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Nombres fétiches et statistiques pour gagner au Loto ?

Publié en ligne le 14 novembre 2022 - Statistiques et probabilité -
Adaptation et développement d’un article publié dans Science et pseudo-sciences n° 278, août 2007.

Existe-t-il une manière de gagner plus souvent ? Quel joueur n’a jamais rêvé de découvrir cette martingale ? Les opérateurs de jeux, au travers de leurs publicités, suggèrent une influence de numéros fétiches. Ainsi, la Française des jeux met en avant, sur son site [1], les paris de joueurs « bien plus nombreux que ce qu’on pourrait imaginer » qui choisissent une date anniversaire, un jour marquant ou un chiffre particulier. Elle met en exergue plusieurs expériences d’heureux gagnants. Voici par exemple celle d’un couple du Bas-Rhin qui a gagné en 2020 plus de 150 millions d’euros à l’EuroMillions grâce à « leur méthode » qui « n’oublie jamais de glisser un de ses numéros fétiches dans la grille : le numéro de la rue auquel ils habitent, une date de naissance… » ; ou encore, celle d’un monsieur qui joue très rarement, mais qui a tenté sa chance le dernier jour de l’année et, « pour trouver l’inspiration, il a regardé les codes-barres des produits vitaminés qui étaient sur la table de la cuisine ». Bilan, treize millions d’euros de gain. Si la Française des jeux glisse de très discrets avertissements pour rappeler que « les résultats des jeux de tirage sont le fruit du hasard », c’est pour immédiatement relater le gain de « deux joueurs du même département qui se sont partagé en août 2019 le jackpot de deux millions d’euros à LOTO®, en jouant exactement la même grille gagnante composée des dates de naissance de leur famille respective ».

Allégorie des richesses du monde, Frans II Francken (1581-1642) et Hieronymus II Francken (1578-1623)

Il s’agit de vendre du rêve et de fidéliser des clients en suggérant qu’il existe une manière plus habile de jouer.

En considérant que tout tirage est aléatoire (les opérateurs de jeu n’ont pas besoin de tricher pour gagner de l’argent, les règles sont faites pour qu’ils soient largement bénéficiaires, et sans risque), aucun numéro n’a de raison de sortir plus fréquemment qu’un autre. De fait, tout calcul sur les « séries » pour essayer d’anticiper les prochains tirages gagnants au regard des numéros sortis lors des tirages précédents est vain. Les tirages sont « indépendants », ce qui veut dire que le système de tirage ne garde aucune mémoire du passé. Tout reprend à chaque fois comme si c’était le premier tirage (comme lors d’un jeu de pile ou face, ou d’un jeu de dés). Inutile également de toujours jouer la même combinaison, en espérant qu’elle « finira par sortir ». C’est un résultat mathématique bien établi dans ce cas précis : « Les probabilités des événements futurs ne dépendent pas des résultats passés », même si « les comptes tendent à la longue à s’équilibrer » [2], c’est-à-dire que tous les nombres sortiront avec la même fréquence. Cela n’a rien d’intuitif et les probabilités, en général, n’ont rien d’évident. Malgré cela, les sites Internet mettant à disposition des logiciels d’analyse des séries passées se multiplient (numéros sortis, paires de numéros, numéro suivant un autre numéro dans un tirage, etc.). La Française des jeux participe à cette illusion avec une page dédiée invitant à « passer à la vitesse supérieure et […] construire [ses] propres statistiques ». Bien entendu, il y a la discrète mise en garde rappelant que le Loto « fait appel à la chance et au hasard » et qu’« il ne se prête donc pas réellement aux prédictions et aux probabilités ». Mais qu’importe, l’opérateur propose aux joueurs tout ce qui est supposé nécessaire « pour [leur]permettre de choisir [leurs] numéros ».

Cependant, il est tout à fait possible, statistiquement, de « gagner plus » ou, pour être plus exact, de « perdre moins » (mais pas plus fréquemment). Il suffit de sélectionner les numéros les moins joués. En effet, les gains au Loto sont basés sur un principe de redistribution d’une partie des mises (53 % pour le Loto et 50 % pour l’EuroMillions). Moins il y aura de gagnants, plus le gain individuel sera grand. Comme beaucoup de joueurs s’inspirent d’une date (naissance ou mariage par exemple), tout nombre au-dessus de 31 sera donc statistiquement moins joué.

Les Illusions perdues, Charles Gleyre (1806-1874)

Toutefois, Science et pseudo-sciences, pour ses lecteurs, propose une martingale qui assure un gain en moyenne meilleur que ce que tout ce que l’on peut espérer en jouant : ne pas jouer du tout. Ainsi, vous ne perdrez pas d’argent, alors que tous les joueurs perdent en moyenne la part attribuée à l’opérateur de jeu. Mais il s’agit d’une moyenne. Le rêve et l’espoir valent, pour certains, largement le prix du ticket. En restant conscient que vous achetez du rêve, et très très très rarement de la réalité (là encore, un simple calcul de probabilité montre que la chance de gagner un gros lot est plus que négligeable – voir encadré ci-dessous), soyez aussi vigilant au risque d’addiction, bien documenté.

Quelle chance de gagner au Loto ?


Une grille de Loto contient 49 cases. Gagner au « rang 1 » signifie avoir coché les cinq numéros gagnants plus le « numéro chance » à choisir dans une grille secondaire de dix numéros. La probabilité est de l’ordre de un sur vingt millions. À l’EuroMillions, la probabilité de gagner le gros lot est de un sur un peu plus de 115 millions (cocher cinq bons numéros sur une grille de 50 cases et deux bons numéros sur une grille de 12 cases). Il est extrêmement difficile de se représenter de si faibles probabilités. Sur son blog, un professeur de mathématique en collège propose une représentation imagée de la faible probabilité de gain du gros lot à l’EuroMillions [1] : « Autant de chance de gagner […] que de trouver du premier coup les yeux bandés et une main dans le dos un grain de riz peint en rose caché dans une piscine pleine de grains de riz qui ferait deux mètres de long, deux mètres de large et un mètre de profondeur. » Mais, comme ce sont plusieurs millions de personnes qui jouent à chaque tirage, la presse peut régulièrement faire état d’un « heureux nouveau millionnaire », rendant concret, et donc plus plausible, la possibilité de toucher le gros lot.

Reste qu’on peut viser, non pas le gros lot, mais le gain de « rang secondaire » (ne cocher qu’une partie des numéros gagnants). Au Loto, les probabilités de gagner sont alors de un sur 2 118 760 (5 numéros gagnants), un sur 86 677 (4 numéros gagnants plus « numéro chance »), un sur 9 631 (4 numéros gagnants) pour se terminer sur une chance sur 18 de gagner en n’ayant que le « numéro chance » de bon [2]. Si, au total, environ 17 % des combinaisons du Loto sont « gagnantes », la plupart des joueurs qui vont « gagner » quelque chose ne va pas récupérer sa mise. Mais les « presque gains » font partie des éléments qui favorisent une addiction en donnant l’impression d’être passé « pas loin » d’un gros gain.

Références
1 | « EuroMillions : gagner au Loto grâce aux mathématiques », le Blog de Fabrice Arnaud, 17 octobre 2014. Sur pi.ac3j.fr
2 | « Règlement des jeux de La Française des jeux dénommés “Loto®” et “Super Loto®” », Journal officiel de la République française, 23 septembre 2008. Sur legifrance.gouv.fr

Références


1 | Site de la Française des jeux, consulté le 13 juin 2022, fdj.fr
2 | Stewart I, « Abrogeons la loi des moyennes », Pour la science n° 248, juin 1998.

Publié dans le n° 341 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)

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