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La Stévia, un édulcorant « naturel » ?

Publié en ligne le 13 mai 2014 - Alimentation -

La Stévia est un édulcorant qui connaît un regain de popularité. Présenté comme « naturel », il tend à devenir un substitut à l’aspartame victime de la campagne médiatique autour de risques allégués (mais non démontrés) de cancer ou de diabète. Ainsi, Coca-Cola, confronté à la baisse des ventes de son soda light (avec aspartame) vient-il de lancer en Argentine le Coca-Cola Life, à base de Stévia, présenté comme naturel (commercialisé avec une étiquette verte en remplacement du célèbre fond rouge).

Autorisé à la consommation dans l’Union européenne depuis novembre 2011, la Stévia ne présente néanmoins pas toutes les qualités pour se substituer à l’aspartame. En particulier, les consommateurs lui reprochent un goût anisé que l’industrie agro-alimentaire essaie, par diverses recettes de limiter (en mélangeant avec du sucre, par exemple, mais en perdant alors l’affichage « light »).

Mais surtout, les allégations de « naturel » sont très surprenantes. Cet additif est extrait des feuilles d’une plante, Stevia rebaudiana Bertoni, membre de la famille des Compositae, qui poussait à l’origine en Amérique du sud (Paraguay et Brésil). Les pouvoirs édulcorants de la plante sont connus depuis très longtemps, et ses feuilles renferment au moins dix glycosides différents, constitués d’un « noyau » commun le stéviol, sur lequel sont greffées plusieurs molécules de sucres (glucose ou rhamnose). Les glycosides majeurs sont le stévioside et le rebaudioside A. Les préparations commerciales sont donc, par simplification, dénommées « Stévia » ou « Stévioside » ou « Rébaudioside » et ont des compositions différentes.

Avant d’être autorisé, l’édulcorant issu de la plante a suivi un parcours de plus de 20 ans d’évaluation par les agences de santé. Il a d’abord été considéré comme non admissible du point de vue toxicologique par le Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine (CSAH) de la Commission Européenne (1987). Le même CSAH (avant de se fondre dans l’AESA, l’Agence européenne de santé alimentaire) a une nouvelle fois, en 1999, émis un avis défavorable. Parmi les éléments essentiels de cette opinion figurait l’insuffisance des données toxicologiques et le manque de précision quant à la composition des extraits utilisés dans les essais. Le Comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires (JECFA) a, de son côté, publié en 2000, 2005, 2006 et 2007, des avis plus ou moins circonstanciés réclamant des éléments complémentaires pour se prononcer sur l’innocuité du produit.

Plants de Stévia au marché de Louhans

Ce n’est qu’à partir de 2007 que l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a émis des avis sur les glycosides de stéviol et le rébaudioside conduisant à une autorisation nationale provisoire de deux ans du rébaudioside pur à plus de 97 %, dans des conditions d’utilisation restrictives.

Enfin, le 10 mars 2010, le panel sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments (ANS) de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA) adopte pour les glycosides de stéviol une DJA (dose journalière admissible) relativement prudente.

L’origine « naturelle » de l’édulcorant, son utilisation traditionnelle par certaines populations au Japon, au Paraguay et au Brésil ne l’a pas exempté d’une caractérisation du risque complète, comme pour tout additif alimentaire et en dépit de l’impatience des utilisateurs potentiels. C’est ainsi qu’il aura fallu presque 25 ans pour arriver à l’autorisation d’un produit purifié, l’extrait « naturel » de la plante étant toxique et perturbateur endocrinien [1]. De nombreuses étapes ont été nécessaires pour isoler le produit consommable sans risque. Cependant, la Commission Européenne, dans son avis d’autorisation, souligne le risque de dépassement de la DJA fixé à 4mg/kg de poids corporel. Ceci est à mettre en parallèle avec la DJA actuelle de l’aspartame qui est de 40mg/kg p. c.

Les scientifiques ont avancé à leur rythme, sans doute trop lentement diront d’aucuns. Mais, confrontés à la difficulté systématiquement rencontrée avec les produits d’origine naturelle en ce qui concerne la caractérisation des produits, de leur composition et de leur méthode d’obtention, il ne pouvait en être autrement.

Référence
1 | Oliveira-Filho RM., OA Uehara, CA Minetti and LB Valle. "Chronic administration of aqueous extract of Stevia rebaudiana (Bert.) Bertoni in rats : endocrine effects." General Pharmacology 20 :187-191, 1989. Cité dans le rapport du comité scientifique de l’alimentation de l’Union Européenne de 1999. http://ec.europa.eu/food/fs/sc/scf/...

Publié dans le n° 306 de la revue


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L' auteur

Gérard Pascal

est directeur de recherche honoraire à l’INRA, ancien président des comités scientifiques directeur (CSD) et de (...)

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