Les trois petits cochons qui adoraient débattre : une fable critique ?
Publié en ligne le 9 octobre 2025 - Esprit critique et zététique -
Ce détournement du célèbre conte des Trois Petits Cochons nous offre, sous couvert d’absurde et d’humour animalier, une mise en scène limpide de plusieurs travers du débat argumentatif. Il illustre aussi les conditions d’un échange constructif.
Des maisons… comme autant de stratégies argumentatives
Chaque cochon illustre une manière typique d’aborder un désaccord.
Kif-Kif réagit à chaud, fabrique une caricature grossière de la position adverse, et s’y attaque. C’est
l’illustration classique du sophisme de l’homme de paille : on combat une version affaiblie ou ridicule
d’un propos, plutôt que son contenu réel.
Pouf-Pouf, plus tempéré, oppose une réplique partielle. Il répond à ce qui lui semble contestable, mais sans reformuler clairement l’ensemble de l’argument. C’est une posture fréquente, sincère mais incomplète.
Taf-Taf, lui, choisit une voie plus exigeante : reconstruire la thèse adverse sous sa forme la plus forte
avant de la discuter. Il incarne ici le principe de charité, selon lequel il est plus juste et plus fécond d’interpréter les propos d’autrui de la manière la plus cohérente possible avant d’y répondre.
Ce trio offre ainsi une jolie métaphore des différents « matériaux » du débat : la paille (l’attaque facile), le bois (la réfutation partielle), et le fer (la démarche rigoureuse).
Quand les émotions prennent le dessus
L’autre dimension du conte repose sur les tensions émotionnelles qui traversent de nombreux échanges : la confusion entre critique d’une idée et attaque personnelle ; la montée en tension dès qu’une position est caricaturée ; les noms d’oiseaux et la perte du fil argumentatif.
Ces glissements, fréquents dans la vie publique comme sur les réseaux sociaux, mettent en péril toute possibilité de discussion rationnelle.
Et les sources, dans tout ça ?
Le conte pointe aussi un réflexe désormais courant : la demande instantanée de source, qui peut parfois faire office de geste rhétorique plutôt que de véritable appel à l’analyse.
On attend qu’une étude soit « là » – Gruiik et al.– comme un totem ou une caution suffisante.
Or l’esprit critique suppose que l’on examine posément les sources, que l’on considère leur contenu, leur qualité, leur portée… et non simplement leur existence.
Une issue (vraiment) constructive ?
La conclusion de cette fable n’est pas pessimiste. Après leurs passes d’armes, les protagonistes parviennent à un vrai débat, nourri, respectueux, enrichissant. Chacun apprend quelque chose, et les idées se construisent par confrontation honnête. C’est une illustration réjouissante du fait que l’esprit critique n’exclut pas le désaccord – au contraire : il l’exige, à condition qu’il soit bien mené
Publié dans le n° 353 de la revue
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L'auteur
Romain Meunier

En balade sur les sentiers piégeux de ce mystérieux « esprit critique », il anime depuis 2017 les petits ronds (…)
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