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Autisme : de la mère « réfrigérateur » aux enfants cobayes

Publié en ligne le 16 avril 2021 - Autisme -

La première étude scientifique sur l’autisme est due au pédopsychiatre Léo Kanner (1894-1981) qui rendait compte du suivi de onze enfants présentant des troubles du comportement (problème de communication, repli sur soi) qu’il imputait à une « incapacité innée à établir le contact affectif biologiquement prévu avec les personnes, exactement comme d’autres enfants viennent au monde avec des handicaps physiques ou intellectuels » [1]. Un an plus tard, c’est le psychiatre Hans Asperger (1906-1980) qui décrivait des enfants atteints d’une « psychopathie autistique » qu’il jugeait héréditaire. Lui aussi était convaincu de l’origine organique de l’autisme.

En près de 80 ans, la connaissance sur ce trouble a beaucoup progressé (voir notre dossier « Autisme, le jour se lève pour les approches scientifiques », avril 2012). À la place d’« autisme », les professionnels préfèrent désormais parler du « trouble du spectre autistique » comme l’un des troubles neuro-développementaux. Les critères de diagnostic sont ainsi précisés par la Haute autorité de santé (HAS) : « des déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés ; le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités ». Différents niveaux de sévérité viennent compléter cette description en fonction de critères tels que « déficit intellectuel, altération du langage, pathologie médicale ou génétique connue ou facteur environnemental, autre trouble développemental, mental ou comportemental, ou catatonie » [2]. Ainsi, au-delà de caractéristiques communes fondant le diagnostic, on constate une très grande hétérogénéité des différents syndromes autistiques. Si les causes de l’autisme restent encore mal expliquées, là aussi, la connaissance a largement progressé et une dimension génétique est fortement établie [3].

Capacités intellectuelles des autistes : mythes et réalités


Pour le public, l’image de l’autiste a été fortement marquée par le personnage qu’interprète Dustin Hoffman dans le film Rain Man, qui jouit d’étonnantes capacités intellectuelles. Ne risque-t-on pas d’en déduire que les autistes sont souvent des surdoués ?

« De telles capacités sont malheureusement très rares, de l’ordre de un sur plusieurs centaines de malades [...]. En revanche, on a trop souvent tendance à les considérer comme plus déficients qu’ils ne le sont en réalité. Il est donc très important de montrer qu’ils disposent, en fait, de capacités méconnues dans certains domaines : techniques ou artistiques, par exemple […]. [Il y a] convergence nécessaire entre les soins de la famille, de l’école, des médecins, qui entourent l’autiste d’un faisceau de bonnes volontés. […] Même les enfants les plus touchés peuvent progresser, accéder au contact, au sourire, à la communication. »

Interview du Pr Gilbert Lelord
L’Express, 15-09-1994

L’Enfant à la banane,
José Ferraz de Almeida Júnior (1850-1899)

L’histoire de l’autisme et de sa prise en charge a largement été dominée par la théorie psychanalytique invoquant une « toxicité maternelle ». Les ravages de cette théorie proposée par Bruno Bettelheim (1903-1990) et popularisée par son ouvrage La forteresse vide (1967) ont été profonds. La mère se trouvait au centre des accusations : « mère-réfrigérateur », « mère-crocodile », « folie à deux »… En France, cette emprise de l’approche psychanalytique est encore bien présente, s’opposant toujours aux prises en charge qui sortent de son champ explicatif. Elle a longtemps proposé des thérapies qui n’ont jamais été évaluées (donc inacceptables dans le cadre d’une médecine fondée sur les preuves) comme le « packing » (voir encadré). D’une façon générale, les psychanalystes se sont toujours opposés à toute évaluation de leurs pratiques, obtenant par exemple en 2004 le retrait d’un rapport de l’Inserm du site du ministère de la Santé (rapport qui concluait à l’inefficacité de la psychanalyse pour les troubles étudiés [4]).

Le « packing »

Le packing, également dénommé « enveloppement humide thérapeutique » est fondé sur des concepts psychanalytiques tels que le « Moi-peau » 1 [1]. Cette « thérapie » consiste à envelopper des enfants autistes dans des linges humides et froids (à 10 °C) au prétexte de renforcer la conscience des limites de leur corps. Les partisans de cette méthode considèrent en effet que les enfants autistes présentent un vécu corporel fragmenté et des angoisses de morcellement. Leur objectif affiché est de lutter contre ces angoisses archaïques en permettant, via le packing, la constitution chez ces enfants d’une enveloppe psychique sécurisante. La constitution de cette « peau psychique » restaurerait un sentiment de continuité d’existence, et par là-même, une identité psychique.

Référence
1 | Rivière J, « Des psychomotriciens dans le packing et la “pataugeoire-thérapie” », Science et pseudo-sciences n° 300, avril 2012.

Cette situation va cependant commencer à évoluer en France (avec un grand retard comparé à d’autres pays) en 2012, quand la Haute autorité de santé émet sa « recommandation de bonne pratique » relatives à l’« autisme et autres troubles envahissants du développement » chez l’enfant et l’adolescent [5]. Les approches psychanalytiques sont alors clairement écartées du fait de « l’absence de données sur leur efficacité » et la technique du « packing » est proscrite en dehors d’un cadre d’évaluation scientifique. Pionnier de la prise en charge de l’autisme en France, le Pr Gilbert Lelord (1927-2017) pouvait alors écrire : « La maman est acquittée et sa collaboration est souhaitée » [6].

Une paysanne égyptienne et son enfant - Léon Bonnat (1833-1922)

Huit ans plus tard, le ciel des enfants autistes et de leurs parents ne s’éclaircit que lentement. La psychanalyse occupe toujours une place importante, mais cependant décroissante, dans le système de prise en charge. Élément d’inquiétude : d’autres approches tout aussi infondées acquièrent une certaine popularité. Comme le notait déjà en 2012 le biologiste Bertrand Jordan : « Chaque fois qu’il y a inquiétude ou détresse des patients ou de leurs familles, des explications charlatanesques fleurissent. Elles séduisent car elles nomment un responsable (l’environnement, l’alimentation, les vaccins, par exemple), ce qui peut rassurer, en laissant miroiter la possibilité d’un remède miracle, souvent aussi onéreux qu’inefficace » [7]. Des enfants autistes deviennent ainsi les cibles de marchands de fausses thérapies et les cobayes de praticiens peu scrupuleux qui n’hésitent pas à expérimenter en toute illégalité leurs traitements, parfois dangereux. C’est ce que décrit l’ouvrage d’Olivia Cattan Le livre noir de l’autisme dont nous rendons compte sur notre site Internet Afis.org.

Suite aux nombreuses démarches entreprises par Olivia Cattan, le 11 septembre 2020, le pôle santé du parquet de Paris, après avoir été saisi par l’ANSM, a ouvert une enquête pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « infractions tenant à la réalisation de recherches impliquant la personne humaine » concernant des médecins qui prescrivent à des enfants autistes des antibiotiques ou des substances censées éliminer les métaux lourds [8]. De son côté, « suite aux révélations du Livre noir de l’autisme et après la saisine du procureur de la République par l’ANSM, le Conseil national de l’ordre des médecins annonce à Egora.fr qu’il engagera une procédure à l’encontre de la cinquantaine de médecins accusés d’avoir prescrit des antibiotiques, des antiparasitaires et autres traitements non éprouvés dans la prise en charge de l’autisme » [9].

Références

1 | Kanner L, “Autistic disturbances of affective contact”, Nervous Child, 1943, 2 :217-50.
2 | Haute autorité de santé, « Trouble du spectre de l’autisme. Des signes d’alerte à la consultation dédiée en soins primaires », février 2018, sur has-sante.fr
3 | Ramus F, « Autisme : facteurs génétiques ou environnementaux ? », Science et pseudo-sciences n° 317, juillet 2016.
4 | Freixa i Baqué E, « Le pouvoir (pas le moins du monde occulte) des psychanalystes », Science et pseudo-sciences n° 293, hors-série sur la psychanalyse, décembre 2010.
5 | Haute autorité de santé, « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », recommandations de bonne pratique, 8 mars 2012, sur has-sante.fr
6 | Lelord G, « Autisme : la maman est acquittée... », Science et pseudo-sciences n° 300, avril 2012.
7 | Jordan B, Autisme, le gène introuvable, Seuil, 2012.
8 | « Antibiotiques contre l’autisme : Le parquet de Paris ouvre une enquête après la saisine de l’Agence du médicament », 20 minutes, 11 septembre 2020.
9 | « Charlatans de l’autisme : “L’Ordre engagera une action disciplinaire” contre les médecins concernés », Egora.fr, 24 septembre 2020.

1 Concept théorisé en 1974 par le psychanalyste Didier Anzieu (1923-1999) et popularisé dans son livre Le moi-peau(Dunod, 1987).

Publié dans le n° 335 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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Autisme

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) résultent d’anomalies du neurodéveloppement. Ils se manifestent par des altérations dans la capacité à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des anomalies comportementales. Malgré la diversité des troubles et les capacités d’insertion sociale très variables de ces personnes, l’autisme est reconnu comme un handicap en France depuis 1996.
Source : Inserm

Dossier Autisme

Le 6 novembre 2016