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La numérologie pourrait être scientifique...

Publié en ligne le 22 novembre 2007 - Numérologie et nombre d’or -

La croyance en la numérologie part d’un raisonnement séduisant et sympathique qu’on pourrait résumer de la manière suivante : en science, tout se ramène plus ou moins à des nombres, et ce qui fait la qualité d’un travail scientifique est la rigueur avec laquelle il se fonde sur des données numériques, qu’il traite avec soin, c’est-à-dire en recherchant des règles liant les nombres, en les énonçant, et en les utilisant ensuite pour prévoir de nouveaux faits et éclairer les faits anciens.

Les numérologues, en procédant selon cette idée centrale dans bien des domaines incontestablement scientifiques, semblent se donner un moyen d’accès rigoureux à la vérité. La numérologie devrait donc être considérée avec sérieux et respect. En allant un peu plus loin, on pourrait même dire que la numérologie du fait de ses méthodes est une science, et que c’est de toutes ses concurrentes directes (astrologie, divination par les cartes, par les lignes de la main, etc.) la plus sérieuse, voire la seule à être rigoureusement scientifique.

Bien sûr, la grande majorité des gens n’est pas du tout convaincue par cette présentation – implicite ou explicite – que les numérologues proposent de leurs travaux. L’intuition souffle à chacun (enfin presque...), qu’il s’agit là d’un sophisme et que, bien au contraire, la numérologie n’est en rien une science et qu’elle ne produit qu’illusions et tromperies. Le niveau moyen des livres de numérologie ou des sites Internet qui s’y consacrent est affligeant, la niaiserie et le dogmatisme y triomphent, le tout dissuadera tout esprit sérieux de s’y intéresser, même s’il était ouvert et séduit par le principe général prétendu de la numérologie.

Oui, mais pourquoi, au fond, est-ce que ça ne marche pas ? En quoi les manipulations que les numérologues opèrent sur les nombres et les chiffres ne constituent-elles pas des manipulations comparables à celles que mènent les physiciens, les chimistes, les biologistes, etc. ? Pourquoi les calculs que font les uns sont des attrape-nigauds alors que les calculs que font les autres sont d’authentiques méthodes d’approche de la réalité ?

Je crois que la réponse ne doit pas être recherchée très loin et qu’elle peut être énoncée sous sa forme la plus brutale : la numérologie est une escroquerie.

Les lois que prétendent connaître et utiliser les numérologues sont assez précises. Par exemple : si votre nombre est 3, il vous est facile de gagner de l’argent ; s’il est 8, vous êtes fait pour la chirurgie, la mécanique et les carrières militaires, s’il est 6, vous avez du tact, s’il est 7, vous êtes particulièrement altruiste, etc. (ces « lois » sont tirées du fascicule La numérologie du Pr. Sydney Parker, Collection Sciences Occultes, France Sud publications).

J’affirme que ce n’est pas la nature de ces prétendues lois numérologiques qui les rend stupides – la science découvre des corrélations qui parfois surprennent, et elle est une aventure où l’étonnement n’est jamais une raison suffisante de refus ! Ce qui fait de la numérologie une fausse science est qu’elle n’établit pas ses prétendues lois, et ne cherche d’ailleurs même pas à le faire.

La question, par exemple, de savoir si « les individus dont le chiffre personnel est 8 sont dominateurs » pourrait être parfaitement tranchée de manière rigoureuse. On conviendrait d’une définition des traits de caractère du dominateur, on mènerait une étude statistique en considérant un échantillon assez important de sujets (du type de celle qu’on mène en médecine), et on aurait la réponse à la question de savoir si la loi est valide ou non. Étrangement, dans aucun des livres de numérologie que j’ai pu consulter, on n’évoque d’études qui, soit auraient été menées pour établir les lois de cette science, soit auraient été réalisées a posteriori pour tester les affirmations de ceux qui prétendent détenir des telles lois.

À vrai dire, personne ne prend au sérieux ces lois et – j’en suis persuadé – pas même ceux qui les énoncent et en font commerce, qui savent que seuls quelques imbéciles accordent de l’attention à ces méthodes et règles de calculs souvent farfelues et arbitraires. Les numérologues ne croient pas à leurs prétendues lois, ils ne cherchent pas à les établir, ni à les contrôler, et c’est pourquoi il faut, à ce sujet, parler d’escrocquerie.

À la question posée plus haut sur ce qui distingue les manipulations numériques opérées par les numérologues de celles opérées par les scientifiques, la réponse est simple : les premiers ne contrôlent rien et disent ce qui leur passe par la tête (ou recopient leurs prédécesseurs qui n’ont rien établi, ni vérifié), alors que les seconds sélectionnent, font des approximations, valident, se contrôlent mutuellement, refont les expériences ou les statistiques, recoupent, affinent, corrigent, perfectionnent, etc.

Les premiers délirent sans retenue et sans tenir compte le plus souvent les uns des autres, produisant des dogmes improbables et contradictoires alors que les seconds doutent et travaillent collectivement à l’élaboration d’un ensemble cohérent d’affirmations qui peuvent à tout instant être remises en cause. Ils ne sont semblables que pour celui qui regarde leurs pratiques de très loin. En réalité rien, absolument rien ne ressemble au fonctionnement d’une science dans la façon dont la numérologie trouve et énonce ses lois, les publie, les enseigne, les compare (si peu !), les fait connaître, en fait le commerce...

Mais la numérologie ne se limite pas aux charlatans qui veulent vous vendre les secrets de votre personnalité et les mystères de votre avenir. Elle se développe aussi en se fondant sur la naïveté de ceux qui ne comprennent pas assez bien la combinatoire, et qui, de ce fait, sont prêts à s’émouvoir de coïncidences qui n’en sont pas (voir l’article du dossier « Le miracle ultime » concernant le nombre 19 et l’article « Sous le signe du 7 »). Elle s’appuie parfois sur des biais psychologiques qui nous font attendre une uniformité là où rien en réalité ne la demande (voir l’article « Mieux que le hasard »). Parfois, encore, elle s’insinue dans notre esprit à cause d’une insuffisante préparation aux traitements statistiques rigoureux des données numériques qui nous donne l’illusion d’un phénomène étonnant quand il n’y en a pas : l’article de Nicolas Gauvrit sur les « Tromperies statistiques » sera à tous d’une grande aide pour éviter de se duper soi-même et de se faire duper par les autres.

Quant au nombre d’or, son cas est un peu plus délicat. Si son intérêt mathématique n’est pas contestable, il a été utilisé pour attribuer à ce rapport plus de propriétés qu’il n’en possède vraiment, ce qui finalement produit des délires numérologiques qui, autant que les autres, doivent être dénoncés. L’article de Jean-Paul Krivine vous aidera à y voir clair.

Mystère et fascination des nombres sans numérologie


Pas besoin de numérologie pour rêver sur les nombres, avoir le vertige en découvrant leurs propriétés, s’enchanter des secrets qu’ils cachent si bien, et que des mathématiciens ont mis des siècles à mettre au grand jour. Et il reste sans doute encore des mystères pour des siècles de recherches. Pour s’en convaincre, rien de tel que de se plonger dans les livres de Jean-Paul Delahaye.

J.-P.K.
Aux éditions Belin Pour la Science

Publié dans le n° 278 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Delahaye

est professeur émérite à l’université de Lille et chercheur au Centre de recherche en informatique signal et (...)

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