qu’une placebo-thérapie pourrait permettre de réduire les effets secondaires des autres traitements (par exemple, ceux des antidouleurs : somnolence, risque d’accoutumance, etc.), ce qui est intéressant chez les patients douloureux chroniques.

Revenons à la question initiale. Les patients disent que l’acupuncture fonctionne parce qu’elle fait mieux que l’absence de traitement, les chercheurs disent qu’elle ne fonctionne pas parce qu’elle ne fait pas mieux qu’un placebo. Les deux ont raison, en quelque sorte. L’objectif du patient, ici, est d’avoir moins mal. Que ce soit par un effet propre du traitement ou par un effet placebo, peu lui importe. L’objectif du chercheur, quant à lui, est de déterminer ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas. Une placebo-thérapie peut avoir une certaine efficacité, mais n’a pas d’effet propre. Or on peut très bien imaginer un traitement qui aurait un effet propre en plus de cet effet placebo, et serait donc plus intéressant. En d’autres termes, il est possible d’optimiser l’effet placebo, mais il est aussi possible de le faire avec un traitement qui a lui-même en plus une véritable efficacité.

Références


1 | Site de Cochrane France, rubrique « Qui sommes-nous ? ».
2 | Mu J et al., “Acupuncture for chronic nonspecific low back pain”, The Cochrane database Syst Rev, 2020, 12 :CD013814.
3 | Allen J et al., “Use of acupuncture for adult health conditions”, JAMA Network Open, 2022,5 :e2243665.
4 | Ji Z et al., “The quality of Cochrane systematic reviews of acupuncture : an overview”, BMC Complement Med Ther, 2020, 20 :1-8.
5 | Haake M et al., “German acupuncture trials (Gerac) for chronic low back pain : randomized, multicenter, blinded, parallelgroup trial with 3 groups”, Arch Intern Med, 2007, 167 :1892-8.
6 | Cherkin DC et al., “A randomized trial comparing acupuncture, simulated acupuncture, and usual care for chronic low back pain”, Arch Intern Med, 2009,169 :858-66.
7 | Kaptchuk TJ et al., “Components of placebo effect : randomised controlled trial in patients with irritable bowel syndrome”, BMJ, 2008, 336 :999-1003.
8 | Lin JG et al., “Understandings of acupuncture application and mechanisms”, Am J Transl Res, 2022, 14 :1469-81.

Publié dans le n° 345 de la revue


Partager cet article


L' auteur

Valentin Ruggeri

Médecin au service de médecine nucléaire du CHU de Grenoble et président de l’Observatoire zététique.

Plus d'informations

Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.