Le barbecue et les grillades : mourir à petit feu ?
Publié en ligne le 20 février 2025 - Alimentation -
Indissociables de l’été, le barbecue et les grillades ont une image de simplicité et de convivialité [1]. Avec la cuisson par la chaleur des braises, les viandes marinées ou saucées sont encore plus savoureuses. Cependant, avec un barbecue à charbon, les viandes et poissons peuvent être en contact direct avec les flammes suite à la chute des graisses sur les braises ou peuvent être cuits à très forte température. Ce risque de cuisson à température élevée existe aussi avec les barbecues électriques. Ces deux phénomènes favorisent l’apparition de composés potentiellement cancérigènes : les amines aromatiques hétérocycliques (AAH) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) [2].
La formation de composés potentiellement cancérigènes
Ces composés sont formés dans des viandes ou poissons grillés selon deux voies principales [3, 4].
La première implique une réaction chimique, appelée réaction de Maillard, qui survient pendant la cuisson des aliments. Il s’agit en réalité d’un ensemble complexe de diverses réactions chimiques qui se produisent dans tous les types de cuisson, et même à température ambiante. Elle est en partie responsable du brunissement des aliments et de la formation des arômes. Cependant, lors de la cuisson au barbecue, les températures atteintes sont élevées. Lorsque la température est comprise entre 150 °C et 250 °C, certains constituants de la viande (créatine, acides aminés, sucres) réagissent entre eux pour former une partie des composés potentiellement cancérigènes (les AAH dites thermiques).

La seconde voie de formation dans la viande grillée se produit à une température encore plus importante (supérieure à 300 °C). Elle conduit à la pyrolyse (décomposition chimique à forte température) des protéines et acides aminés de la viande avec formation d’une autre série de ces composés potentiellement cancérigènes (les AAH dites pyrolytiques).
Par ailleurs, lorsque les graisses et jus de viande grillée tombent sur les surfaces brûlantes ou dans les braises du barbecue, elles produisent des flammes et de la fumée qui contiennent d’autres composés potentiellement cancérigènes (les HAP) [5] qui adhèrent à la surface des aliments en train de cuire (ce sont ces mêmes HAP que l’on retrouve également dans les aliments fumés, en particulier les viandes).
Probablement cancérigène pour l’Homme
Les études in vitro ont clairement démontré que ces composés produisent des mutations génétiques [6, 7]. Chez l’animal, l’exposition aux AAH et aux HAP peut causer le développement de cancers [6, 7]. Ainsi, des rongeurs ayant reçu une alimentation enrichie en AAH ont présenté des cancers du côlon, du foie, de la peau et de la prostate. De même, une alimentation enrichie en HAP favorise l’apparition de leucémies et de tumeurs du tractus gastro-intestinal et des poumons.
Chez l’Homme, les études épidémiologiques ont établi un lien entre l’exposition aux AAH et HAP via des aliments protéiques cuits (viandes et poissons) et l’apparition de tumeurs malignes [8]. La difficulté est de connaître la dose conduisant à un risque significatif de cancer [9].
Même si cataloguer les aliments quotidiennement ingérés par un individu permet une estimation plausible du risque encouru, des variations importantes ont été observées en fonction de la préparation des aliments, de l’augmentation du temps et de la température de cuisson, conduisant à une plus ou moins grande formation de ces composés [10].
Des enquêtes nationales ont cependant permis de calculer l’exposition des consommateurs de viande à ces molécules (AAH et HAP). Il a été rapporté des valeurs moyennes de 565 ng/jour pour les deux représentants majeurs des AAH, et de 635 ng/jour pour la somme des huit HAP principaux [11]. Il a en outre été montré dans cette étude que l’exposition aux AAH variait peu selon le type de viande mais beaucoup selon le type de cuisson, les viandes grillées étant les plus riches en ces contaminants. En ce qui concerne les HAP, la viande de bœuf grillée contient plus de contaminants que la viande de volaille.
Les estimations du risque causé par les AAH sont donc ainsi très variables, de 0,05 à 1 cas de cancer pour 1 000 individus [12]. La variance dans ces estimations peut être attribuée aux différentes hypothèses utilisées dans le calcul des facteurs de risque, y compris l’utilisation de valeurs de toxicité variables car obtenues avec différents modèles animaux.

Selon la tradition chrétienne, Laurent de Rome est mort en martyre après avoir été torturé puis grillé à petit feu au-dessus d’un lit de charbons ardents. En toute logique, il est depuis considéré comme le saint patron des rôtisseurs et des cuisiniers… mais il fait aussi l’objet d’un traitement iconographique très apprécié des peintres, qui se plaisent à décrire la douleur (et l’extase) du martyre, le rougeoiement des flammes, ainsi que la foule des accusateurs et des bourreaux.
En 2015, un groupe d’experts réunis par l’Agence internationale de recherche sur le cancer (Circ, une des agences de l’OMS) a conclu que chez l’Homme, les données scientifiques disponibles permettaient d’affirmer que la consommation de viande grillée est « probablement cancérigène » (catégorie 2A) et associée au cancer colorectal [13]. De plus, les études épidémiologiques mettent en évidence deux facteurs principaux corrélant les AAH et HAP et le cancer colorectal : la fréquence de consommation de viande rouge et la cuisson à température élevée visible par un fort brunissement de la viande consommée [4].
Mais les risques sont limités
Ainsi, l’ingestion de AAH et de HAP est liée à la quantité de viande consommée. Toutefois, selon l’Anses [14], « l’ensemble des données scientifiques actuellement disponibles montre que le risque de surexposition alimentaire à ces composés par l’utilisation de barbecue est tout à fait limité si l’on respecte les principes d’utilisation des dispositifs techniques existant sur le marché, ainsi que certaines recommandations de cuisson ». L’Anses mentionne ainsi le réglage de la hauteur de cuisson (cuisson à la chaleur des braises, et non pas au contact direct des flammes) qui contribue à ne pas dépasser une température de cuisson de l’ordre de 220 °C, opter pour un barbecue à cuisson verticale, éviter la chute de graisse dans les flammes, préférer la viande maigre, etc.
Ajouter des épices comme le poivre noir ou rouge à la viande avant de la cuire est une méthode permettant également de réduire la teneur en AAH de la viande cuite [5]. Plusieurs types de marinade (au vin, à la bière, aux herbes, à l’huile et jus de citron, ail et oignons) réduisent également la teneur en AAH de la viande après cuisson [5] grâce à leur apport en antioxydants.
Enfin, rappelons que si, pour un non-fumeur, la principale voie d’exposition aux HAP est l’alimentation, les barbecues ne sont qu’une des sources d’exposition aux côtés des céréales et produits à base de céréales, des produits de la mer, des huiles et des graisses végétales ainsi que de la consommation de café [15].
1 | Charonnat E, « Neuf ‘’insights’’ sur les Français et le barbecue », CB expert, 21 février 2019. Sur cb-expert.fr
2 | National Cancer Institute, “Chemicals in meat cooked at high temperatures and cancer risk”, page web, 2017. Sur cancer.gov
3 | Bellamri M, Turesky RJ, “Heterocyclic aromatic amines : an update on the science”, Encyclopedia of Food Chemistry, 2019, 1 :550-8.
4 | Gibis M, “Heterocyclic aromatic amines in cooked meat products : causes, formation, occurrence, and risk assessment”, Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety, 2016, 15 :269-302.
5 | Sobral MMC et al., “Domestic cooking of muscle foods : impact on composition of nutrients and contaminants”, Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety, 2018, 17 :309-33.
6 | Stavric B, “Biological significance of trace levels of mutagenic heterocyclic aromatic amines in human diet : a critical review”, Food Chemical Toxicology, 1994, 32 :977-94.
7 | Long AS et al., “Tissue-specific in vivo genetic toxicity of nine polycyclic aromatic hydrocarbons assessed using the Muta™Mouse transgenic rodent assay”, Toxicology and Applied Pharmacology, 2016, 290 :31-42.
8 | Helmus DS et al., “Red meat-derived heterocyclic amines increase risk of colon cancer : a population-based case-control study”, Nutrition and Cancer, 2013, 65 :1141-50.
9 | Barzegara F et al., “Heterocyclic aromatic amines in cooked food : a review on formation, health risk-toxicology and their analytical techniques”, Food Chemistry, 2019, 280 :240-54.
10 | Knize MG et al., “Effect of cooking time and temperature on the heterocyclic amine content of fried beef patties”, Food and Chemical Toxicology, 1994, 32 :595-603.
11 | Pouzou JG et al., “Probabilistic assessment of dietary exposure to heterocyclic amines and polycyclic aromatic hydrocarbons from consumption of meats and breads in the United States”, Food Chemical Toxicology, 2018, 114 :361-74.
12 | Turesky RJ, “Heterocyclic aromatic amine metabolism, DNA adduct formation, mutagenesis, and carcinogenesis”, Drug Metabolism Reviews, 2002, 34 :625-50.
13 | “Red meat and processed meat”, IARC monographs on the evaluation of carcinogenic risk to human, 2018, 114. Sur publications.iarc.fr
14 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail « Cuisson au barbecue : comment prévenir les risques pour la santé ? », page web, 4 janvier 2020. Sur anses.fr
15 | Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard, « Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) », page web, 16 août 2022. Sur cancer-environnement.fr
Publié dans le n° 350 de la revue
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L'auteur
Laurent B. Fay

Laurent B. Fay est biochimiste et ancien responsable R&D d’une entreprise de l’industrie agroalimentaire.
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