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Maîtriser l’incertain

Publié en ligne le 3 mai 2022
Maîtriser l’incertain
Statistiques et probabilités
Mathieu Agelou
CNRS édition, 2021, 231 pages, 22 €

Dans une première partie, l’auteur nous propose une très riche histoire de la notion de probabilité qu’il complète d’un exposé pédagogique des grandes lois classiques (par exemple la loi des grands nombres 1 et le théorème central limite 2). Je suis peut-être moins convaincu par l’opposition que semble faire Mathieu Agelou entre bayésiens et fréquentistes. L’approche fréquentiste repose sur les grandes lois sus-nommées et l’approche bayésienne, qui s’intéresse à la vraisemblance d’hypothèses, est complémentaire. De plus, je ne crois pas que les fréquentistes pensent nécessairement que la probabilité est attachée aux seules lois de la nature.

Puis il aborde dans la seconde partie, peut-être la plus originale, une question : « Pourquoi sommes-nous de piètres statisticiens ? » Une collection de lieux communs – et faux – sont étrillés comme la fameuse « loi des séries », refuge de commentateurs paresseux, et une série de paradoxes sont explicités. Un long passage est à juste titre consacré à l’identification corrélation-causalité avec une illustration très pédagogique des dangers des facteurs de confusion : que pourrait-on déduire de statistiques (imaginaires mais vraisemblables) « démontrant » que les femmes qui prennent la pilule sont significativement moins sujettes au glaucome ? Avant d’en créditer la pilule, il faut considérer que ces femmes ont moins de 45 ans et que le glaucome est plutôt une maladie de personnes âgées.

La dernière partie, essentiellement consacrée à la médecine fondée sur des preuves, est convaincante et utile, même si l’auteur a probablement dû concevoir son travail avant la pandémie de Covid. C’est une mise en garde prémonitoire des extravagances du professeur Raoult ! La partie détaillée sur l’homéopathie (notamment l’abondance des méta-analyses négatives) est bienvenue, comme un exemple d’approche non scientifique.

Enfin, sur ce que l’auteur appelle « crise de la reproductibilité », toutes sortes d’éléments sont bien vus, par exemple en psychologie, mais il me semble manquer une différence essentielle entre diverses branches de la science. Alors que dans la plupart des branches de la science l’environnement expérimental est bien maîtrisé, il arrive que dans certains cas celui-ci intervienne de façon non (ou mal) contrôlée, c’est ce qu’on appelle généralement le hasard. C’est typiquement le cas en biologie dans les expériences in vivo ; mais ce peut être aussi le cas dans des sciences dites « dures », avec le chaos déterministe où l’on doit séparer déterminisme et prédictibilité 3.

En résumé, voilà un excellent livre à recommander particulièrement aux enseignants scientifiques du secondaire et même de l’université. Je terminerai par un regret : que M. Agelou n’ait pas abordé la question de la très mal nommée « intelligence artificielle », dont la prétention est pourtant bien de « maîtriser l’incertain ».

1 Elle stipule que le taux de réussite d’un événement tend vers sa probabilité si l’échantillonnage est suffisamment grand.

2 Lorsque l’effectif de l’échantillon est suffisamment grand, et sous certaines conditions très générales, la loi de distribution des moyennes tend vers une courbe en cloche : la gaussienne.

3 Par exemple, le mouvement des planètes est parfaitement déterminé par les lois de Newton, mais reste imprédictible au-delà de plusieurs milliards d’années. Voir les travaux de J. Laskar.