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Résistance aux traitements anti-cancer : l’épigénétique a son mot à dire

Publié en ligne le 12 janvier 2023 - Information scientifique -

La guérison définitive d’un cancer se mesure à l’aune du temps qui passe. Après une période de rémission complète, parfois de plusieurs années, le cancer initial peut malheureusement réapparaître : on parle de récidive, ou rechute. À l’origine de cette rechute, quelques cellules cancéreuses qui ont résisté à la thérapie et persisté dans l’organisme 1 avant de donner naissance à une nouvelle tumeur. L’existence de cellules cancéreuses résistantes à la thérapie reste un défi clinique majeur. Parmi les mécanismes impliqués dans cette résistance, certains sont de nature épigénétique, c’est-à-dire correspondent à des changements dans l’activité des gènes n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN. Une équipe française de l’Institut Curie a pu identifier une caractéristique épigénétique qui est associée à la résistance des cellules cancéreuses, dans le cas du cancer du sein « triple négatif » [1].

Il s’agit du sous-type de cancer du sein le moins fréquent (environ 15 % des cas), dont le traitement nécessite un protocole de chimiothérapie adapté. Si le traitement fonctionne chez beaucoup de patientes, plus d’un tiers d’entre elles voient une nouvelle tumeur se former à la suite de celle qui a été traitée.

Dans cette étude, les cellules cancéreuses ont été isolées à partir de biopsies tumorales provenant de patientes, puis comparées une à une pour différentes marques épigénétiques 2 associées à leurs gènes. Cela a permis l’identification d’une marque particulière dont le niveau est différent dans les cellules qui peuvent résister au traitement. Pour aller au-delà d’une simple corrélation, l’utilisation de molécules qui agissent sur les enzymes responsables de l’ajout ou du retrait de la marque a permis de modifier expérimentalement la quantité de celle-ci dans les cellules en culture ou greffées chez des souris. Cette marque épigénétique s’avère effectivement déterminante dans la résistance à la chimiothérapie : sa diminution accroît la capacité des cellules cancéreuses à tolérer la chimiothérapie, tandis que son augmentation limite leur tolérance et retarde la récidive tumorale chez la souris. La marque en question « verrouille » l’activité de certains gènes, empêchant les cellules cancéreuses de s’adapter au stress thérapeutique et les condamnant à disparaître. Seules les cellules chez lesquelles ce verrou est inexistant sont capables de résister au traitement.

Ces études précliniques chez l’animal montrent qu’en combinant la chimiothérapie avec des composés permettant de maintenir ce verrou épigénétique, on est capable de retarder la récidive. Des études cliniques s’avéreront nécessaires dans le futur pour valider une approche similaire chez les femmes atteintes de cancer du sein triple négatif, avec l’espoir de rendre le traitement existant plus efficace. Les auteurs mettent en garde contre toute généralisation de leurs résultats : d’autres études réalisées sur d’autres types de cancers chez l’Homme montrent qu’une approche épigénétique similaire peut, selon le contexte et le mode d’administration, produire des effets radicalement différents. Autant de paramètres qui devront être soigneusement pris en compte avant d’envisager de combiner les traitements dans d’autres types de cancers.

Rubrique coordonnée par Kévin Moris
Références


1 | Marsolier J et al., “H3K27me3 conditions chemotolerance in triple-negative breast cancer”, Nature Genetics, 2022,

1 Soit dans l’organe déjà atteint, soit dans une autre

2 Modifications chimiques apposées sur l’ADN ou sur les protéines associées à celui-ci, les histones, et qui ont une influence sur l’activité des gènes. Les marques épigénétiques dont il est question ici concernent les histones.