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Quelle transition énergétique ?

Publié en ligne le 2 février 2014
Quelle transition énergétique ?

Henri Safa
EDP Sciences, 2013, 106 pages, 12 €

Voici un petit livre au sérieux indéniable. Henri Safa, physicien, auteur de plusieurs ouvrages sur l’énergie, domaine dont il est spécialiste, nous éclaire en effet sur de nombreux points. D’abord, sur l’énergie elle-même : avant de parler de la transition énergétique qui est en ce moment sur toutes les lèvres, il remet quelques idées en place. Par exemple, un historique des énergies utilisées à travers les siècles et quelques comparaisons parlantes 1 aident à se faire des idées plus nettes et à saisir les enjeux des besoins humains en énergie.

Une autre réalité dont il faut prendre conscience est l’inégalité devant l’énergie : environ deux milliards d’êtres humains vivent encore de nos jours comme les Sumériens… Et, à l’inverse, si l’auteur est loin de prôner une impossible limitation ou la fameuse décroissance, il souligne tout de même qu’on consomme ailleurs trop d’énergie. L’exemple des États-Unis montre que l’énergie trop facile d’accès a des effets pervers, ne serait-ce qu’en termes de santé publique, puisque l’utilisation continuelle de la voiture n’est pas pour rien dans l’épidémie d’obésité. Henri Safa montre par ailleurs que, de tout temps et en tout lieu, l’histoire a vu marcher ensemble niveau de vie et consommation d’énergie.

L’auteur en vient ensuite à cette transition énergétique, dont il souligne qu’après avoir été d’abord considérée comme la nécessaire adaptation au réchauffement climatique et la réduction des gaz à effet de serre, elle serait plutôt devenue maintenant la sortie du nucléaire. Le problème étant pour H. Safa que ces deux objectifs sont contradictoires : le nucléaire n’émettant pas de gaz à effet de serre, c’est chercher à en sortir qui devient une menace pour le climat.

« Des faits, rien que des faits », semble être la devise de l’auteur, qui démontre, chiffres à l’appui, que sortir du nucléaire, c’est ni plus ni moins « entrer » dans les centrales aux gaz. Et lorsqu’il évoque les énergies renouvelables, telles que le solaire ou l’éolien, la démonstration est là aussi sans appel : on sait que le défaut de ces deux sources d’énergie est leur intermittence. On sait aussi qu’il faudra donc, là aussi, des centrales à gaz pour « compenser ». Mais sait-on que l’importance de cette compensation s’élève respectivement à 90 % pour le solaire et 78 % pour l’éolien ? Comme le montre Henri Safa, le renouvelable, c’est donc surtout du gaz, et en appoint, les énergies présentées comme renouvelables…

À l’aide de tableaux toujours clairs, de chiffres spectaculaires 2 ou d’exemples comme celui du solaire allemand (édifiant, puisqu’on apprend que les sommes d’abord investies par l’Allemagne étaient si considérables au regard de l’électricité produite que les tarifs de rachats en 2012 ont été réduits drastiquement ; le marché solaire allemand s’est instantanément écroulé) et de bien d’autres (r)enseignements, ce livre permet de prendre conscience de certaines réalités. Une démonstration savoureuse indique par exemple l’avantage qu’il y aurait à installer de simples panneaux de verre plutôt que des panneaux photovoltaïques. Comme, évidemment, aucune électricité ne serait produite, H. Safa élabore un calcul très ingénieux, mettant en balance le peu d’énergie manquante, les économies potentiellement énormes dans les importations ou les installations, les emplois, et au final, met en évidence « l’absurdité du choix politique effectué de financer une filière à plus de 94 % non par sa valeur intrinsèque mais par des aides prélevées sur les consommateurs. »

Mais le point fort du livre, c’est que l’auteur a une solution ! Les ouvrages critiques sont nombreux, mais rares sont ceux qui proposent quelque chose pour « s’en sortir ». H. Safa, lui, propose un développement à grande échelle des « réseaux de chaleur urbains », sorte de récupérateurs de la chaleur émise par divers équipements, à commencer par les centrales. Ces réseaux existent d’ailleurs, notamment à Paris depuis 1927 (!), et permettent de pourvoir déjà à plus de la moitié du chauffage collectif. Ces solutions sont-elles applicables à grande échelle, permettraient-elles comme le prétend l’auteur, de couvrir les besoins de la France en chauffage ? Il faudra sans doute des lecteurs bien plus compétents que moi pour répondre. Mais je gage que personne ne me contredira sur l’intérêt d’un tel livre, que tout un chacun trouvera hautement enrichissant !

1 Ainsi, le moulin à eau a permis de développer la force de travail de 40 hommes, mais l’automobile « remplace » quant à elle 500 travailleurs.

2 Comme ce calcul du rachat de l’énergie solaire aux particuliers qui montre que la collectivité paie 5 milliards d’euros pour 0,1 % de la production d’électricité.