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L’archéologie romantique, une pseudo-archéologie

Publié en ligne le 13 juillet 2011 - Pseudo-sciences -
Entretien avec Jean-Loïc Le Quellec
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Jean-Loïc Le Quellec est ethnologue, anthropologue, spécialiste de l’art rupestre saharien. Il est directeur de recherches au CNRS, chercheur au CEMAf et membre honoraire de la School of Geography, Archaeology and Environmental Studies à l’Université de Witswatersrand à Johannesburg en Afrique du Sud.1

Il a publié en 2009 deux ouvrages aux éditions Actes Sud/Errance, qui s’efforcent de débusquer et de dénoncer les pratiques pseudo-scientifiques en archéologie. Il a bien voulu répondre aux questions de Science... et pseudo-sciences.

1Site de Jean-Loïc Le Quellec, essentiellement consacré à l’art rupestre : http://rupestre.on-rev.com. L’interview présentée ici a été réalisée par échanges de courriers électroniques.

Quels types de travaux menez-vous en tant que professionnel, et pourquoi avez vous eu envie d’écrire pour dénoncer la pseudo-archéologie ?

Professionnellement, je travaille sur les arts préhistoriques, particulièrement africains, avec une spécialité marquée pour les images rupestres du Sahara. Étant donc amené à lire tout ce qui se publie sur ce sujet, j’ai été fort surpris de constater que certains auteurs prennent apparemment très au sérieux l’idée selon laquelle une partie de ces images auraient été réalisées par les témoins d’atterrissages de Martiens au Néolithique, et je me suis demandé comment une telle aberration était possible.

Après Louis Pauwels, Jacques Bergier et surtout Robert Charroux dans les années 1960 et 1970, quels sont les vecteurs médiatiques actuels de la pseudo-archéologie ?

Les kiosques et maisons de la presse regorgent de magazines parfois éphémères qui reprennent le type de maquette et la mise en page de revues comme La Recherche, Archéologia ou Science & Vie, et qui prétendent publier une « information scientifique alternative » ou prétendument cachée, sous des titres souvent racoleurs. Dans un numéro récent (mai-juin 2010), Nexus a notamment fait l’éloge de « l’archéologie psychique », autrement dit de l’emploi de la voyance en archéologie, en rhabillant la chose à l’aide d’une dénomination plus convenable : « archéologie intuitive ». C’est une adaptation pour la France d’un concept particulièrement développé aux États-Unis, la « psychic archaeology » qui a fait l’objet d’une réfutation en règle par Marshal McKusick dans le Journal of Field Archaeology dès 1982, chose que le journaliste de Nexus méconnaît ou omet de signaler. En publiant ainsi des textes très superficiels et en ignorant souverainement l’avis des spécialistes, les revues de ce genre ne peuvent aucunement prétendre à divulguer une « information scientifique ». Ces publications visent le grand public, de même que des revues comme Kadath ou Atlantis.

Un arrière-plan idéologique

Quelle trame idéologique anime les pseudo-archéologues ou les promoteurs de cette archéologie romantique que vous dénoncez ?

Certaines revues revendiquent le statut de revue scientifique, comme Mankind Quarterly qui publie par exemple des textes, signés par des universitaires, sur les Indo-Européens ou l’histoire du peuplement de l’Inde, mais aussi de nombreux « travaux » à connotation ouvertement raciste, soutenant que les Noirs, les Aborigènes d’Australie et les Amérindiens seraient moins intelligents que les groupes que ces auteurs appellent « Caucasoïdes » et « Mongoloïdes ». Les données de l’archéologie et de la paléontologie sont très abusivement sollicitées par ce genre de théorie aux implications politiques évidentes, et leurs promoteurs cherchent par exemple à démontrer que « les Africains » seraient attardés parce que restés en Afrique, alors que « les Européens » auraient acquis une intelligence supérieure en osant sortir de ce continent. Tout cela repose sur des données obsolètes, témoigne d’une profonde ignorance des acquis actuels de l’archéologie, et ne serait que risible si les travaux de ces prétendus savants n’étaient si diffusés. Ainsi, Philippe Rushton, psychologue dans une université de l’Ontario, a commis en l’an 2000 un livre intitulé Race, Evolution and Behaviour, dont une version abrégée a été tirée à 90 000 exemplaires par The Pioneer Fund (une organisation raciste et eugéniste fondée en 1937) qui en a envoyé gratuitement 30 000 aux chercheurs et aux universités. Tout cela témoigne de l’« entrisme » de mouvements qui s’emploient très activement à infiltrer le monde universitaire, alors qu’ils n’ont rien de scientifique. L’histoire de leur genèse est le plus souvent très révélatrice : The Mankind Quarterly, qui paraît toujours en se donnant l’apparence d’une revue scientifique respectable, a été fondé en 1960 avec l’aide financière du multimillionnaire américain pro-nazi Wickliffe Preston Draper, qui finança également une campagne visant à « rapatrier » en Afrique tous les Noirs-Américains…

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Quant à Robert Charroux, que vous citiez, je ne suis pas sûr que tous ses lecteurs sachent qu’il était extrêmement raciste et que, dans certains de ses best-sellers, il expose que les Blancs, qu’il appelait « Aryens », se doivent de « garder le sang pur » en évitant de reproduire le « péché » des Juifs, qui auraient été jadis de « purs Aryens » eux aussi, mais qui auraient connu une déchéance due à des « unions dégradantes » avec des « races bestiales ». Il mêle à ces âneries la thèse des « anciens astronautes » en expliquant, sans rire, que la supériorité des Blancs résulterait d’un apport génétique originaire d’une autre planète 1.

Très souvent, quand on fait la généalogie des théories chères aux archéologues romantiques, on découvre ainsi que leurs origines ont partie liée avec des conceptions racistes, voire explicitement nazies ou néo-nazies. En ce domaine, donc, il est important de savoir à qui l’on a réellement à faire.

Les enjeux d’une pseudo-archéologie

Quel est le rôle des fondamentalistes religieux dans la production d’une pseudo-archéologie ?

Partout dans le monde, l’archéologie est très souvent instrumentalisée à des fins nationalistes et religieuses, et c’est bien évidemment le cas en Israël, où la force du mythe biblique et l’actuelle situation politique sont particulièrement pesantes, et où des groupes de juifs orthodoxes extrémistes ont récemment cherché à faire interdire toute fouille impliquant la découverte de restes humains. De leur côté, les archéologues romantiques, qui généralement ne font pas de fouilles et ne publient jamais rien dans les revues scientifiques, cherchent à prouver la véracité du mythe en montant en épingle des découvertes qui, à leurs yeux, sont particulièrement significatives sous ce rapport. Nombre d’entre eux s’échinent par exemple à exhiber de prétendues preuves de la contemporanéité des hommes et des dinosaures, afin de sauver une chronologie biblique extrêmement courte. D’autres voudraient prouver la véracité de l’existence des géants bibliques, et leur enthousiasme les conduit à des erreurs comiques. Ainsi de ceux qui ont fait circuler dans la presse et sur Internet une « preuve » constituée par la photo d’un groupe d’archéologues mettant au jour un immense squelette humain. L’enquête a montré que cette image était un montage ayant gagné un prix à un concours de trucages sur Photoshop. Il est amusant de voir que la même photo a également servi à des fondamentalistes musulmans pour tenter de « prouver » l’existence des géants mentionnés dans le Coran 2.

Un des enjeux pour les religions est d’asseoir la part « historique » de leur discours. D’autres enjeux existent-ils ?

Dionysos combattant un Géant

Certains des adeptes des grandes religions monothéistes instrumentalisent les données scientifiques, voire fabriquent des données pseudo-scientifiques dans deux directions. L’une consiste à vouloir authentifier l’assise historique des mythes par des données archéologiques : si l’on retrouve les squelettes des géants mentionnés dans la Bible et le Coran, c’est donc que ces livres disent vrai, et s’ils disent vrai sur un détail aussi incroyable, alors ils doivent être fiables sur le reste. L’autre voie ne nous concerne pas directement ici, qui consiste à rechercher des convergences entre les mythes bibliques ou coraniques et les découvertes les plus récentes de la physique. Ces tentatives de « prouver » le mythe par la science négligent le fait que, dans les sociétés où il est efficient, le mythe, par définition, dit toujours « la » vérité. Ces démarches livrent donc indirectement la preuve que les mythes bibliques et coraniques sont en déshérence et, même du point de vue que veulent défendre leurs partisans, elles sont finalement contre-productives.

Avec l’évolution des croyances contemporaines, constate-t-on également le développement d’une archéologie romantique inspirée du New Age, différente de celle inspirée par les traditions des trois religions monothéistes ?

Ce n’est pas exactement le cas. Le terme New Age recouvre une nébuleuse d’organisations, sectes et mouvements très divers professant généralement que tout élément de l’Univers est divin et que le divin est partout. C’est un mouvement qui puise tant dans les travaux de Carl Gustrav Jung et de Wilhelm Reich que dans les mythologies orientales, et ses adeptes font leur miel tant des livres des ésotéristes que de l’astrologie, du chamanisme, du gnosticisme, du spiritisme et de l’archéologie romantique. À l’aide des éléments ainsi empruntés, ils construisent une mythologie moderne, intégrant une re-sacralisation de la nature et un appel au « changement de paradigme scientifique ».

Dans le but de se « reconnecter » à la nature, à soi-même et à la spiritualité, le mouvement New Age, aucunement organisé bien que largement exploité par certains éditeurs et marchands d’illusions, est un bon exemple d’actualisation permanente et de bricolage mythologique donnant lieu à une floraison de rituels : « néo-chamanisme », « channeling » (spiritisme), « rebirth » (remémoration de l’instant de la naissance) etc. s’inscrivent dans un courant qui privilégie l’épanouissement individuel et le libre choix des adhésions personnelles au sein d’une sorte de supermarché mondial des croyances, tout en prétendant rompre délibérément avec toute forme de dogmatisme religieux ou de formalisation théologique. Répondant donc à une conception du monde aux contours assez flous et qui fait feu de tout bois, le New Age utilise et intègre, parmi bien d’autres choses, certains des sujets favoris des archéologues romantiques, comme les mystérieux pouvoirs des « crânes de cristal » ou des pyramides.

Aux racines de l’archéologie romantique
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Après Pauwels et Bergier exposant le réalisme fantastique dans Le matin des magiciens (1960) puis dans la revue Planète, Robert Charroux est l’auteur d’une Histoire inconnue des hommes depuis cent mille ans parue en 1963 chez Robert Laffont puis plus tard dans la collection « L’Aventure mystérieuse » des éditions J’ai Lu. Entre 1962 et 1996, ce sont 167 titres qui ont été publiés au format poche, diffusant les assertions de l’archéologie romantique, mais aussi des théories ésotériques en tous genres. Robert Charroux en a été une des figures de proue, tout comme T. Lopsang Rampa, auteur d’ouvrages tels que Le troisième œil ou Les clés du nirvana.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27A...

Les crancks

Vous définissez les cranks comme « des chercheurs isolés persuadés d’avoir fait une découverte susceptible de remettre en cause des connaissances acquises dans un domaine, qui se démènent comme des diables pour la faire reconnaître mais dont les prétentions ne rencontrent qu’un silence poli, et qui en concluent aussitôt qu’ils sont victimes d’une cabale institutionnelle visant à étouffer des recherches allant trop loin dans la remise en cause des “dogmes officiels” ». Existe-t-il un profil-type, éventuellement spécifique, du crank qui sévit en archéologie, par rapport à ceux qui sévissent dans d’autres disciplines  3 ?

Non, c’est un profil général, mais en archéologie la situation est un peu différente, à cause du rôle très important qu’ont joué les « amateurs » dans la constitution de cette science, assez récemment encore. Avec la spécialisation croissante et les législations régissant les autorisations de recherches, le rôle des non-professionnels s’est progressivement réduit à celui d’auxiliaire de fouilles. Le hasard pouvant toujours présider à de belles découvertes, certains cranks s’imaginent faire des trouvailles capitales mais ils n’ont pas les bases nécessaires pour les estimer à leur vraie valeur, qui peut être… nulle, notamment dans les cas des pierres-figures. Il y a une différence de fond entre l’archéologue amateur travaillant en lien avec les professionnels parce qu’il est devenu le meilleur spécialiste de la préhistoire de son canton et le crank persuadé d’avoir trouvé des sculptures de dinosaures réalisées par l’homme secondaire !

Existe-t-il des cas où la pseudo-archéologie franchit des portes « institutionnelles » ou des filtres qu’elle n’aurait normalement pas dû franchir ? Dans les médias ? Dans le milieu académique ?

J’ai cité tout à l’heure le cas de Mankind Quarterly, mais ce type de revue n’existe que parce la plupart des auteurs qui s’y expriment voient leurs textes refusés par les publications véritablement scientifiques dites « à référents », où les articles sont évalués avant publication par des spécialistes reconnus de l’ensemble de la communauté scientifique. Certes, il arrive que des travaux brillants soient refusés par les revues à comité de lecture, ou qu’au contraire de mauvais textes y soient acceptés, mais cela reste exceptionnel et finit toujours par être corrigé. De toute manière, l’immense majorité des productions des archéologues romantiques est si mauvaise que l’incompétence de leurs auteurs ne peut que sauter aux yeux de n’importe quel lecteur bien informé.

Internet, une tribune pour les archéologues romantiques

Toute recherche bibliographique ne peut se faire désormais sans l’aide d’Internet, où se trouvent d’immenses bases de données permettant de dépouiller des centaines de livres et de revues sans sortir de chez soi. C’est presque la « Bibliothèque de Babel » chère à Borges, et c’est merveilleux pour un chercheur, mais Internet sert aussi de tribune à beaucoup d’auteurs qui ont vu leur production refusée par les éditeurs ou les revues scientifiques, et qui peuvent y diffuser leurs thèses alors même qu’elles sont rejetées par la communauté savante. Il faut donc savoir faire le tri, et c’est l’un des enjeux actuels de la formation à la recherche.

C’est assez long d’arriver à s’y retrouver, car on s’aventure là dans un monde pratiquement infini. Pourtant, avec le système des liens entre sites on finit par identifier, dans cet univers réticulaire, des sous-réseaux spécialisés partageant une même passion ou une même idéologie, et on découvre aussi d’autres réseaux cherchant à réfuter les affirmations des premiers. C’est un phénomène désormais répandu sur beaucoup de sujets, tels que climat, OGM, médecine, etc. L’archéologie n’échappe pas à ce mouvement général, et il est facile de trouver des centaines de sites et de forums consacrés aux « anciens astronautes », à la question de la date précise de la création du monde ou aux géants bibliques. Par exemple, une recherche effectuée le 25 octobre 2010 sur Google avec l’expression « ancient astronauts » donnait 113.000 réponses.

Il n’a jamais été dans mon intention de consulter tous les sites répondant à ce type de recherche, et je me limite aux plus nourris, à ceux qui sont régulièrement mis à jour et qui ont le plus de visiteurs, puisque ce sont eux les plus influents. Quantité des pages consacrées à ces sujets recopient purement et simplement celles d’autres sites, et le nombre des thèmes traités est assez réduit.

Enfin, il est intéressant de remarquer que les requêtes du type « “ancient astronauts” + refutation » ou « “ancient astronauts” + skeptic* » ne donnent plus que 10.000 à 15.000 réponses. Cela tient au fait que les archéologues se contentent trop souvent de hausser les épaules à la lecture de ce qu’ils considèrent comme des inepties. Que trop peu de spécialistes prennent la peine de produire des réfutations en règle m’a incité à écrire ce livre.

J.-L. L. Q.

Il en va différemment hors du monde académique, surtout auprès des médias friands de « scoops » et de « mystères ». On ne compte hélas plus les séries TV ou les pseudo-documentaires dans lesquels des individus comme Erich von Däniken sont imperturbablement présentés comme de grands savants. Ils y sont souvent interviewés sur fond de bibliothèque ou de laboratoire pour accréditer l’idée d’une érudition ou d’une spécialisation en réalité absentes, et il est regrettable que ces productions leur offrent une large tribune auprès d’un public pas toujours armé pour déjouer la supercherie. Là, ce sont les journalistes et réalisateurs responsables de ces séries qui sont à blâmer : sous le masque de l’information, ils font œuvre de désinformation, quand ce n’est pas de propagande.

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De même, toutes les revues que l’on trouve dans les kiosques et dont les titres associent chaque mois les termes « mystère », « énigme » ou « secret » à des sujets rebattus tels que le suaire de Turin, les trésors du roi Salomon, la swastika ou le labyrinthe, exercent leur mercantilisme au détriment de l’information. On ne peut qu’être atterré en lisant dans un article sur « La quête du Graal par les Nazis », paru en octobre 2010 dans l’une d’elle présente dans tous les kiosques, que « la grande civilisation des Mégalithiques, née dans le nord de l’Europe et le long de la façade atlantique […] essaima par la suite dans le monde entier, apportant leur science et leur savoir-faire aux autres peuples  ». Mais quand on découvre qu’à la suite de cette idiotie, l’auteur ajoute : « le vieil adage “Ex Oriente Lux” est obsolète. C’est de l’Occident qu’est venue la Connaissance  », on ne peut que s’alarmer, car c’est précisément l’une des thèses centrales de l’idéologie nazie 4, reprise dans les années 1950 par l’archéologue romantique Jürgen Spanuth (1907–1998) dans ses livres sur l’Atlantide.

Une des caractéristiques des cranks est d’incarner une forme de romantisme suranné à propos de la pratique scientifique, correspondant à l’image d’Épinal du « génial inventeur isolé » alors que, globalement, la science ne fonctionne plus ainsi depuis longtemps et est devenue une entreprise de plus en plus collective et planifiée. Cela est-il vrai aussi en archéologie ?

En gros, oui. Les techniques mobilisées par les archéologues sont si nombreuses et si complexes – si coûteuses aussi – que personne ne peut avoir les moyens intellectuels ou financiers de les maîtriser toutes. Personne ne peut à la fois faire des fouilles sur un site, avoir dépouillé toute la littérature publiée dans son domaine, et être aussi spécialiste de dendrochronologie, de tracéologie et de spectrométrie Raman, sans parler de dominer les outils statistiques ou de pratiquer des examens au microscope à balayage électronique, voire de dater des poteries par électroluminescence, pour ne citer que quelques spécialisations. Ce qui est encore possible de nos jours pour un chercheur isolé, ou pour un petit groupe d’amateurs, c’est de prospecter des zones délaissées par leurs prédécesseurs et d’y découvrir des sites inédits. En France, c’est ce qui s’est passé avec la grotte Chauvet, mais, dès qu’on passe à l’étude de tels sites, il n’est plus possible de rien faire de sérieux sans former d’abord une équipe de chercheurs aux spécialités variées, qui ne peuvent être que des professionnels.

La méthode archéologique

Quelles sont les règles méthodologiques dont l’archéologie s’est progressivement dotée pour définir un travail « scientifique » dans la discipline, et, parmi celles-ci, quelles sont celles que les archéologues romantiques respectent le moins ?

Ce qui caractérise surtout les archéologues romantiques, c’est qu’ils ne suivent réellement aucune méthode. La plupart du temps, ils suggèrent sans démontrer, affirment sans argumenter, et sont complètement ignorants de l’état actuel du savoir. De plus, leurs thèses sont d’une immodestie confondante. On ne les voit jamais affiner la chronologie de la VIe dynastie égyptienne, perfectionner la typologie des armes de l’Âge du Bronze ou peaufiner l’étude tracéologique d’une faucille néolithique. Non, ce genre de tâche est indigne de leur génie… Eux, ils prétendent démontrer que toutes les chronologies de la préhistoire sont fausses, que les anciens Égyptiens ou les premiers Pascuans disposaient de technologies inconnues bien en avance sur les nôtres, ou que les peintures du Sahara démontrent que les Martiens nous ont visités au Néolithique… excusez du peu !

À plusieurs reprises, vous vous en prenez à la notion de « révolution néolithique »  5. Pourquoi ce rejet de votre part ?

Cette notion implique l’idée d’un bouleversement soudain, que toutes les études contredisent. Si « révolution » il y a eu, elle fut progressive. Surtout, l’idée le plus souvent associée à cette notion est celle de progrès techniques – domestication, invention de la poterie – qui seraient survenues subitement en un seul endroit – le Croissant fertile – avant de diffuser de proche en proche dans le reste du monde. Un simple examen des données contredit amplement cette façon de voir, encore trop répandue. Il y a eu de nombreux foyers de domestication indépendants, en Afrique, en Amérique, en Asie, qui ne doivent absolument rien au Croissant fertile, et les premières poteries connues sont apparues au Sahara et au Japon bien avant celles de cette région. Donc, si l’on voulait conserver le terme de « révolution néolithique », il faudrait l’utiliser au pluriel : des révolutions, oui ; une « révolution néolithique », non.

Une attitude se développe dans le milieu de l’archéologie comme dans d’autres domaines : celle du chercheur qui tend à diffuser sa « découverte » par le biais d’une annonce publique, relayée sur Internet, avant même d’être soumise au contrôle de ses pairs via une publication scientifique. La communauté des archéologues ou anthropologues développe-t-elle une réflexion pour éviter de telles dérives ?

Je crains bien que non, ou alors je n’en suis pas informé. Je constate au contraire que ce procédé aurait plutôt tendance à se répandre. L’une des raisons en est la course aux crédits, indispensables pour pouvoir poursuivre des recherches nécessitant d’importants moyens financiers. Les financeurs, laboratoires et autres sponsors souhaitent que leur investissement leur apporte de la « visibilité », et encouragent donc les publications rapides. Ce processus, qui a d’abord touché les anthropologues à la recherche des premiers hominidés, aboutit à une course médiatique au premier ceci, au plus ancien cela, au détriment des recherches de longue haleine, ou portant sur des sujets tout aussi intéressants mais moins prisés des journalistes. Il conduit aussi à privilégier les publications en anglais, et les chercheurs français sont fortement encouragés par leurs tutelles à publier dans des revues anglo-saxonnes. Je pense qu’en obéissant à ces modes, la recherche française se tire une balle dans le pied, mais je crains fort d’être très minoritaire sur ce point.

Quels peuvent être, selon vous, les dangers de cette archéologie romantique, tant sur le plan académique que du point de vue de la diffusion de la connaissance ?

Le principal danger est à mes yeux la diffusion et le renforcement de conceptions rétrogrades (fondamentalisme, créationnisme…) ou de théories dangereuses (racisme, eugénisme…) – avancées sous un masque faussement scientifique.

Références

1 | Abu el-Haj, Nadia. 1998. “Translating truths : Nationalism, the practice of archaeology, and the remaking of past and present in contemporary Jerusalem”. American Ethnologist 25 (2) : 166-188.
2 | Chapoutot, Johann. 2008. Le National-Socialisme et L’Antiquité. Paris : PUF.
3 | Fagan, Garrett G. 2002. Alternative archaeology. In The Skeptic Encyclopedia of Pseudoscience. Ed. Michael Shermer. Santa Barbara [California] : ABC-CLIO, Inc.
4 | Fagan, Garrett G. 2006. Archaeological Fantasies. How Pseudoarchaeology Misrepresents the Past and Misleads the Public. London : Routledge.
5 | Feder, Kenneth. 1996. Frauds, myths and mysteries : Science and pseudosciences in archaeology. In Frauds, Myths and Mysteries : Science and Pseudosciences in Archaeology. Mountain View : Mayfield.
6 | Gosden, Chris. 2006. “Race and racism in archaeology : An introduction”. World Archaeology 38 (1) : 1-7.
7 | Le Quellec, Jean-Loïc. 2009. Des Martiens au Sahara. Chroniques d’archéologie romantique. Arles : Actes Sud / Errance. Voir la note de lecture.
8 | Le Quellec, Jean-Loïc. 2010. La Dame Blanche et l’Atlantide. Enquête sur un mythe archéologique. Arles : Errance / Actes Sud. Voir la note de lecture.
9 | McKusick, Marshall. 1982. “Psychic archaeology : Theory, method, and mythology”. Journal of Field Archaeology 9 (1) : 99-118.
10 | MacEachern, Scott. 2006. “Africanist archaeology and ancient IQ : Racial science and cultural evolution in the twenty-first century”. World Archaeology 38 (1) : 72-92.
11 | Stoczkowski, Wiktor. 1999. Des hommes, des dieux et des extraterrestres. Ethnologie d’une croyance moderne. Paris : Flammarion, 474 p.
12 | Wiwjorra, Ingo. « Ex Oriente Lux », « Ex Septentrione Lux » : Über Den Widerstreit Zweier Identitätsmythen. In Prähistorie Und Nationalsozialismus. Die Mittel-Und Osteuropäische Ur-Und Frügeschichtsforschung in Den Jahren 1933-1945. Edited by Achim Leube and Morten Hegewisch. Heidelberg : Synchron Verlag, 2002.

1 Voir Stoczkowski 1999 : 398-40, et 469, notes 17 à 30.

2 Voir sur le site de Jean-Loïc Le Quellec les informations, les photos et les liens sur cette affaire : http://rupestre.on-rev.com/page156/....

3 Voir en particulier l’article d’Alexandre Moatti, « L’alterscience, une autre forme d’opposition à la science », SPS n° 292.

4 Voir Johann Chapoutot, Le national-socialisme et l’Antiquité, PUF (2008).

5 Cette expression veut qualifier d’importantes transformations sociales qui se sont produites au Néolithique, en conséquence notamment de la découverte de l’agriculture, qui a transformé le mode de vie de sociétés humaines qui étaient jusque-là celles de chasseurs-cueilleurs.