Éoliennes et élevage : la géobiologie, une pseudo-science étrangement invoquée
Publié en ligne le 9 novembre 2025 - Esprit critique et zététique -
Le parc éolien des Quatre Seigneurs en Loire-Atlantique, construit en 2012 et composé de huit éoliennes, a été l’objet d’une importante controverse largement médiatisée. Peu après sa mise en service, deux éleveurs de vaches laitières à proximité ont signalé des problèmes sanitaires chez leurs animaux : troubles du comportement, augmentation de la mortalité, mais aussi diminution de la production et de la qualité du lait. Ils ont attribué ces troubles aux éoliennes.
Plusieurs études ont été diligentées pour déterminer l’origine des problèmes observés. En 2014, c’est le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) qui a été sollicité par la préfecture de Loire-Atlantique. Constitué en 1999 sous l’égide des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, le GPSE propose son expertise aux éleveurs qui suspectent une influence des phénomènes électriques parasites sur les performances de l’élevage [1]. Principalement créé pour répondre à la problématique des lignes à haute tension, le GPSE a donc enquêté sur le cas des deux exploitations. Il a rendu son rapport en avril 2016 [2]. Ce document n’est malheureusement pas accessible en ligne. Faute d’un accord entre les parties pour la poursuite des investigations et devant la médiatisation de l’affaire, une mission interministérielle 1 a été chargée en juin 2020 d’examiner la question. Dans ses conclusions remises en novembre 2020, elle recommande la réalisation de tests durant plusieurs semaines, dont dix jours d’arrêt total du parc éolien [3]. Le rapport note que si « le GPSE a confirmé la concomitance de la dégradation de la situation des élevages avec la construction et la mise en service du parc éolien, l’étude n’a pas identifié de lien de causalité évident, sachant que sur une des deux exploitations la conduite d’élevage était dégradée depuis de nombreuses années ».
Cette affaire a mis en évidence une place étrange et indue accordée à la géobiologie. La géobiologie est une pseudo-science héritière de la sourcellerie, de la radiesthésie et du feng shui, qui postule des « influences cosmo-telluriques » sur le bien-être et la santé des humains, des animaux et des végétaux 2 [4, 5]. Il y est question de « réseaux telluriques » qui entoureraient la Terre d’un maillage d’énergie où les « nœuds » seraient source de danger, avec des « cheminées cosmo-telluriques » reliant le noyau de la Terre à l’espace cosmique.
Le rapport du GPSE signale l’intervention de géobiologues sollicités par l’exploitant du parc éolien ou par les éleveurs eux-mêmes. Que des éleveurs fassent appel à des géobiologues et perçoivent leurs interventions comme une aide, on peut le concevoir (bienveillance, écoute, proposition d’explication, etc. ). Mais quand le GPSE souligne que « les éleveurs insistent sur le fait que leur aide a été importante et que sans eux, ils auraient sans doute dû cesser leur activité », il aurait été utile qu’il précise en quoi leur intervention a été ainsi bénéfique. Et bien que l’organisme d’expertise déclare ne pas se prononcer sur « la pertinence de leurs interventions », il est surprenant de voir certains des concepts de la géobiologie repris dans le rapport, avec par exemple, l’impossibilité d’exclure une « transmission d’une nuisance par l’intermédiaire des failles et rivières souterraines, hypothèse cohérente avec la carte géologique des lieux ».
De même, le rapport de la mission interministérielle évoqué plus haut met au même niveau l’expertise des géobiologues et celles des experts scientifiques, suggérant même qu’« il devrait être possible pour les géobiologues de travailler avec les professionnels de l’électricité et les professionnels de l’élevage ».
Heureusement, l’Anses, qui a consulté les rapports des géobiologues, produit une analyse bien plus sérieuse. Pour l’agence, ces rapports « présentent des limites méthodologiques majeures : objectifs et méthodes/protocoles non présentés, confusion entre les mesures de flux magnétique et de courant induits, manque de maîtrise des notions électromagnétiques élémentaires, forte incertitude sur les mesures, liée à la qualité limitée des instruments de mesures, erreurs de calcul sur les chutes de tension dans la câblette ». Elle évoque le ressenti mis en avant lors des auditions et constate qu’« un ressenti est difficilement contestable et objectivable, car il ne résulte pas d’une démarche scientifique ». Quant aux « failles d’eau » invoquées par ces géobiologues, l’Anses remarque que « le massif sur lequel repose le parc éolien des Quatre Seigneurs présente des caractéristiques physiques homogènes. La circulation d’eau est donc assez faible dans la roche elle-même, contrairement à des visions présentées dans certains rapports. »
Cette complaisance pour la géobiologie de la part de certains services de l’État a récemment été à nouveau dénoncée (voir par exemple l’enquête du YouTubeur G. Milgram [6]). En 2021, la chambre d’agriculture des Pays de la Loire 3 a signé avec la préfecture de Loire-Atlantique un protocole relatif à la prise en compte des activités d’élevage dans le cadre de projets d’implantation d’éoliennes. Ce protocole stipule qu’avant toute implantation, l’entreprise en charge du projet pourra réaliser à ses frais une étude comprenant « un diagnostic géobiologique visant à optimiser le positionnement des éoliennes, des postes de livraison et le tracé de passage des câbles » ainsi qu’un diagnostic géobiologique des bâtiments d’élevage afin de « déterminer les veines d’eau souterraine, ainsi que les réseaux d’énergie naturelle de la Terre (réseau Curry, réseau Hartmann, réseau grand diagonal, et le grand réseau global) » (voir le communiqué de l’Afis du 30 novembre 2024 [7]). Un rapport du CGAAER rendu public en décembre 2023, bien que reconnaissant que la pratique de la géobiologie « est très contestée dans le milieu scientifique », préconise paradoxalement « d’une part que toute personne voulant revendiquer le titre de géobiologue suive un parcours de qualification reconnu par l’État reposant sur des compétences scientifiques adaptées et d’autre part que la profession continue à se structurer afin d’empêcher le charlatanisme » [8]. De manière surprenante, l’un des deux fonctionnaires auteurs du rapport (Dominique Tremblay 4) a suivi une formation à l’École française de géobiologie (dépendant du groupe Géobios de promotion de la géobiologie) et obtenu son diplôme en 2017. Dans le cursus de l’école, on apprend à comprendre l’« environnement cosmotellurique », à « se régénérer dans la nature » grâce à des pratique de « earthing » et de « sylvothérapie » présentées comme des « clés de connexion » et l’on découvre les concepts ésotériques de « réseau Curry », « irrégularités des mailles Curry » et « réseau Hartmann » [9].
Le type de recommandation proposé dans le rapport du CGAAER avait été formulé deux ans auparavant dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst, alors présidé par Cédric Villani) avec le même argument paradoxal : pas scientifique mais néanmoins à structurer scientifiquement [10]. Interrogé à l’Assemblée nationale en décembre 2024 sur le protocole signé entre la chambre d’agriculture des Pays de la Loire et la préfecture de Loire-Atlantique, le ministère de l’Énergie affirme toutefois que « l’usage de la géobiologie n’apparaît […] pas nécessaire dans [l’] encadrement du développement de l’éolien terrestre et, à ce titre, aucune aide à la géobiologie n’est mise en œuvre par l’État » [11]. Ajoutons que France renouvelables, l’association porteparole des énergies renouvelables électriques en France, dénonce également « le fait que les activités ésotériques soient mises sur un pied d’égalité avec le travail scientifique » [12].
La géobiologie n’est pas une science car aucune de ses affirmations n’est démontrée et elle comporte beaucoup d’incohérences. Ne serait-elle pas de la ’pataphysique, la « science des solutions imaginaires qui accorde symboliquement aux linéaments des propriétés des objets décrits par leur virtualité » selon la définition proposée par Alfred Jarry en 1894 [13] ?
1 | Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Groupe permanent pour la sécurité électrique dans les exploitations agricoles (consulté le 9 mai 2025). Sur gpse. fr
2 | Laval A, « Protocole GPSE relatif aux élevages Bouvet et EARL du Lody, Abo Wind et ERDF », rapport, avril 2016.
3 | André F et al. , « État des élevages à proximité du parc éolien des Quatre Seigneurs en Loire-Atlantique », rapport CGEDD, novembre 2020. Sur vie-publique. fr
4 | Brugère H, « La géobiologie, une pseudo-science en expansion », SPS n° 277, mai 2007. Sur afis. org
5 | Point S, « Géobiologie : la démocratie à la baguette », SPS n° 338, octobre 2021. Sur afis. org
6 | Milgram G, « Une arnaque ésotérique soutenue par l’État », enquête, 9 octobre 2024. Sur youtube. com
7 | Association française pour l’information scientifique, « Bâtiments et travaux publics : les services de l’État n’ont pas à promouvoir des pratiques ésotériques », communiqué, 30 novembre 2024. Sur afis. org
8 | Clément T, Tremblay D, « Caractérisation de l’impact sur les activités d’élevage des antennes téléphoniques, installations électriques et éoliennes », rapport, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, décembre 2023. Sur agriculture. gouv. fr
9 | Le site de l’École française de géobiologie
10 | Bolo P, « L’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage », rapport, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, mars 2021. Sur senat. fr
11 | Assemblée nationale, « Question écrite n° 1647 : Géobiologie et éoliennes », 5 novembre 2024. Sur assemblee-nationale. fr
12 | France renouvelables, « Place de la géobiologie dans le développement de l’éolien en France », 25 octobre 2024. Sur france-renouvelables. fr
13 | « Pataphysique », in Dictionnaire mondial des littératures. Sur larousse. fr
1 Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sous l’égide des ministères de l’Agriculture et de l’Écologie respectivement.
2 À ne pas confondre avec la « géobiologie » qui désigne parfois un champ de recherche pluridisciplinaire à l’interface des géosciences, des sciences de l’environnement et de la biologie.
3 Les chambres d’agricultures sont très largement financées sur fonds publics (article 1604 du Code général des impôts).
Publié dans le n° 353 de la revue
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Les auteurs
Jeanne Brugère-Picoux
Jeanne Brugère-Picoux est professeure honoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, agrégée de pathologie (…)
Plus d'informationsJean-Paul Krivine
Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
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