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Biosphère 2 : il s’agissait bien de pseudo-science

Publié en ligne le 5 juillet 2004 - Pseudo-sciences -

Peut-être vous souvenez vous des James Bond de la grande époque, tels L’Espion qui m’aimait ou Moonraker. Dans ces films, l’ennemi de 007 est un multi-milliardaire aux intentions louches, à la limite de la démence, qui, sous couvert de recherches scientifiques prestigieuses, arrive à construire des installations gigantesques et à obtenir la collaboration de scientifiques respectés. Impossible dans notre monde, pensiez-vous. Et pourtant, avec Biosphère 2, la réalité a rejoint la fiction.

Commençons par un prégénérique mystérieux dans la tradition de la série : en 1983, dans un ranch du Nouveau Mexique appartenant à Marie Allen et servant de demeure à une troupe de théâtre dirigée par John Allen, Bernd Zabel tend son 357 Magnum à Johann Hansler, un clown allemand extérieur à la troupe, en l’encourageant à s’exercer au tir sur cible dans la remise. Une des balles atteint un vieux réfrigérateur - bourré de dynamite. Le clown y perdit une jambe, et Marie Allen dut le dédommager à hauteur de 400 000 dollars. Mais cet incident, financier et moral, ne troubla pas la sérénité du groupe. Du point de vue financier, il compte dans ses rangs depuis 1973 Edward Bass, membre de la quatrième famille la plus riche des USA. Et du point de vue moral, le groupe, ou plutôt la secte, est sous la coupe de John Allen depuis 1971 - que signifie cet « incident » face à la tâche monumentale qui les attend : préparer l’implantation de l’espèce humaine sur la planète Mars, pour fuir la mort de l’humanité sur Terre, Biosphère 1 ?

Huit ans plus tard, on retrouvera la quasi-totalité de cette troupe à la tête du projet préliminaire de cette grande aventure : Biosphère 2. Bass apporta les 150 millions de dollars nécessaire à la construction de l’ensemble, qui prit 6 ans. John Allen se retrouve bombardé « directeur du développement scientifique ». Marie Allen est membre du « comité d’étude scientifique ». Quant à Bernd Zabel, il est non seulement « directeur général de la construction », mais aussi un des six bionautes membres de la secte sur les huit de la première expédition (les deux autres membres ayant toutefois des liens « de longue date » avec John Allen). L’ancienne costumière, Margret Augustine, est devenue la « co-architecte » du projet. Mark Nelson, ancien comédien, est « directeur des applications spatiales ». Etc, etc...

L’appellation secte n’est pas donnée à la légère. Les témoignages des rares visiteurs ayant connu la troupe avant l’aventure Biosphère 2, ou des anciens membres de la secte, sont sans équivoque. Ainsi, en 1980, Terrence McKenna, spécialiste des substances hallucinogènes naturelles, et son frère, botaniste, se rendirent sur invitation d’Allen, sur l’Heractitus, une réplique bizarre d’une jonque chinoise de plus de 25 mètres de long possédée par la troupe, mouillant dans le port de la cité d’Iquitos en Amazonie. Les scientifiques s’attendaient à un bateau utile pour leurs recherches dans la région, mais « au bout de cinq minutes il était clair qu’ils ne connaissaient absolument rien, mais rien, en science. Ils affirmèrent vouloir travailler avec nous, mais nous interdirent formellement de monter à bord du bateau entre deux et trois heures de l’après-midi, à cause des exercices de théâtres. (...) Avant les repas, ils poussaient des hurlements. Puis il y avait deux règles : la première est de ne pas parler pendant les repas. La deuxième est de ne parler à personne de l’extérieur de la première règle. » Un chercheur de Harvard, Wade Davies, décrira plus tard à un ami l’ambiance à bord de l’Heraclitus comme « quasi-totalitaire, un tachisme hippie ». Mais ces invités n’assistèrent jamais au spectacle réservé aux membres de la secte : « Il nous fallut presque six mois pour nous guérir de la paranoïa », raconte Rosemary Nishida, ancienne membre de la troupe, « Allen est le leader du groupe et il exerce une sorte d’intimidation permanente. Il menace. Il est violent ». Son mari Makio ajoute : « Les gens se mettaient debout, même Bass, et effectuaient une sorte de confession : ils avaient eu tort, ils étaient le mal, mais le théâtre les remettait sur la bonne voie ». D’après les témoignages, Allen choisissait ensuite une personne qu’il frappait et insultait, pour lui faire avouer tous les maux. Le groupe de Biosphère 2, bien sûr, nie l’appellation de secte, même si Allen reconnaîtra dans une interview avoir frappé des personnes six fois. Bass, par l’intermédiaire de ses porte-paroles, fera savoir qu’il n’avait pas été victime de violences répétées, contrairement à ce qu’affirment certains anciens disciples de la secte.

Allen menait donc d’une main de fer sa petite troupe. Mais Heraclitus fut un échec du point de vue du recrutement de scientifiques. L’équipe de Biosphère 2 jugea alors vraisemblablement que la condition sine qua non pour obtenir une respectabilité scientifique était de pouvoir se présenter comme détenteurs de diplômes. Déjà un comédien, Robert Hahn, s’était présenté comme Docteur ès Sciences, titre usurpé, à l’époque d’Heraclitus. Mais Allen préféra l’illusion au pur mensonge. Parmi diverses dépenses invraisemblables financées par Bass, la troupe se paya donc un Institut of Ecotechnics créé pour l’occasion, qui distribua diplôme sur diplôme aux membres de la secte. Cette méthode, couplée avec un projet authentiquement grandiose, fut sans conteste la plus efficace : « l’Institut of Ecotechnics bidon est présenté aujourd’hui sur les plaquettes de Biosphère 2 au même rang que le Bishop Museum of Entomology, l’University of Arizona ou le Smithsonian Instituts. »

La collaboration de membres de ces diverses institutions est-elle signe que la secte a tout de même réussi à mettre sur pied un projet authentiquement scientifique ? Hélas non, et certains scientifiques ont des mots très durs pour qualifier le comportement de quelques-uns de leurs collègues n’ayant su résister aux offres financières alléchantes. De même, le reporter du Village Voice ayant révélé la nature réelle du projet Biosphère 2 n’est pas tendre avec ses collègues journalistes scientifiques qui rendent compte sans esprit critique de l’évolution du projet et qui ne voient dans l’accueil « digne de Bagdad » qu’ils reçoivent des Biosphériens aucune raison de douter.

Quelles sont donc les failles scientifiques ? Tout simplement l’impossibilité de savoir ce qui se trame à l’intérieur des 6 « biômes » interdépendants, de la « technosphère » et des deux énormes « poumons » de Biosphère 2. L’irrationalité de la troupe laisse à vrai dire ses empreintes partout. Dans l’architecture, tout d’abord : les vrais ingénieurs payés par Bass devaient se plier aux ordres d’Augustine, et se borner à rendre techniquement viables les croquis sommaires de la « co-architecte ». Plusieurs contre-propositions beaucoup plus efficaces furent avancées, sans succès. De même, celles de l’Université d’Arizona sur le taux excessif de dioxyde de carbone sous le futur dôme furent dédaignés par Allen, rejetant le modèle, pourtant également conçu avec le financement de Bass, comme « ridicule et non-réaliste ». Comme ce sera le cas plusieurs fois par la suite, les conseillers scientifiques embauchés démissionnèrent.

L’ERL avait pourtant raison : avant même la daté du lancement (les biosphèriens utilisent le langage de la NASA), le taux de C02 SOUS le dôme était déjà trop élevé. Les biosphériens installèrent donc dans « leur » forêt tropicale, en cachette et en catastrophe (le jour du lancement !), un purificateur d’air de 125.000 dollars du type de ceux utilisés dans les sous-marins. Contrairement à l’esprit même de Biosphère, le « vase clos », les absorbeurs chimiques de gaz carbonique étaient fournis par l’extérieur et renvoyés une fois utilisés. Ce ne fut pas la solution miracle : à au moins une occasion lors de la première expédition, la moitié de l’air de Biosphère 2 fut volontairement remplacée par de l’air « frais » de l’extérieur. Peut-être las du mensonge, le seul scientifique parmi les bionautes, le Dr. Roy Walford, fit alors pression pour que ces deux infractions soient révélées à la presse, ce qui fut le cas. Le Village Voice, quant à lui, publiait sur une grande page en très petits caractères la très longue liste des objets importés de l’extérieur au mépris du principe du vase clos, détruisant ainsi le peu de crédibilité qui restait au projet.

Fin Mars 1994, les événements se sont cependant précipités, et une nouvelle orientation, vraiment scientifique semble se profiler à l’horizon. Allen et Augustine ont été renvoyés par Bass, convaincus par certains scientifiques que « leur » Biosphère 2 pourrait facilement recevoir des financements publics si son but était restreint à quelque chose de plus réaliste comme, par exemple, l’étude de l’interaction entre les plantes et le dioxyde de carbone. En effet, malgré les quelques 5 000 visiteurs par semaine payant entre 10 et 80 $ et la fortune de Bass, l’avenir financier de Biosphère 2 n’est pas des plus clairs. Ce revirement ne s’est toutefois pas fait sans heurts : Abigail Alling et Mark Van Thillo, deux bionautes de la première expédition, auraient détruit cinq sas de Biosphère 2 et ouvert quelques portes, par réaction à la décision de Bass. Ils furent arrêtés en avril 1994.

Remerciements à James J. Lippard, des Phoenix Skeptics, pour m’avoir fourni les longs articles du Village Voice.


Thème : Pseudo-sciences

Mots-clés : Pseudoscience - Secte