Au pire, ça ne peut pas faire de mal ?
Publié en ligne le 17 juin 2025 - Médecines alternatives -
Les promoteurs et les utilisateurs des pratiques de soins alternatives voient souvent ces dernières comme inoffensives, d’où l’usage fréquent du terme de « médecine douce », par opposition à la médecine fondée sur les preuves qui est présentée comme agressive et source d’effets indésirables. Et même si l’efficacité de ces pratiques est remise en cause, cette prétendue absence d’effets secondaires est souvent mise en avant et constitue un argument : on ne perd rien à essayer, puisque même si ça n’est peut-être pas efficace, en tout cas, ça ne peut pas faire de mal.
Mais est-ce vrai ?
Risques directs des pratiques alternatives
Évidemment, tout traitement comporte des risques, et les soins alternatifs n’échappent pas à cette règle. On pense tout d’abord à la possible dangerosité des pratiques elles-mêmes (c’est-àdire leurs inévitables effets indésirables) et aux risques liés aux erreurs et aux accidents (qui, eux, sont évitables).
Dans le cadre des méthodes de manipulation (ostéopathie, chiropraxie, etc.), un exemple notable est celui des risques rares mais graves en cas de manipulations des vertèbres cervicales, comme la fracture de vertèbres (pouvant causer une tétraplégie ou la mort) ou la dissection des artères du cou (pouvant causer un AVC et parfois la mort) [1]. De nombreux cas ont été rapportés dans la littérature [2], mais la fréquence exacte de ces accidents reste inconnue, faute d’un recensement fiable des effets secondaires. En l’absence d’effet bénéfique clairement démontré des manipulations cervicales [3], la prise d’un tel risque, même faible, questionne. Chez les personnes âgées et les enfants en bas âge, il convient d’être particulièrement prudent, d’autant plus qu’il n’existe aucune preuve d’efficacité chez les enfants, quelles que soient l’indication et la technique [4].
En ce qui concerne la phytothérapie et les compléments alimentaires, les produits peuvent exposer à des risques d’effets indésirables, comme n’importe quelle substance active. Quant aux erreurs et aux accidents, ils sont variés : la contamination de produits à base de plantes par des métaux toxiques est bien documentée, de même que la présence d’éléments non mentionnés sur l’emballage (d’autres plantes, surtout). Ces problèmes sont notamment liés au fait que ces produits ne sont pas soumis aux mêmes règles et donc aux mêmes contrôles de qualité que les médicaments [5]. La grande variabilité de la quantité de principe actif y est aussi bien connue, causée par les différences naturelles de concentration des molécules selon les conditions de culture et de récolte [5]. Il faut aussi prendre en compte la toxicité en cas de surdosage ou en cas de contreindications lors de certaines maladies, ainsi que le risque d’interactions avec des médicaments, des aliments ou d’autres produits alternatifs. Ce risque d’interactions est d’autant plus important que les patients ne signalent pas forcément la prise de produits alternatifs à leur médecin, par ignorance du risque ou par peur d’être jugés [6]. C’est plus particulièrement problématique en cas de grossesse ou de maladie chronique où les contre-indications médicamenteuses sont nombreuses. Ces interactions peuvent devenir critiques en cas de prise d’anticancéreux ou de médicaments contre le rejet de greffe.
Enfin, pour prendre une dernière illustration, l’acupuncture peut provoquer des infections, des saignements, des lésions de nerfs, voire des pneumothorax (une perforation du poumon laissant passer de l’air dans le thorax), et de rares cas de décès ont même été rapportés [7]. Là encore, bien qu’ils soient le plus souvent bénins, ces effets indésirables questionnent : puisque l’acupuncture sans planter d’aiguilles donne généralement des résultats similaires à l’acupuncture authentique [8], un risque même faible lié aux aiguilles est difficilement justifiable.
Risques indirects
Il existe d’autres types de risques, moins directs mais susceptibles de causer du tort aux patients.
Les compétences des praticiens alternatifs peuvent être très variables, surtout lorsque leur titre n’est pas protégé et peut donc être utilisé avec des formations de durée et de qualité très diverses, voire sans aucune formation. Cette absence de formation médicale ou paramédicale standardisée et de bonne qualité est particulièrement gênante lorsque les praticiens utilisent des techniques invasives (notamment des injections), lorsqu’ils donnent à leurs patients des conseils sur leurs traitements conventionnels ou lorsqu’ils doivent gérer un effet indésirable ou un accident lors de leur pratique. Ces problèmes sont donc particulièrement présents lorsque les soins alternatifs sont assurés par des praticiens qui ne sont pas par ailleurs des professionnels de santé au sens du code de la santé publique (médecins, pharmaciens, infirmiers, sages-femmes, kinésithérapeutes, etc.) [9].

Les praticiens alternatifs peuvent aussi sous-estimer les risques de leur propre pratique. Ainsi, une étude montre que si un neurologue sur deux connaît le risque de dissection artérielle en cas de manipulation cervicale, c’est seulement le cas d’un chiropracteur sur quarante-huit [10].
Mais les professionnels de santé, et notamment les médecins et pharmaciens, ont eux-mêmes des connaissances très variables sur les risques des pratiques alternatives et ne peuvent pas forcément donner de bons conseils à leurs patients qui y ont recours.
Un autre risque indirect, et non le moindre, est de détourner les patients de la médecine conventionnelle. Par exemple, la méfiance envers les vaccins est très fréquente chez les praticiens alternatifs [11], qui recommandent parfois à leurs patients d’éviter les vaccins ou certains médicaments.
Un autre problème de cette faible régulation des médecines alternatives est l’absence de recommandations ou de guides de bonnes pratiques qui pourraient limiter les risques.
Pour toutes ces raisons, certains partisans des médecines alternatives demandent une régulation officielle de ces pratiques par l’État afin, selon eux, de limiter les dérives et de promouvoir une prétendue complémentarité de ces approches avec la médecine fondée sur les preuves. Néanmoins, cela reviendrait aussi à légitimer ces pratiques auprès du grand public, et même à donner un faux sentiment d’efficacité et de sécurité (voir par exemple [12]).
Un risque plus pragmatique est d’ordre financier : le coût de ces pratiques est souvent non négligeable. Il peut être directement à la charge des patients ou se répercuter sur le tarif des mutuelles et des assurances santé lorsque celles-ci les prennent en charge. Il existe même des dérives : certains praticiens vendent eux-mêmes les produits qu’ils recommandent à leurs patients, ce qui constitue un conflit d’intérêt évident. C’est d’ailleurs pour éviter ce risque de conflit que les médecins n’ont pas, en France, le droit de délivrer de médicaments à des fins lucratives (article R4127-21 du code de la santé publique) [13].
Risque de mauvais diagnostic ou de retard de diagnostic
Au-delà des traitements eux-mêmes, il existe des risques liés au diagnostic. Confrontés à des patients présentant tel ou tel symptôme, des praticiens n’ayant aucune formation médicale pourraient ne pas savoir repérer certains signaux d’alerte et pourraient juger bénin un problème grave, ou poseraient des diagnostics erronés, voire fantaisistes (comme c’est le cas avec la prétendue « maladie de Lyme chronique » [14]). Le patient risque ainsi, non seulement de ne pas recevoir le traitement dont il a besoin, mais également de se voir proposer un traitement inutile pour lui, mais pas forcément dénué d’effets secondaires. Et le délai avant que le bon diagnostic soit posé s’allonge alors, avec le risque d’une aggravation de la maladie.
De manière générale, nombreux sont les cas où, faute de traitement efficace, des patients ont vu s’aggraver une maladie déjà existante. C’est par exemple le cas de patients ayant refusé de se faire vacciner contre la grippe parce qu’ils avaient pris un produit homéopathique perçu comme comparable au vaccin (par exemple, Influenzinum, qui est présenté comme une « dilution homéopathique du vaccin inactivé de la grippe saisonnière » [15]). C’est également le cas de patients traités pour une infection bactérienne sans antibiotiques, par exemple avec de l’homéopathie [16]. Là encore, il est difficile de quantifier tout cela, et la littérature scientifique fournit surtout des études de cas ponctuels ainsi que des tentatives de nomenclature et de classification des types de risque [17].
Cancer et pratiques alternatives
Parmi tous ces risques, il en existe un particulièrement sérieux : celui de préférer un traitement sans efficacité connue à un traitement éprouvé. La situation la plus critique dans ce contexte est celle du cancer.
Il existe peu d’informations disponibles sur le sujet, mais des chercheurs ont publié en 2018 une étude comparant l’utilisation de traitements conventionnels et de traitements alternatifs contre le cancer [18]. Pour cela, en consultant une banque de données, ils ont identifié 280 patients ayant eu un traitement alternatif mais aucun traitement conventionnel pour quatre types de cancers. Ils ont alors sélectionné 560 patients similaires mais ayant reçu, eux, un traitement conventionnel. Dans cette étude, sont considérés uniquement des patients avec des cancers curables (les patients métastatiques dès le diagnostic, notamment, ont été exclus).
Cinq ans après le diagnostic, les proportions de patients décédés étaient de 21,7 % dans le groupe conventionnel et 45,3 % dans le groupe alternatif, soit un peu plus du double. Cet écart dépend du type de cancer. Celui de la prostate, par exemple, est un cancer d’évolution lente, et cinq ans après le diagnostic on constatait respectivement 8,5 % de décès dans le groupe conventionnel et 13,8 % dans le groupe alternatif (cette différence n’étant pas statistiquement significative). Pour le cancer colorectal, l’écart était nettement plus marqué : 20,6 % de décès dans le groupe conventionnel et 67,3 % dans le groupe alternatif.
Ces résultats sont peut-être sous-estimés, car les auteurs soulignent que certains des patients pourraient en fait avoir bénéficié d’un traitement conventionnel qui n’aurait pas été noté dans la base de données, ce qui aurait pour effet de fausser les résultats en réduisant l’écart entre les deux groupes.
Même si ces résultats sont impressionnants, ils étaient prévisibles : refuser les traitements éprouvés en cas de maladie grave pour faire appel à un traitement infondé revient à ne pas se soigner du tout, avec tout ce que cela implique. Mais dans ce cas, que se passe-t-il chez les patients qui ont recours à un traitement non conventionnel en plus de leur traitement conventionnel ?
Cancer et pratiques complémentaires
La même année, les mêmes auteurs ont publié une étude similaire, mais portant cette fois sur les pratiques dites complémentaires (selon la définition des auteurs : un traitement suivi non pas à la place du traitement conventionnel, mais en plus) [19]. Tous les patients, pour être inclus dans l’étude, devaient avoir bénéficié d’au moins un traitement conventionnel. Là encore, seuls les patients curables étaient inclus dans l’analyse. Comme précédemment, deux groupes ont été constitués : un avec les 258 patients ayant eu recours à un traitement complémentaire en plus du traitement conventionnel, et un contenant 1 032 patients choisis pour leur similarité avec les 258 patients du premier groupe, mais ayant eu uniquement recours à des traitements conventionnels.
Cinq ans après le diagnostic, 13,4 % des patients du groupe « non complémentaire » étaient morts, contre 17,2 % du groupe « complémentaire ». Cette différence est plus faible que dans l’étude précédente mais est statistiquement significative.
Comment cela peut-il s’expliquer ? La dangerosité des pratiques complémentaires elles-mêmes n’est probablement pas en cause. De même, il n’y a pas dans cette étude de retard entre diagnostic et début du traitement conventionnel dans le groupe « complémentaire ». En fait, l’explication est que les patients ayant recours à ces traitements complémentaires sont plus susceptibles de refuser une partie du traitement conventionnel. Ainsi, le groupe « non complémentaire » et le groupe « complémentaire » refusent respectivement la chirurgie dans 0,1 % et 7,0 % des cas respectivement, la chimiothérapie dans 3,2 % et 34,1 % des cas, la radiothérapie dans 2,3 % et 53,0 % des cas, et l’hormonothérapie dans 2,8 % et 33,7 % des cas. En somme, les patients ayant recours à un traitement complémentaire refusent environ dix fois plus souvent chacun des traitements conventionnels.

Évidemment, il s’agit bien de patients ayant refusé un ou plusieurs traitements conventionnels, et non de patients qui n’ont pas pu en bénéficier en raison d’une contre-indication ou d’une autre raison indépendante de leur volonté.
Une analyse plus détaillée montre que, dans cette étude, lorsque l’on prend en compte ce refus d’au moins un traitement conventionnel, la différence de survie entre les deux groupes n’est plus significative, ce qui signifie donc que cette plus grande mortalité serait uniquement due au refus de certains traitements.
Les raisons de ces refus ne sont ici pas connues, mais pourraient être liées à une méfiance envers la médecine conventionnelle ou éventuellement à l’idée fausse que les traitements non conventionnels seraient tout aussi efficaces, et donc suffisants.
Conclusion
Les pratiques dites « douces », malgré leur nom, peuvent causer des effets indésirables. Les quantifier est difficile en l’absence de processus systématiques de déclaration et d’analyse dans ces milieux qui ne sont pas forcément réglementés et organisés. La littérature sur le sujet concerne essentiellement des études de cas et ne permet donc pas d’évaluer la fréquence de ces effets. Rarement graves, ils existent tout de même et pèsent souvent lourd dans la balance bénéfice-risque : lorsqu’il n’y a pas de bénéfice démontré, tout effet indésirable est déjà de trop.
Dans le cas d’une maladie grave comme le cancer, avoir recours à un traitement alternatif augmente le risque de décès car il se substitue souvent à des traitements dont l’efficacité est démontrée. La perte de chance liée au refus d’un traitement efficace semble ainsi être le principal risque de toutes ces pratiques, probablement plus que leurs effets indésirables, et c’est d’autant plus vrai que la maladie est grave.
Mais il faut tout de même garder à l’esprit l’existence de ces effets indésirables : même pour des problèmes de santé bénins, les patients ne devraient avoir recours à des pratiques non conventionnelles qu’en toute connaissance de cause, c’est-à-dire en ayant à disposition toutes les informations sur ce que l’on sait de l’efficacité de ces pratiques et de leurs effets indésirables. Il faudrait aussi, et peut-être même surtout, que le recours à ces pratiques ne se fasse jamais au détriment de traitements efficaces, surtout en cas de maladie grave.
1 | Ministère des Affaires sociales et de la santé, « Le point sur les produits de santé, thérapeutiques et cosmétiques : ostéopathie », rapport Inserm sur l’évaluation de l’efficacité de la pratique de l’ostéopathie, fiche de synthèse, juin 2013. Sur sante.gouv.fr
2 | Puentedura EJ et al., “Safety of cervical spine manipulation : are adverse events preventable and are manipulations being performed appropriately ? A review of 134 case reports”, The Journal of Manual & Manipulative Therapy, 2012, 20 :66.
3 | Gross A et al., “Manipulation and mobilisation for neck pain contrasted against an inactive control or another active treatment”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2015, 2015 :CD004249.
4 | Posadzki P et al., “Osteopathic manipulative treatment for pediatric conditions : an update of systematic review and metaanalysis”, Journal of Clinical Medicine, 2022, 11 :4455.
5 | Ruggeri V, « Phytothérapie : la santé par les plantes », SPS n° 347, janvier 2024. Sur afis.org
6 | Goldstein L et al., “Consumption of herbal remedies and dietary supplements amongst patients hospitalized in medical wards”, Br J Clin Pharmacol, 2007, 64 :373-80.
7 | Zhang J et al., “Acupuncture-related adverse events : a systematic review of the Chinese literature”, Bulletin of the World Health Organization, 2010, 88 :915.
8 | Ruggeri V, « L’acupuncture est-elle efficace ? », SPS n° 345, juillet 2023. Sur afis.org
9 | Vie publique, « Qui sont les professionnels de santé ? », 8 septembre 2022. Sur vie-publique.fr
10 | Haldeman S et al., “Clinical perceptions of the risk of vertebral artery dissection after cervical manipulation : the effect of referral bias”, The Spine Journal, 2002, 2 :334-42.
11 | Ward JK et al., “Diversity of attitudes towards complementary and alternative medicine (CAM) and vaccines : a representative cross-sectional study in France”, Social Science & Medicine, 2023, 328 :115952.
12 | Krivine JP, « Agence des médecines complémentaires et alternatives : cheval de Troie de pratiques infondées », SPS n° 338, octobre 2021. Sur afis.org
13 | Légifrance, Article R4127-21 du Code de la santé publique.
14 | Hansmann Y, « Maladie de Lyme : questions et réponses », 20 décembre 2017. Sur afis.org
15 | Boiron Canada, « Influenzinum », consulté le 12 décembre 2024. Sur boiron.ca
16 | Dumont AF, « Un médecin homéopathe poursuivi après la mort d’un enfant des suites d’une otite mal soignée en Italie », le Quotidien du médecin, 29 mai 2017.
17 | Garrett B et al., “A taxonomy of risk-associated alternative health practices : a Delphi study”, Health and Social Care in the Community, 2022, 30 :1163-81.
18 | Johnson SB et al., “Use of alternative medicine for cancer and its impact on survival”, Journal of the National Cancer Institute, 2018, 110 :121-4.
19 | Johnson SB et al., “Complementary medicine, refusal of conventional cancer therapy, and survival among patients with curable cancers”, JAMA Oncology, 4 :1375.
Publié dans le n° 351 de la revue
Partager cet article
L'auteur
Valentin Ruggeri

Médecin au service de médecine nucléaire du CHU de Grenoble et président de l’Observatoire zététique.
Plus d'informationsMédecines alternatives
Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.
Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.

Inefficaces mais quand même utiles ?
Le 22 mars 2020
Au pire, ça ne peut pas faire de mal ?
Le 17 juin 2025![[Saint-Étienne – mardi 28 janvier 2025] Médecine et pseudo-médecines](local/cache-gd2/7b/efcae58df4b5d7757794ced2011abf.jpg?1736693880)