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Médecine alternatives

Inefficaces mais quand même utiles ?

Publié en ligne le 22 mars 2020 - Médecines alternatives -

La question de l’efficacité des médecines dites « alternatives ou complémentaires » tend de plus en plus à sortir du champ du débat scientifique. Déjà, en 2005, un éditorial de la prestigieuse revue The Lancet titrait « La fin de l’homéopathie » [1]. Constatant  « 150 ans de résultats défavorables » auxquels venaient juste de s’ajouter ceux d’une nouvelle métaanalyse portant sur 110 essais cliniques, le texte concluait que  « les effets cliniques de l’homéopathie sont ceux d’un placebo ». Toutes les évaluations réalisées depuis n’ont fait que renforcer cette conclusion, que ce soit celle de l’Agence de santé australienne [2] en 2015 ou celle, très médiatisée en France, de la Haute autorité de santé (HAS) en 2019 (voir l’article de Jean-Paul Krivine, « L’homéopathie jugée inefficace et sans intérêt pour la santé publique »).

L’homéopathie n’est pas la seule qui échoue à prouver une efficacité propre. D’une façon générale, aucune des « médecines alternatives ou complémentaires » n’arrive à montrer de façon claire un résultat différent de celui d’un effet placebo (voir encadré). L’expression « médecine alternative » est d’ailleurs mal choisie. Une approche dite « alternative », dès lors qu’elle fait la preuve de son efficacité, devient tout simplement de la médecine « normale ».

Homme avec coraux, coquillages, fleurs et un livre, anonyme (XVIIesiècle)

Paradoxalement, et en paraphrasant la conclusion que The Lancet tirait à propos de l’homéopathie, plus se diluent les preuves en faveur de l’efficacité de ces pratiques, plus grande semble leur popularité. Et cette dernière ne se dément pas, en particulier dans les pays riches. En France, ces approches « non conventionnelles » séduisent de nombreux patients, mais aussi un nombre significatif de praticiens (voir l’article d’Aurore Thollot, « Médecine et thérapies alternatives »).

Utiles malgré tout ?

La controverse à laquelle on assiste à propos du déremboursement de l’homéopathie tend à se déporter sur un autre terrain que celui de la seule efficacité : ces approches seraient utiles pour les services qu’elles rendraient à la santé publique. Elles seraient « complémentaires ». Sont alors mis en avant par leurs partisans un impact positif allégué sur la iatrogénie (effets indésirables des médicaments), sur le recours injustifié aux antibiotiques, ou encore une utilité dans le cadre de la prise en charge par les patients de leur propre santé. Mais là aussi, ces affirmations ne sont pas confortées par les études existantes (voir les articles de François Maignen, « Études EPI3 : l’homéopathie peut-elle aider à réduire les effets indésirables des médicaments ? » et d’Élie Arié, « Homéopathie, automédication et approche rationnelle »). À l’inverse, l’homéopathie, en proposant systématiquement la prise d’un de ses produits, ne favoriserait-elle pas une plus grande dépendance médicamenteuse ? (voir l’article de Patrice Couzigou, « L’homéopathie : déremboursement ou retour à la loi commune ? »). La Haute autorité de santé, dans son avis rendu en juillet 2019 et relatif au remboursement des produits homéopathiques, ne s’est d’ailleurs pas contentée d’examiner leur seule efficacité. Conformément à sa mission, elle a aussi cherché à évaluer le « service médical rendu ». Et elle n’a pu que constater  « l’absence de démonstration de leur intérêt sur la santé publique, notamment […] pour réduire la consommation d’autres médicaments » [3]. Cela inclut la cancérologie où l’agence de santé indique que  « les données cliniques disponibles concernant les médicaments homéopathiques dans la prise en charge des effets indésirables dus aux traitements ou soins liés aux anticancéreux […] n’ont pas mis en évidence de différences d’efficacité ou de tolérance par rapport au placebo ».

L’effet placebo (parfois appelé « effet contextuel ») ne signifie pas une absence d’effet. Un produit pour lequel il n’est pas possible de mettre en évidence de différence avec un placebo est un produit qui n’a pas prouvé d’effet propre, c’est-à-dire d’effet lié à sa composition. L’ « utilité sans efficacité propre » que la HAS a cherché à évaluer est en fait un éventuel bénéfice que la pratique thérapeutique pourrait engendrer et qui ne reposerait pas sur une propriété intrinsèque des produits utilisés. Et l’agence n’en a pas trouvé.

Déremboursement et statut dérogatoire

La France s’engage donc sur la voie du déremboursement de l’homéopathie. Cette décision politique a été prise par la ministre de la Santé sur la base de l’avis scientifique rendu par la Haute autorité de santé. Bien entendu, la science ne dicte pas la décision politique (cette dernière intègre des dimensions économiques, sociales, politiques ou éthiques). Mais soulignons que le déremboursement a été décidé à l’issue d’un processus qui a clairement exposé l’état des connaissances et a été motivé sans que jamais la science ne soit instrumentalisée ou déformée. Ne pourrait-on pas généraliser cette approche à l’ensemble des sujets impliquant une forte dimension scientifique ? N’est-ce pas la meilleure façon de rendre toute sa place à l’expertise scientifique, mais aussi à la décision publique ?

L’homéopathie va cependant continuer à bénéficier d’un statut dérogatoire. Le rôle de la Haute autorité de santé dans le « parcours du médicament » est d’évaluer le service médical rendu pour proposer une éventuelle prise en charge par la solidarité nationale (remboursement par la sécurité sociale). Mais en amont, il faut d’abord que les produits examinés aient obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM). Celle-ci est délivrée en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur la base d’un dossier évaluant des critères scientifiques de qualité, de sécurité et d’efficacité (le nouveau produit doit présenter un rapport bénéfice/risque au moins équivalent à celui des produits déjà commercialisés). Elle peut aussi être accordée au niveau européen par l’Agence européenne des médicaments selon de critères similaires. Or, tant au niveau français (depuis 1994) qu’au niveau européen depuis 2001 (directive 2001/83/CE), les produits homéopathiques bénéficient d’une dérogation qui les dispense de démontrer une quelconque efficacité. Une simple procédure d’enregistrement suffit dès lors qu’ils respectent certains critères assurant leur innocuité 1.

Ainsi, le déremboursement qui vient d’être décidé n’interdit à personne de continuer à avoir recours aux granules homéopathiques. Ces produits peuvent conserver leur titre de « médicament » puisqu’ils bénéficient d’une AMM. Mais ce titre, du fait de cette procédure dérogatoire, ne signifie nullement que ces médicaments ont été soumis à des tests d’évaluation et qu’ils aient fait preuve d’une quelconque efficacité.

Références

1 | “The end of homoeopathy”, éditorial, The Lancet, 2005, 336 :690. Sur thelancet.com
2 | « Selon l’agence australienne de santé, l’homéopathie : pas mieux qu’un placebo », sur afis.org
3 | Haute autorité de santé, « Commission de la transparence. Évaluation des médicaments homéopathiques soumis à la procédure d’enregistrement prévue à l’article L.5121-13 du CSP », avis du 26 juin 2019. Sur has-sante.fr

Médecines alternatives et complémentaires : les 924 évaluations de l’association Cochrane

Fondée en 1993, l’association Cochrane se fixe pour objectif de  « favoriser la prise de décisions de santé éclairées par les données probantes » [1] grâce à des analyses rigoureuses de la littérature scientifique. Elle structure un réseau de plus de 11 000 membres bénévoles dans plus de 130 pays. Il s’agit de scientifiques membres de laboratoires ou de centres hospitaliers (pour l’essentiel, médecins, biologistes, pharmaciens et épidémiologistes) qui se rassemblent par groupes d’intérêts disciplinaires. En France, le Centre Cochrane est financé par le ministère de la Santé et bénéficie du soutien financier de l’université Paris Descartes et de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP). Il a également établi des partenariats avec la Haute autorité de santé (HAS) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Face à un intérêt croissant pour les thérapies « alternatives et complémentaires », un groupe de travail spécifique a été constitué pour produire des analyses et des synthèses des essais cliniques existants dans le domaine. Des pratiques telles que l’acupuncture, les massages, la phytothérapie, les thérapies corps-esprit, l’homéopathie, le yoga ou le recours à des compléments vitaminés ont fait l’objet de 924 évaluations (au 26 août 2019).

Derrière chacune de ces évaluations, il y a parfois plusieurs dizaines d’articles ou d’essais cliniques. Ce sont ainsi, en réalité, des milliers et des milliers d’articles qui ont été analysés. Les médecines complémentaires et alternatives sont donc régulièrement évaluées et ne sont pas rejetées par principe. Ces évaluations sont mises à la disposition du grand public et des professionnels de santé [2].

Comme toujours dans l’évaluation, il faut examiner au cas par cas, pratique par pratique, affection par affection. Même si l’on peut avoir de bonnes raisons de penser, par exemple, que l’homéopathie en général n’aura aucune efficacité propre du fait qu’elle ne contient plus aucun principe actif après les très fortes dilutions opérées, la rigueur scientifique impose de regarder chaque situation séparément. Les évaluations Cochrane portant sur l’homéopathie sont au nombre de sept. Elles ont toutes des conclusions similaires : absence d’effets propres comparé à un placebo et seules des études jugées de très mauvaise qualité montrent des effets incertains ne permettant pas de conclure avec certitude. Ainsi, l’évaluation d’Oscillococcinum, le médicament phare de la pharmacopée homéopathique indiqué pour la prévention et le traitement des états grippaux, se conclut-elle de la sorte :  « Il n’y a pas suffisamment de preuves de qualité pour permettre de tirer des conclusions solides sur Oscillococcinum dans la prévention ou le traitement de la grippe et des états grippaux. Nos résultats n’excluent pas la possibilité qu’Oscillococcinum puisse avoir un effet thérapeutique cliniquement utile, mais, étant donné la faible qualité des études éligibles, les preuves ne sont pas convaincantes » [3].

Cette forme de conclusion est très fréquemment rencontrée dans les évaluations sérieuses des médecines complémentaires : absence d’effet ou effets fragiles reposant sur des études de mauvaise qualité qui nécessiteraient d’être reprises pour être confirmées.

Références


1 | Site de l’association Cochrane France : france.cochrane.org
2 |Cochrane Reviews related to Complementary Medicine”. Sur cam.cochrane.org
3 | Mathie RT et al., “Homeopathic Oscillococcinum® for preventing and treating influenza and influenza‐like illness (Review)”, Cochrane Database of Systematic Reviews,28 janvier 2015. Sur cochranelibrary.com

1 (1) Administration par voie orale ou externe ; (2) Absence d’indication thérapeutique particulière sur l’étiquetage ou dans toute information relative au médicament ; (3) Degré de dilution garantissant l’innocuité du médicament – en particulier, le médicament ne peut contenir ni plus d’une partie par 10 000 de la teinture mère, ni plus d’un centième de la plus petite dose utilisée éventuellement en allopathie, pour les principes actifs dont la présence dans un médicament allopathique entraîne l’obligation de présenter une prescription médicale (article L5121-13 du code de la santé publique).


Thème : Médecines alternatives

Mots-clés : Médecine

Publié dans le n° 330 de la revue


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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.