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Dossier • Agriculture et pesticides

L’attachement à l’usage des produits phytosanitaires

Publié en ligne le 26 avril 2016 - Pesticides -

Témoignage d’un agriculteur

Pourquoi les agriculteurs sont-ils attachés à l’usage des produits phytosanitaires ? Cette question, beaucoup de personnes se la posent. Si l’on en croit tout ce qui se dit et s’écrit, se passer des produits phytos serait juste une question de volonté. C’est un peu comme le tabac, il suffirait de suivre une cure de désintoxication. Les bios y arrivent bien, eux ! Et comme les multinationales du tabac sont coupables d’encourager la dépendance, les industriels de la protection des plantes, les distributeurs ou les coopératives sont accusés de manipuler les agriculteurs (voir ainsi, par exemple, l’action de Greenpeace le 13 mai 2015 contre la coopérative InVivo accusée « d’empoisonner les agriculteurs »).

Les critiques de l’agriculture productiviste nous expliquent que, si nous en sommes là, c’est à cause de l’INRA, de la FNSEA, des banques, etc. Mais qui peut croire que l’évolution de l’agriculture française aurait pu être différente de celle des autres pays industriels ? Peut-on imaginer, dans l’économie contemporaine mondialisée, une agriculture française qui en serait restée aux techniques d’il y a un siècle ?

En Angleterre, en Allemagne, aux USA et dans bien d’autres pays, l’agriculture a suivi une évolution similaire, voire bien plus radicale si on considère le pourcentage de la population agricole dans le total de la population active. Au contraire, le syndicalisme a freiné et rendu plus supportable une évolution qui aurait pu être encore plus brutale.

Pourquoi les agriculteurs se sont-ils mis à utiliser des produits phytosanitaires alors qu’au début du XXe siècle, ils n’en utilisaient pratiquement pas ? Les produits phytosanitaires ne sont qu’un aspect de toutes les transformations qui ont affecté le mode de production agricole. Il y a également les engrais de synthèse, l’amélioration génétique des semences, la mécanisation, la spécialisation des productions. Il faut se rappeler qu’avant la deuxième guerre mondiale, le travail agricole reposait essentiellement sur la force humaine. Le principal moteur de l’évolution de l’agriculture a été l’exode rural, l’attrait de l’industrie qui proposait de meilleurs salaires et un plus grand confort de vie. Ceux qui sont restés ont dû faire face à plus de travail pour moins d’actifs. Il a fallu s’adapter. La mécanisation et le désherbage à l’aide de produits phytosanitaires ont permis une amélioration considérable de la productivité du travail agricole.

Fils d’agriculteurs, j’ai connu l’agriculture des années 60 où les enfants aidaient à la sortie de l’école et pendant les vacances. Le désherbage chimique des céréales existait déjà grâce aux herbicides antidicotylédones. En revanche, pour une culture comme la betterave à sucre, le désherbage se faisait encore manuellement. C’était un travail long et fastidieux qui cessa rapidement avec l’invention de la monogerme génétique (la graine de betterave est multigerme et pour ne laisser qu’une seule plante tous les 20 cm, il fallait enlever à la main les plantes surnuméraires : cette opération s’appelait le démariage) et l’arrivée de désherbants spécifiques. Autant que la mécanisation, le désherbage chimique a été dans le monde agricole une révolution qui a libéré le travailleur d’une tâche ingrate. C’est en quelque sorte un acquis social. La très grande majorité des agriculteurs n’est pas prête à y renoncer tant qu’elle n’aura pas une solution de remplacement efficace et rentable. Nous sommes aujourd’hui au XXIe siècle. Les nouvelles technologies sont déjà très présentes en agriculture (guidage du tracteur par GPS, robot de traite) et je suis convaincu que dans un futur pas très lointain, nous aurons à notre disposition des robots désherbeurs qui permettront dans beaucoup de situations de se passer de désherbants tout en ayant un résultat équivalent. Si nos politiques veulent vraiment réduire l’usage des phytos, c’est dans cette direction qu’ils doivent mobiliser les énergies et les capitaux, pas dans des usines à gaz tel qu’Écophyto 1 !

Les agriculteurs sont des gens pragmatiques. Ils n’obéissent pas à des conseilleurs qui ne seront pas les payeurs. S’ils constatent qu’une solution fonctionne chez leur voisin, ils vont l’essayer. D’abord sur une parcelle. Puis, si c’est concluant, ils testeront plus grand l’année suivante. La diffusion des nouvelles techniques de production dans le monde agricole a été largement étudiée par les sociologues. Ils ont classé les agriculteurs selon leur plus ou moins grand intérêt pour l’innovation. Le métier d’agriculteur s’exerce à la vue de tous et chacun regarde ce que fait son voisin. Il suffit que quelques précurseurs testent une nouvelle machine, un nouveau produit pour que, si l’essai est concluant, les suiveurs l’adoptent à leur tour l’année suivante. Il y a évidemment des récalcitrants, hostiles à toute idée d’évolution des techniques. Ils vont mettre en avant les inconvénients, évoquer le tassement des sols par les tracteurs, demander si les engrais de synthèse ont la même valeur nutritive que les fumiers, si le produit alimentaire a le même goût, etc. Mais ils sont en fin de compte extrêmement peu nombreux et disparaissent par le simple fait qu’arrivés à la fin de leur carrière, ils n’ont pas de successeurs et leurs terres vont agrandir une exploitation modernisée.

La visibilité de l’activité agricole est essentielle dans la diffusion des techniques. Montrer à son voisinage qu’on sait cultiver, que le sillon est droit, la parcelle propre et la récolte abondante, c’est la fierté de l’agriculteur et la garantie du respect des collègues. Jusqu’en 1992, année de la réforme de la politique agricole commune, l’agriculteur visait l’optimum technique plus qu’économique. En fait, les deux se confondaient. Cette fin des années 90, que j’ai vécue comme agriculteur, réintroduit le raisonnement économique dans l’utilisation des intrants. On observe une stabilisation, voire une baisse des quantités commercialisées tant en engrais de synthèse qu’en produits phytosanitaires alors que la production agricole continue d’augmenter, avec l’objectif d’un rendement par hectare élevé. Pourquoi cet objectif ?

La réforme de 1992 soumet les grandes cultures (céréales, oléagineux et protéagineux) à la concurrence internationale (les productions animales conservent leurs organisations de marché qui ne sont démantelées que depuis peu, comme l’illustre par exemple la fin des quotas laitiers). Les céréaliers du bassin parisien, même s’ils sont perçus comme des « gros » par nos compatriotes, sont des nains comparés aux agriculteurs des pays du Nouveau Monde (Amériques, Australie) et aussi de l’ancienne URSS. Les études conduites par Arvalis 2 montrent que c’est notre productivité par hectare élevée et sa régularité d’une année sur l’autre qui nous permet d’obtenir un prix de revient compétitif. Ce rendement élevé implique de mettre en œuvre toutes les technologies disponibles et l’utilisation des produits phytosanitaires en fait partie.

Si la volonté de la société est de réduire l’usage des produits phytosanitaires, ce n’est pas dans la mise en œuvre des techniques du passé qu’il faut chercher des solutions, mais bien dans les innovations que la science moderne nous propose. La lutte contre l’enherbement peut passer par une automatisation du désherbage manuel, c’est-à-dire comme évoqué précédemment, par sa robotisation. En ce qui concerne la lutte contre les maladies et parasites, le premier moyen de contrôle en amont des phytos, c’est d’accroître la capacité de la plante à résister. C’est ce qui s’appelle l’amélioration génétique des plantes. Il faut également citer les techniques de biocontrôle qui sont prometteuses mais qui pour le moment proposent peu de solutions en grandes cultures.

1 Écophyto est un ensemble de dispositions initiées en 2008 à la suite du Grenelle Environnement et visant à réduire progressivement l’utilisation des pesticides en France.

2 Perspectives agricoles N° 349, octobre 2008, Valérie Leveau, ARVALIS.