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Qu’est-ce que la science… pour vous ? (note de lecture n°2)

Publié en ligne le 6 juillet 2018
Retrouvez ici une seconde note de lecture concernant ce livre Qu’est-ce que la science… pour vous ? (note de lecture n°1) 
Qu’est-ce que la science… pour vous ?
50 scientifiques et philosophes répondent
Tome 1

Marc Silberstein (Dir.)
Éditions Matériologiques, Coll. Sciences et philosophie, 2017, 207 pages, 15 €

Voici un ouvrage à l’opposé de ceux qui fleurissent sur les étals : ici, nulle confrontation entre un scientifique et un moine bouddhiste ou autre prétendant censé détenir les clés du monde. Ce livre, d’une honnêteté remarquable, nous présente seulement cinquante serrures, sans offrir de clinquant passe-partout factice et facile.

Sur les cinquante auteurs, qui donnent donc chacun leur vision personnelle de la science, il n’y a que cinq femmes 1. Cette note se propose d’aller simplement à la rencontre de ces rescapées de l’univers de la recherche scientifique.

Pour Françoise Longy, philosophe des sciences, la science incarne un idéal, la voie étroite conduisant à une meilleure intelligence du monde, en nous gardant des illusions de toutes sortes. L’univers des sciences est multiforme, empli de variations, de nuances et de degrés. Par exemple, en biologie, il s’agit d’élaguer dans le maquis touffu des idées pour dégager des hypothèses. Caractériser la scientificité, c’est poursuivre l’investigation sur la nature de la nuance, garder une notion suffisamment souple pouvant se moduler en fonction des disciplines et des contextes historiques, mais tout en offrant ce qui justifie la confiance que l’on place en elle. La scientificité correspond à un idéal, même si les contours sont parfois flous. Si les définitions dogmatiques de la science prétendant fixer son périmètre doivent être dénoncées, seule la science garantit d’avancer dans la compréhension de la réalité en montant sur les épaules de ceux qui nous ont précédés. La science n’est pas la voie d’escalade conduisant directement au sommet pour embrasser la totalité du paysage, mais la recherche scientifique s’apparente à une série de sentiers conduisant à de meilleurs points de vue en évitant les retours en arrière et les ravins.

Pour Françoise Parot, épistémologue et historienne de la psychologie, la question première n’est pas si aisée. Le savoir n’est pas la science, il est plus poreux alors que la science est protégée par sa logique. L’auteure, après avoir pratiqué la psychologie expérimentale avec sa rigueur d’expérimentation, pointe une certaine distance devant le souci aveugle d’une méthode où l’accumulation de données expérimentales laisse à court de compréhension. En approfondissant les débats décisifs, comme celui entre les comportementalistes et les chomskyens 2, «  persuadés qu’en psychologie de laboratoire, les observables n’étaient que la manifestation de l’objet véritable de la discipline, les compétences des sujets » (p. 186), elle élargit son étude à un champ plus vaste de réflexion autour des sciences en soulignant que la recherche d’une vérité, évidemment complexe et perpétuellement problématisée, a promu l’objectivité qui constitue la quête commune à toutes ces pratiques scientifiques. La science, c’est aussi pour elle ce travail au quotidien, austère et exigeant, où, plongée dans les archives, dans la solitude abstraite du monde, elle débusque des faits inédits dans l’histoire des sciences humaines, avec de temps à autre cette émouvante sensation de participer ainsi à l’avancée du savoir. Tout en osant dire que parfois, le savant s’interroge… et doute. Que nous imposent les nouvelles technologies que la science ne cesse de nourrir comme on nourrit un monstre affamé et dangereux et vers quel monde va-t-on ?

Pour Angélique Stéphanou, biologiste computationnelle 3, le savoir acquis est vérifiable, ce qui le rend universel et transmissible. Fascinée par la science dès ses lectures de jeunesse, Jules Verne et H. G. Wells, sa perception généreuse est restée imprégnée de l’imaginaire de son enfance. La science reste toujours porteuse de valeurs, de rêves et d’espoirs. Elle permet de rendre l’humanité moins vulnérable et plus lucide. Le scientifique doit chercher les réponses avec rigueur et obstination, sans se contenter de réponses toutes faites ou de l’opinion. Il doit ne jamais céder à la facilité, mais aussi accepter que certaines questions soient encore sans réponse et que certaines n’en aient pas.

Pour Véronique Thomas-Vasselin, immunologiste, la science est une activité typiquement humaine liée à la conscience et à la mémoire individuelle et collective, intégrant des problématiques (comment et pourquoi). C’est une construction par l’être humain de concepts et d’un questionnement touchant tous les niveaux d’organisation et de dynamique de notre univers. Actuellement, on atteint les limites de la science « traditionnelle » où l’on cherche la reproductibilité expérimentale, des invariants et des lois pour expliquer les observations, prédire les comportements de systèmes, car le fait d’exister, d’observer, modifie le système et les interactions dynamiques. La science des systèmes complexes émerge depuis un demi-siècle et prend davantage en compte la contingence, l’absence de causalité linéaire, le hasard et la co-émergence de dynamique de systèmes non linéaires dans des environnements clos, variables et saturés d’interactions qui génèrent des réseaux avec des comportements chaotiques et des variations des conditions initiales, et donc imprédictibles. On reste avec des connaissances partielles, des connaissances agrégées, des paramètres innombrables, une indécidabilité et des énoncés indémontrables.

Les disciplines scientifiques ont tracé des frontières qui restent difficiles à traverser, le réductionnisme des observations reste prégnant. Par exemple, en biologie, l’analyse par statistique intégrant la masse de données informatisées, est loin de permettre de comprendre la complexité du vivant et de certaines maladies dont les régulations concernent différents niveaux d’interactions.

Pour Claudine Tiercelin, philosophe, la science, ce fut jadis la métaphysique qui s’interrogea sur les causes premières, et à l’époque moderne, c’est aux sciences, à la physique notamment, de nous dire de quoi le monde est fait et ce qu’il est. Au savant serait dévolu désormais la construction enthousiasmante de la réalité objective, par une série d’idéalisations, de réductions de la nature à son langage mathématique, de la qualité vers la quantité et la mesure, du rejet de la finalité au profit du mécanisme, et avec quel succès ! À tel point qu’un certain vertige scientiste contamina même les métaphysiciens. Mais la science n’est pas le scientisme. Actuellement, personne ne nie plus guère l’idée que toutes choses, en ce bas monde, sont des structures suivant les lois de la physique. Néanmoins, en proposant et en testant leurs théories, les scientifiques font tous des postulats métaphysiques qui vont bien au-delà de ce à quoi les autorise leur science.

Même un métaphysicien acquis au physicalisme s’inquiétera des surdéterminations causales, par exemple pour les propriétés mentales en regard de la singularité qualitative du mental. Le concept de science évolue, s’éloignant d’un système impérial, achevé, vers une nature probabiliste des lois, de la matière, de la causalité y compris en métaphysique où sont remisés les dogmes et systèmes. En science comme en métaphysique, « connaissance » rime moins avec certitude ou vérification qu’avec approximation, méthode par essais ou erreurs, conjectures, falsifications et faillibilisme, faisant d’ailleurs peser la menace sceptique et sur l’ontologie le risque de relativité.

Si une trop grande révérence reste dangereuse, une trop grande suspicion l’est tout autant. La science est notre meilleure source d’information et nous avons raison de nous y fier, elle seule peut nous livrer, par exemple, des informations pertinentes sur les causes et remèdes du cancer ou sur la destruction de la couche d’ozone. La science, pour Claudine Tiercelin, est une poursuite de savoir mue par la passion d’apprendre, dont le seul but est la vérité.

Un livre d’une formidable richesse, à lire par petites touches, pour réfléchir, s’interroger et élargir sa vision de la science.

1 Elles ne représentent donc que 10 % de l’ouvrage. En France, il y a 27 % de femmes parmi les chercheurs ; le taux de féminisation des chercheurs est faible, en comparaison avec les pays de l’OCDE. Part des femmes parmi les chercheurs (public et privé) dans les pays de l’OCDE, en 2009 : Portugal 43 %, Estonie 42 %, Afrique du Sud (2008) 40 %, Pologne 40 %, Espagne 37 %, Turquie 36 %, Italie 33 %, Finlande 31 %, Belgique 31 %, Danemark 30 %, Chili (2008) 28 %, France (2008) 27 %, Allemagne 23 %, Japon 14 %. (Chiffres OCDE cités dans Chiffres clés de la parité dans l’enseignement supérieur et la recherche, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2013.
Un second volume Qu’est-ce que la science… pour vous ? est en cours de parution chez le même éditeur, où la présence des femmes est plus importante (12 femmes sur 51 contributeurs).

2 La dénomination actuelle de ce courant est « cognitiviste ».

3 La biologie computationnelle concerne les travaux à l’interface entre l’informatique et les sciences de la vie.


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