Accueil / Notes de lecture / Les marchands d’illusions

Les marchands d’illusions

Publié en ligne le 13 septembre 2012
Les marchands d’illusions
Dérives, abus, incompétences de la nébuleuse « Psy » française

Marie-Jeanne Marti
Mardaga, 2006 ,162 pages, 19 €

L’auteure de cet ouvrage ne masque pas ses intentions : elle écrit en tant « qu’ancienne patiente de psy, en tant qu’amie et proche de patients ou d’ex-patient et en tant que journaliste ».

Il s’agit d’un « livre de réflexion et de synthèse sur le sujet… » Elle ajoute : « Ni experte, ni scientifique et refusant de l’être, je tiens à n’être qu’une observatrice, un rapporteur, afin de dénoncer dans un vaste billet d’humeur, un certain nombre de dérives, de pratiques abusives et d’incompétence de la part d’une nébuleuse — les psys — que je m’astreindrai à définir ici ».

Il faut dire qu’en tant que billet d’humeur les psys vont être servis.

L’attaque est, le plus souvent, dirigée contre les psychanalystes, mais pour autant, les psychiatres qui prescrivent plus vite que leur ombre et les praticiens de TCC qui « veulent leur part du gâteau », ne seront pas épargnés.

C’est d’abord l’impunité et le pouvoir de la profession qui est l’objet de ses attaques : « Les psys semblent détenir l’énorme pouvoir de s’en laver les mains. Si vous avez plus mal en sortant de chez eux qu’en y entrant, si vous vous jetez sous un train, ils n’y sont pour rien et n’ont aucune obligation à votre endroit ou à celui de vos proches ». Elle compare la profession au clergé d’autrefois : « opacité des propos, refus de communiquer sur ses propres pratiques, mais surtout, refus de considérer le patient autrement qu’à travers le prisme de leurs « chapelles » ».

Les freudiens et tout particulièrement les lacaniens sont les premières victimes de son jeu de massacre : « En France, mieux vaut sacrifier quelques centaines ou milliers de patients égarés sur le divan qui eussent été bien mieux soignés ailleurs, que de laisser transpirer qu’une poignée d’intellectuels de la rive gauche peut se tromper ».

Le magazine Psychologie « est un exemple de réussite portée par le bizness psy ». Affaire purement commerciale gérée par la famille Servan-Schreiber et dont les rédacteurs ne comptent guère de journalistes, mais donne la place belle aux experts autoproclamés, médiatiques de préférence.

À longueur d’écran, les psys se présentent comme des hommes de science « détenteurs du savoir universel ». Elle constate avec frayeur, comme bien d’autres avant elle, que des secteurs entiers (éducateurs assistants sociaux soignants, etc.) sont infiltrés par l’idéologie psy.

Marie-Jeanne Marti revient longuement sur l’affaire Bénesteau contre Roudinesco, qu’on peut résumer ainsi : si Bénesteau est anti-Freud et que Freud est juif, alors Bénesteau est antisémite. Elle constate qu’« Élisabeth Roudinesco a aujourd’hui gagné beaucoup plus que son procès, elle a réussi à mettre “hors d’état de nuire” le psy de province avec l’aide et le total soutien des médias ». Elle fustige ceux qui se font les complices de cet état de fait : « Mme Meyer, l’éditrice du Livre noir, a beau jouer les agitateurs avec ses « dossiers brûlants » dont elle s’est fait la spécialiste, elle n’en produit pas moins un lourd pavé politiquement très correct dont on a visiblement évacué Jacques Bénesteau par mesure de prudence médiatique ». A-t-elle raison ? D’autres avant elle se sont bien souvent posé la question.

L’auteure se désole en constatant que ce qui devrait être une remise en cause fondamentale du comportement des psys français se transforme en débat de chapelle dont les patients sont exclus au profit d’un partage du pouvoir et des profits : « Les comportementalistes veulent leur part du gâteau…, fort bien, cette part est en train de leur être concédée. Mais des morts, des suicidés en souffrance des patients il n’est toujours pas question ». Elle se pose aussi une question qu’évoquait déjà Jacques Van Rillaer 1 et qu’elle traduit avec sa verve habituelle : « Les psys ne sont pas à l’abri de la névrose voire de la folie. Sans doute leurs maux sont-ils à l’origine de leur vocation, mais la question que je me pose moi, patiente ordinaire, c’est qu’avec toute leur science, comment se fait-il qu’ils soient toujours aussi tristes, cinglés, hystériques séducteurs, psychotiques et j’en passe ? ».

Il ne faudrait pas croire que Marie-Jeanne Marti s’adonne uniquement à la critique, elle fait aussi des propositions. Elles tiennent à la place des généralistes : « Ce sont les mieux placés, écrit-elle, pour rencontrer les patients, ce sont eux qui en voient le plus et ce sont même eux qui reçoivent ces patients que les autres jamais ne reçoivent, cette cohorte de consommateurs de psychotropes qui disparaissent sitôt la prescription obtenue. Si les généralistes pouvaient prendre plus de temps pour accueillir ces patients-là, parler avec leurs patients habituels dont tous sont consommateurs potentiels de psychothérapies, si les généralistes étaient clairement missionnés en la matière, s’ils pouvaient davantage prêter main forte aux psychiatres, une barrière de sécurité protégerait le patient des thérapies abusives ». Une proposition que toute personne qui a compris ce que toute psychothérapie devait à l’effet contextuel ne peut qu’applaudir.

Un livre politiquement incorrect, réjouissant, qui se lit d’un trait et qui change, avec bonheur, du discours blasé des experts en tous genres.

1 Les illusions de la psychanalyse, Jacques Van Rillaer, p 361 : « La nage des maitres nageurs ».