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La Raison sans la science risque de servir ce qu’elle prétend attaquer

Publié en ligne le 16 février 2008 - Rationalisme -

Réponse à la tribune de Nicolas Hulot intitulée « OGM : la raison contre les préjugés » parue dans l’édition du 17 janvier 2008 du quotidien Le Monde 1.

Votre appel à la raison, en soi louable, se fonde semble-t-il sur la confiance que vous apportez au comité de préfiguration d’une haute autorité sur les OGM, présidé par un parlementaire, le sénateur Le Grand, et qualifié pour l’occasion de « haute autorité scientifique ». Selon vous, cette « haute autorité scientifique » aurait mis en lumière que « les faisceaux de présomption sur les risques graves et irréversibles du Mon810 existent ». Ceci autoriserait la comparaison que vous risquez avec l’amiante, à laquelle vous ajoutez une préoccupation éthique, fondée en dernier ressort par le fait qu’avec les OGM l’on transgresserait « la barrière des gènes » ( ?). Mais le bât blesse dès le départ…

Douze scientifiques sur quinze dudit comité de préfiguration se sont estimés trompés voire trahis par les conclusions tirées par le sénateur Le Grand ; ils l’ont affirmé publiquement et collectivement en adressant un texte à l’AFP. Quarante académiciens avec Pierre Joliot se sont élevés dans une tribune libre pour qu’on respecte « les paroles scientifiques » 2. Une déclaration posant la question « Pourquoi faudrait-il donc suspendre la culture du maïs OGM ? » élaborée par des scientifiques avec l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) a recueilli en l’espace d’un mois le soutien de plusieurs centaines de directeurs de recherche de la Recherche publique 3. Réunis en colloque au Sénat le jour même où votre tribune était publiée, plus d’une centaine de chercheurs ont soumis à l’examen les questions soulevées par le chef de l’Etat, puis par la haute autorité provisoire qu’il a mise en place. Eux aussi ont tiré les mêmes conclusions 4 : il n’y a pas de fondement scientifique pour les craintes sanitaires et environnementales développées sur le maïs Bt, il n’y a pas de fondement scientifique pour en suspendre la culture, il n’y a pas de fondement scientifique à l’activation de la clause de sauvegarde : les faisceaux de présomption que vous évoquez n’existent pas.

La « haute autorité scientifique » que vous prêtez au Sénateur Le Grand, se trouve certes très entourée sur le plan politique, et votre lettre ouverte en témoigne, mais elle est très isolée sur le plan scientifique. Alors que votre fondation et vos amis se félicitent du très large consensus scientifique en matière climatique, il serait d’ailleurs intéressant de comprendre, puisque préjugés il n’y aurait pas, pourquoi le très large consensus scientifique sur l’innocuité, voire les bénéfices sanitaires, du maïs Bt ne mérite pas la même considération. Ce n’est pas se positionner en « nervis » du lobby pro-OGM, pour reprendre le vocabulaire élégant que vous faites vôtre le temps de votre tribune, que de dire la vérité à nos concitoyens. Nos collègues académiciens ont fort bien posé le problème : « Tout en reconnaissant que les choix politiques peuvent reposer sur d’autres critères que les seules analyses fournies par les scientifiques, nous demandons que le rejet de ces dernières ne soit pas les raisons avancées pour des décisions dont les fondements sont tout autres.  »

Nous comprenons bien que pour certains, dont vous faites visiblement partie, la transgénèse rime avec transgression et soulève des questions éthiques voire religieuses ; nous comprenons bien que pour d’autres, et peut-être vous-même, les conditions politiques, économiques, sociales de l’introduction et du développement des biotechnologies dans l’agriculture devraient être mises en débat. Tout cela nous le comprenons bien, et, individuellement, en tant que citoyens, nous sommes prêts à entrer dans ces débats, mais pas en s’abritant derrière de prétendues raisons scientifiques : dans le débat démocratique un homme égale une voix, tandis que la légitimité scientifique est fondée sur le savoir. C’est ainsi que la démocratie gagnerait, à l’heure par exemple de la redéfinition des missions de l’audiovisuel public, à ce que soit développée l’information scientifique des citoyens ; c’est à ce prix que chacune et chacun d’entre nous pourrait se faire, avec un éclairage honnête des enjeux, et loin de la culture de la peur, une opinion éclairée et raisonnée.

Nous ne pouvons ainsi pas accepter le mélange des genres que vous réalisez. Nous comprenons bien, encore une fois, que l’utilisation des biotechnologies dans l’agriculture et l’alimentation, que vous réprouvez ou sur laquelle vous êtes pour le moins dubitatif, vous est plus facile à contrer en prétendant que ces biotechnologies pourraient se révéler dangereuses pour la santé animale et humaine, et néfastes pour l’environnement. Pour un maïs comme le maïs Bt, puisque vous avez bien compris, vous aussi, qu’on ne peut parler des OGM qu’au cas par cas, c’est bel et bien le contraire qui se passe. C’est d’ailleurs pour cela que le « Service public de l’expertise scientifique » que constituent les commissions de biosécurité (AFSSA, CGB, etc.) a donné son feu vert.

Si vous voulez en appeler à la Raison et à dépasser les préjugés il faudra donc, si vous refusez aux agriculteurs français le droit de cultiver le maïs génétiquement modifié pour résister à la pyrale et à la sésamie, que vous argumentiez en quoi vos arguments éthiques ou politiques l’emportent sur les bénéfices sanitaires et environnementaux qu’apportent ces variétés de plantes.

Comme l’écrivait le journaliste scientifique Michel Rouzé, ancien rédacteur en chef d’Alger Républicain et fondateur en 1968 de l’AFIS, on ne peut « fonder une éthique et une action politique sur la seule valorisation de la connaissance. Les motifs d’agir viennent d’ailleurs ; mais l’action qui n’est pas basée sur la rationalité, qui n’est pas basée, aujourd’hui, sur la science, est une action qui s’égare et qui, finalement, risque de servir ce qu’elle prétend attaquer » 5.


Thème : Rationalisme

Mots-clés : OGM - Science