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Une Chapelle Sixtine en Amazonie ?

Publié en ligne le 12 octobre 2021 - Information scientifique -

Début décembre 2020, des dizaines d’articles de presse ont signalé la découverte d’une « immense fresque » qui s’étendrait sur une paroi amazonienne de treize kilomètres et datant « de la période glaciaire » selon les uns, de 12 000 ans ou 12 500 ans selon les autres. Le décor de cette « Chapelle Sixtine des anciens » découverte « loin de toute civilisation » raconterait « la colonisation de l’Amazonie il y a 12 000 ans », et représenterait, entre autres choses extraordinaires, « un paresseux géant, un mastodonte ou encore des ongulés à trompe ». Cette annonce évoque donc une découverte majeure, tant par les dimensions gigantesques de cette « fresque » que par sa possible importance pour reconstituer le peuplement préhistorique de l’Amérique.

La lecture de la publication originale [1] montre pourtant que cette description se rapporte en réalité à des sites reconnus dès 1943 par le botaniste Richard Schultes, et dont l’étude de certaines peintures par des spécialistes colombiens depuis des décennies avait déjà été publiée par Alain Gheerbrant en 1952.

Parc national de la Serrania de Chiribiquete (Colombie)
Carlos Castaño Uribe – Licence CC-BY-SA 3.0

Pourquoi cet engouement soudain ? Tout est parti d’un article présentant le résultat de fouilles et sondages effectués dans trois abris se trouvant au nord de Chiribiquete, une zone d’art rupestre voisine, connue depuis longtemps. Après avoir rappelé que la première occupation humaine de l’Amazonie colombienne se situe vers 11 000 à 9 000 ans avant nos jours, ses auteurs publient treize dates obtenues dans ces abris et qui confirment à peu près les précédentes, les vieillissant même un peu. Mais ces dates sont assez variées : la plus ancienne remonte aux environs de 20 000 ans, d’autres tournent autour de 12 000 ans, d’autres vers 9 000 à 7 000 ans, d’autres encore vers 3 000–2 700 ans, et la plus récente se situe dans l’intervalle 472–308 ans. Les datations les plus anciennes sont difficiles à interpréter, car elles ont été obtenues sur des charbons qui pourraient fort bien résulter d’un incendie naturel. Celles des environs de 12 000 ans et de 9 000–7 000 ans proviennent de graines de palmier carbonisées trouvées dans un milieu clairement anthropique, de même que celles des environs de 3 000–2 700 ans, correspondant aux couches dans lesquelles apparaît la céramique. L’important, du point de vue de la datation de l’art rupestre, est que rien ne permet d’attribuer les peintures à telle ou telle de ces périodes.

Les auteurs de la publication scientifique affirment avoir reconnu sur les images rupestres des représentations de cerfs, tapirs, alligators, chauves-souris, singes, tortues, serpents, porcs-épics, c’est-à-dire un bestiaire dont les représentants sont bien attestés dans la faune régionale. Mais ils affirment aussi pouvoir y reconnaître les images d’une faune disparue, notamment des mégaherbivores et un mastodonte. Or ces identifications sont peu convaincantes. Celle d’un Megatherium (sorte de paresseux terrestre géant que les gens chassaient en Amérique du Sud il y a 12 600 ans environ) se heurte à l’absence de queue sur la peinture supposée le représenter. Celle d’un mastodonte, dont les auteurs disent reconnaître « la protubérance caractéristique de la nuque », est d’autant plus problématique que ladite protubérance est en réalité propre au mammouth, inconnu en Amérique du Sud, et que l’image en question a été interprétée comme celle d’un bovin par d’autres chercheurs.

Et pourtant, les auteurs en déduisent que les peintures remonteraient à la fin du Pléistocène, époque durant laquelle vivaient les mégaherbivores et qui se termina il y a quelque 12 000 ans. Ces spéculations sont d’autant moins convaincantes que les 4 930 restes de mammifères qu’ils ont découverts sont des os de petits rongeurs et de tatous, sans aucun animal de grande taille. De plus, un âge si ancien paraît extraordinaire pour des peintures réalisées à l’air libre, et il est plus raisonnable de supposer qu’elles n’ont que quelques siècles, ou tout au plus quelques millénaires.

Rien n’était donc vrai dans la déclaration selon laquelle on viendrait tout juste de découvrir une paroi de treize kilomètres couverte de peintures remontant à 12 500 ans et montrant des représentants de la mégafaune ! Non seulement cette annonce reprenait le poncif ethnocentrique d’une « Chapelle Sixtine » perdue au cœur d’un monde sauvage, mais elle ranimait un autre cliché romantique : celui de la découverte d’une antique civilisation engloutie dans la jungle, mais aux vestiges miraculeusement retrouvés par de courageux savants s’enfonçant dans une vallée perdue.

Publié dans le n° 336 de la revue


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L' auteur

Jean-Loïc Le Quellec

Directeur de recherche au CNRS, Jean-Loïc Le Quellec est ethnologue, anthropologue, spécialiste de l’art rupestre (...)

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