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Dossier • Les intoxications alimentaires

Panique dans l’assiette, ils se nourrissent de nos peurs

Publié en ligne le 27 mars 2018 - Alimentation -
Panique dans l’assiette, lls se nourrissent de nos peurs.
Gil Rivière-Wekstein. Le Publieur, 2017, 214 pages, 19 €

Gil Rivière-Wekstein est animateur du site Agriculture et environnement. Il édite une lettre d’information mensuelle et il est l’auteur de plusieurs ouvrages (dont Bio fausses promesses et vrai marketing en 2011 et Faucheurs de science : les fanatiques sont dans nos campagnes en 2012, aux éditions Le Publieur). Panique dans l’assiette analyse les dessous d’un paradoxe : celui de la recrudescence des peurs alimentaires alors que la sécurité sanitaire de nos aliments n’a jamais été aussi bien contrôlée. Le nombre de personnes victimes d’infections alimentaires a largement décru depuis un demi-siècle (on compte entre 228 et 691 décès par an aujourd’hui contre plus de 4 000 en 1960 – p. 21). Loin derrière les 23 000 décès liés à la consommation excessive d’alcool rappelle l’auteur. Dans les pays économiquement développés, la mémoire collective a oublié que la peur alimentaire, auparavant, c’était la peur de ne pas avoir assez à manger. Qui se souvient des famines des siècles passés en France, avec leurs millions de morts ? Cette peur reste cependant la principale préoccupation pour près de 13 % de la population mondiale.

« Le consommateur urbain est déconnecté de la réalité du monde agricole et industriel » (p. 13). La complexité des nouvelles chaînes de fabrication et de distribution qui permettent de nourrir plus de soixante millions de personnes dans des conditions de qualité sans précédent lui échappe. Il en reste souvent à une vision idyllique d’une alimentation basée sur des filières agricoles artisanales et bucoliques, au mythe de « Martine à la ferme » savamment entretenu par le marketing de l’industrie alimentaire.

La crise de la vache folle a marqué un tournant dans l’attitude de suspicion sur le contenu de nos assiettes. Elle a mis en évidence l’opacité de procédés de fabrication d’une nourriture qui semblait pourtant simple et naturelle. Elle a également rappelé que l’on pouvait mourir en se nourrissant. Mais cette affaire a aussi constitué le point de départ d’une nouvelle stratégie des associations écologistes : « il est devenu clair que le citoyen lambda est davantage concerné par son assiette et sa santé que par les questions liées à l’environnement » (p. 43). L’auteur décrit alors la « fabrique de la peur » mise en œuvre par ces associations (en référence à la « fabrique du doute » inventée par l’industrie de la cigarette afin d’essayer d’entretenir un sentiment d’incertitude scientifique visant à masquer autant que possible la dangerosité du tabac) : « la fabrique de la peur fonctionne en image miroir, elle instille la méfiance sur des produits pourtant totalement inoffensifs » (p. 14). Sont ainsi stigmatisées les infimes traces de pesticides, la présence de la moindre molécule d’un conservateur ajouté. « Les Français ont désormais peur de leur assiette » (p. 19). Et cette peur est devenue un enjeu politique et marketing.

Le cœur du livre consiste à décortiquer cette « fabrique de la peur » qui s’est structurée autour d’un lobby industriel, celui de la filière bio (en pleine croissance, avec sept milliards d’euros de chiffre d’affaire) et qui s’appuie sur une galaxie d’associations avec, en tête, Générations futures (appelée initialement Mouvement pour le droit et le respect des générations futures) et le Criigen pour le volet « scientifique ». Thème récurrent : le mythe d’une nature bonne et d’un passé idéalisé face aux risques alimentaires nouveaux, produits de l’industrialisation et de l’agriculture moderne.

La méthode favorite de Générations futures est analysée : les enquêtes qualifiées de Canada Dry, « quelque chose qui ressemble à des études scientifiques, mais qui, en fait, n’est qu’une documentation de propagande » (p. 53). Les ingrédients de base sont toujours les mêmes : dénoncer la simple présence d’un produit, parfois à l’état de trace à peine quantifiable, sans quasiment jamais mentionner les doses rencontrées ni les seuils toxicologiques, et mettre en avant « une ribambelle de chiffres qui n’ont aucune signification réelle » (p. 55). Des « éléments de langage » s’appuyant sur un vocabulaire anxiogène et soigneusement sélectionné sont proposés aux agences de presse et aux journalistes friands de ce « prêt à l’emploi ».

Avec une étude par an, l’objectif est d’entretenir un bruit de fond anti-pesticide. Et ça marche, constate Gil Rivière-Wekstein : l’immense majorité des consommateurs est aujourd’hui « persuadée que nos aliments sont tous “contaminés”, sauf les produits issus de l’agriculture biologiques qualifiés de “sans pesticides” » (p. 58). En réalité, la quasi-totalité des aliments respectent les seuils réglementaires et il sera toujours possible, avec les moyens modernes de détection, de retrouver à peu près n’importe quelle substance dans à peu près tout. Le bio ne fait pas exception. Réfutant un mythe bien ancré, l’ouvrage rappelle que celui-ci utilise également des pesticides, pas toujours moins dangereux que ceux autorisés en agriculture conventionnelle. Ainsi, une enquête réalisée par Agriculture & Environnement, la publication éditée par l’auteur du livre, a repris la méthode de Générations futures. Vingt-neuf échantillons de vins bio ont été soumis à l’analyse de trois laboratoires indépendants : 100 % ont révélé la présence de composés utilisés comme pesticides dans l’agriculture bio (comme le cuivre, par exemple). Dans les mêmes proportions que les résidus de pesticides dénoncés par Générations futures. Rien d’anormal, ni même d’inquiétant : « tout naturellement, les arboriculteurs bio ont besoin de produits chimiques, qu’ils utilisent fréquemment » (p. 83) et à des doses par hectare parfois supérieures à celles utilisées par leurs collègues conventionnels « en raison notamment de la faible durée d’action de leurs produits » (p. 83).

Cette stigmatisation de la simple trace d’un produit chimique conduit à des extrêmes, comme cette campagne publicitaire pour laquelle le distributeur Biocoop a été condamné en 2016, car reposant « non pas sur la valorisation des pommes issues de l’agriculture biologique, mais au contraire sur le dénigrement de celles des autres filières aux fins de dissuader les consommateurs d’acheter ces fruits » (jugement cité p. 83). Il faut dire que Biocoop n’hésitait pas à mettre en garde contre les recommandations nutritionnelles en faveur d’une alimentation équilibrée en appelant à se défier de fruits et légumes « chargés de produits toxiques [qui] pourraient devenir à eux seuls des armes contre l’environnement et la santé » (p. 84).

Le livre rappelle que le bio n’est pas meilleur pour la santé (ni plus mauvais), bien que « de loin, la plus grave crise sanitaire qu’a connue l’Europe depuis la crise de la vache folle » est due à une intoxication de graines germées bio infectées par la bactérie Escherichia coli : « 53 décès, 3 100 cas de diarrhée sanglante et plus de 850 cas de syndrome hémolytique et urémique, aboutissant pour un certain nombre à des séquelles à vie » (p. 123).

Le militantisme anti-OGM fait l’objet d’un chapitre entier. Dans la population française, le rejet est quasi-généralisé. Gil Rivière-Wekstein souligne que cette attitude n’a rien d’irrationnel au premier abord : « comment comprendre la nécessité de “bidouiller” le génome d’une plante alors que la nature présente un tel trésor de fruits et légumes de toutes sortes ? » (p. 88). Mais il rappelle ensuite que l’histoire de l’alimentation est faite d’une longue suite d’innovations, que la plupart des plantes que nous consommons aujourd’hui étaient inexistantes sous leur forme actuelle il y a un ou deux siècles : le kiwi sauvage ne pèse que 20 grammes, la clémentine a été créée par hybridation d’une mandarine et d’une orange douce puis clonages successifs, « l’ancêtre sauvage du maïs ressemblait à un brin d’herbe tout à fait banal » (p. 89)... Que la pratique de modification des gènes n’a rien de révolutionnaire : « elle est utilisée dans la nature par les virus » (p. 91). Quant aux risques éventuels des OGM autorisés à la consommation, l’argumentaire se conclut par la fameuse déclaration de Bruno Rebelle en février 2002, alors qu’il présidait Greenpeace : « pour ma part, je n’ai pas de craintes […], nous n’avons pas peur des OGM, nous sommes seulement convaincus qu’il s’agit d’une mauvaise solution [de type de société] ». L’histoire rocambolesque de l’étude de Gilles-Éric Séralini de 2012 qui a fait titrer le Nouvel Obs « Oui, les OGM sont des poisons » est analysée en détail : de sa publication avec un minutieux plan de communication (un documentaire, un livre) jusqu’aux analyses négatives des agences sanitaires et sa rétractation de la revue Food and Chemical Toxicology. Mais, finalement, constate Gil Rivière-Wekstein, si Gilles-Éric Séralini « a bel et bien perdu la bataille scientifique et une partie de sa crédibilité auprès des journalistes attentifs, […] il a gagné celle de l’image. Désormais, la simple évocation du terme OGM fait apparaître à celui qui l’entend la représentation répugnante de rats difformes atteints d’affreuses tumeurs » (p. 102).

« Comme les scandales alimentaires sont plutôt rares et trop limités dans le temps », il devient impératif d’alimenter « un bruit de fond régulier » (p. 108). Le lobby bio organisé dans le Syndicat national des entreprises bio (Synabio) joue ainsi la carte de la peur. En complément des actions associatives (financées directement ou indirectement), Gil Rivière-Wekstein décrit les stratégies commerciales mises en œuvre par la distribution spécialisée, rejointe, par opportunisme, intérêt ou suite à des campagnes militantes, par la grande distribution. Cette dernière a compris l’intérêt à se positionner sur un segment en pleine croissance (Danone est devenu « leader mondial du bio » (p. 192) et à se fabriquer une image vertueuse : « comble de l’ironie, ces deux géants capitalistes [Carrefour et Auchan] ont depuis, reçu le soutien des Faucheurs volontaires, militants altermondialistes par excellence » (p. 159).

Panique dans l’assiette est un livre à lire. Bien écrit, il est toujours bien documenté et nous révèle une face trop méconnue de la « fabrique de la peur » et des business associés.

Une partie du chapitre 1 de l’ouvrage est reproduite dans ce numéro de SPS, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Une journaliste qui fait son travail

La dernière « enquête » de Générations Futures a été lancée le 14 septembre. Un communiqué envoyé par l’association à l’AFP est immédiatement relayé en l’état puis repris par quasiment tous les journaux et les radios : des traces de glyphosate ont été trouvées dans des produits à base de céréales. France info diffuse en boucle un entretien avec le président de l’association, sans recul, sans regard critique. À quelles concentrations ? Avec quels risques ? Les questions ne sont jamais posées. Mais, pour une fois, un média d’importance s’est interrogé. Sur Europe 1, la journaliste Géraldine Woessner a intitulé sa chronique du 18 septembre matin 1 « Glyphosate : comment effrayer la ménagère en détournant une étude pourtant rassurante ». Voici quelques extraits.

« Jusqu’à 2 000 microgrammes [ont été retrouvés] dans les échantillons » : le problème, c’est que personne ne sait ce que ça représente, 2 000 microgrammes […]. Pour le glyphosate : la dose journalière autorisée, c’est la dose qu’on peut manger tous les jours, toute sa vie, sans qu’il n’y ait aucun risque pour la santé. Pour comprendre ce que ça représentait, ces 2 000 microgrammes, j’ai donc sorti ma calculette : les lentilles, par exemple, qui contiennent 2 100 microgrammes de glyphosate par kilo. Et bien il faudrait que j’en mange 8,5 kg, tous les jours, toute ma vie pour atteindre la dose journalière autorisée, donc 21 kilos de lentilles cuites […]. Même calcul avec les céréales, il faudrait que j’avale 160 paquets de la marque testée, tous les matins, et une tonne de pâtes, pas moins, tous les jours. Sachant qu’avec ça, ma santé ne serait pas en danger, puisqu’on applique au glyphosate un facteur 100 de sécurité pour fixer la dose journalière, établie en fonction des tests sur les animaux […]. Les ONG jouent leur rôle d’alerte. Dans quelques semaines la Commission européenne doit se prononcer sur l’avenir du glyphosate en Europe. Faut-il renouveler son autorisation, pour 10 ans, ou au contraire l’interdire ? La France est sur cette position, et si les lobbies de l’industrie agrochimique sont très mobilisés, avec un enjeu financier qui est considérable, les lobbies environnementaux ne sont pas en reste et cette étude, très anxiogène, en est la marque. Une méthode pas très honnête, dans un débat crucial. »

1 « Le vrai-faux de l’info », sur le site https://www.europe1.fr

Publié dans le n° 322 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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