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Changement climatique : l’état actuel des connaissances et sa médiatisation

Publié en ligne le 31 mai 2023 - Climat -

Quiconque contribue à l’étude du climat sait que le sujet relève de la théorie des « systèmes complexes ». Qu’est-ce que cela signifie ? Intéressons-nous aux nombreux éléments qui composent le système climatique : l’atmosphère, les océans (ou l’hydrosphère), la biosphère, la glace et la neige (la cryosphère), le sol. Chacun d’entre eux a sa propre dynamique interne, mais ils interagissent les uns avec les autres par le biais de mécanismes non linéaires (dont les effets ne sont pas proportionnels la cause) associés à des rétroactions. Ce sont là quelques-unes des caractéristiques qui font du système climatique un « système complexe ». Outre sa variabilité interne et naturelle, le système climatique varie également en raison de l’action de facteurs externes appelés « forçages climatiques », qui peuvent être naturels ou anthropiques. Ces forçages peuvent induire des changements dans les différentes composantes du système climatique qui viennent s’ajouter à la variabilité climatique interne qui est de nature chaotique.

Le Dégel, Fiodor Vassiliev (1850-1873)

Le climat de la Terre n’a cessé de changer, passant par des époques où de grandes quantités de glace recouvraient presque toute la surface de la planète (épisodes connus sous le nom de « Terre boule de neige ») et d’autres, comme il y a environ 65 millions d’années, où un « super effet de serre » a conduit à ce que la température moyenne de la surface de la Terre soit supérieure d’au moins 10 °C à celle d’aujourd’hui [1]. Depuis cette période, la température moyenne de surface a eu tendance à diminuer et, il y a environ trois millions d’années, notre planète est entrée dans une ère avec une alternance de conditions glaciaires particulièrement froides et de périodes interglaciaires plus douces, comme celle qui a débuté il y a environ 11 700 ans et dans laquelle nous vivons actuellement (l’Holocène) [2]. Le début de l’Holocène a également favorisé le développement des sociétés humaines qui ont profité du climat plus doux et relativement stable et ont commencé à adapter l’environnement à leurs besoins, par exemple en aménageant certaines zones pour en faire des terres cultivables. Le terme « paléo anthropocène » est utilisé pour désigner la période comprise entre les premiers changements environnementaux anthropiques, à peine discernables, survenus au cours de l’Holocène, et la révolution industrielle, lorsque les changements climatiques, l’utilisation des sols et la perte de biodiversité induits par l’Homme ont pris des dimensions importantes et globales [3]. En effet, c’est depuis la révolution industrielle que les modifications humaines de l’environnement ont produit des effets tangibles, et dans certains cas irréversibles, sur les écosystèmes, la qualité de l’air et de l’eau, la santé, la biodiversité, les cycles des nutriments et aussi le climat. Ainsi, le terme « Anthropocène » a été proposé par Eugene Stoermer et popularisé avec le futur prix Nobel Paul Crutzen [4] pour décrire une nouvelle ère géologique de la Terre, postérieure à l’Holocène, dans laquelle la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2), l’un des principaux gaz à effet de serre produits par les activités humaines, a atteint en très peu de temps (environ 250 ans) des valeurs largement supérieures à celles observées au cours des trois derniers millions d’années. Le terme est en cours de validation par la Commission internationale de stratigraphie [5].

Comment fonctionne le climat ?

Le moteur du climat est porté par l’énergie solaire entrante (la variation de l’irradiance solaire est un forçage naturel pour le climat de la Terre), mais seulement environ 70 % de cette énergie est « utilisée » par le système. La fraction restante, 30 %, repart vers l’espace après réflexion par les nuages et les surfaces terrestres, en particulier les zones couvertes de neige et de glace ainsi que les déserts. L’albédo désigne la fraction d’énergie solaire réfléchie : l’albédo moyen à l’échelle mondiale est de 30 %, mais il varie géographiquement et en fonction du type de surface. La neige fraîche et les nuages épais ont, par exemple, un albédo proche de 100 % (ce qui signifie que la quasi-totalité de la lumière solaire qui les atteint est réfléchie vers l’espace) ; à l’inverse, les océans ont un albédo très faible (quelques %).

Soixante-dix pour cent du rayonnement solaire incident est donc absorbé, principalement par les surfaces (océans et terres). Cette absorption conduit à un échauffement, qui est compensé par un refroidissement par l’émission de rayonnement infrarouge (un type de rayonnement que nous ne voyons pas à l’œil nu mais que nous percevons comme de la chaleur). Sans l’atmosphère, ce rayonnement émis serait simplement « perdu » dans l’espace et la Terre serait très froide, avec une température moyenne de moins 18 °C 1 . L’effet de serre recycle une partie de ce rayonnement infrarouge (voir encadré ci-dessous) ce qui conduit à accroître la température moyenne de la surface de la Terre jusqu’aux 15 °C qui sont observés.

Comment fonctionne l’effet de serre ?


L’atmosphère terrestre contient des gaz tels que la vapeur d’eau (H2O), le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et d’autres, qui absorbent une partie du rayonnement infrarouge émis par la surface et, en parallèle, émettent dans toutes les directions, vers le haut et vers le bas, ce qui contribue à échauffer la surface. Comme une couverture qui limite le refroidissement, l’effet de serre naturel permet une température plus douce (bien que variant entre les extrêmes de froid et de chaud) et propice à la vie. Notons que 99 % de la masse de l’atmosphère, composée d’azote (N2) et d’oxygène (O2), ne contribue pas à l’effet de serre.

Port de mer au soleil couchant, Claude Gellée (v.1600-1682)
Les variations naturelles de l’orbite terrestre


La théorie astronomique du climat de l’astronome serbe Milankovitch (1879-1958) démontre que les variations climatiques quaternaires sont la conséquence des variations cycliques de différents paramètres orbitaux terrestres. Il identifie trois niveaux de périodicité.

La variation de l’excentricité de l’orbite terrestre
L’orbite de la Terre est une ellipse dont le Soleil occupe l’un des foyers. L’excentricité de l’ellipse est une mesure de la différence entre cette ellipse et le cercle correspondant ; elle est nulle lorsque l’orbite est parfaitement circulaire. La principale composante de l’excentricité fluctue sur une période de 413 000 ans. D’autres composantes ont des cycles de 95 000 ans et 125 000 ans, qui se combinent en un pseudocycle d’environ 100 000 ans.

L’excentricité est l’un des facteurs les plus importants dans les changements climatiques naturels puisque, lorsqu’elle est maximale, la Terre au périhélie (point de la trajectoire le plus proche du Soleil) peut recevoir du Soleil jusqu’à 26 % d’énergie de plus qu’à l’aphélie (point de la trajectoire le plus éloigné du soleil). Aujourd’hui, cette part est de l’ordre de 7 %.

Variation de l’obliquité de l’axe de rotation de la Terre
L’obliquité (ou inclinaison de l’axe de rotation) est une grandeur qui donne l’angle entre l’axe de rotation de la planète et la perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre autour du soleil ou plan de l’écliptique.

L’obliquité terrestre varie entre 22,1° et 24,5° sur une période d’environ 41 000 ans. Quand l’obliquité croît, chaque hémisphère reçoit plus de radiations du soleil en été et moins en hiver. Ainsi quand l’inclinaison est plus forte (proche de 24,5°), les étés sont plus chauds et les hivers plus froids que pour l’inclinaison actuelle qui est de l’ordre de 23°.

La précession des équinoxes
La Terre ne tourne pas sur elle-même comme un ballon parfaitement sphérique mais plutôt comme une toupie car elle est soumise à la précession. La précession est le nom donné au changement graduel d’orientation de l’axe de rotation d’un objet. Il s’agit du déplacement de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône selon une période de 19 000 à 23 000 ans (moyenne 21 000 ans). Cette précession change la date à laquelle la Terre est proche ou éloignée du soleil (du fait de l’excentricité). Aujourd’hui, la Terre est au plus proche du Soleil début janvier. L’effet de saison (inclinaison de la Terre) et l’effet de distance se compensent dont partiellement dans l’hémisphère nord, ce qui y atténue l’amplitude du cycle annuel (mais l’accentue dans l’hémisphère sud). Ce contraste évolue donc avec la précession des équinoxes.

Source  : Prof SVT 71, « Origine des variations climatiques du Quaternaire », 2022. Sur le site profsvt71.fr que nous remercions pour leur autorisation.

Les causes des changements climatiques

Sur de longues échelles de temps, il y a nécessairement un équilibre entre les quantités d’énergie entrant et sortant du système climatique. Chaque fois que cet équilibre énergétique est perturbé par l’action de facteurs de forçage, le climat va changer. Cela peut se produire de trois façons.

Les variations du rayonnement solaire incident
Les paramètres de l’orbite de la Terre autour du Soleil fluctuent (voir encadré). Le Soleil lui-même a une dynamique interne qui modifie la puissance rayonnée, dont un cycle de onze ans avec une amplitude relative de 1/1000. Ces facteurs modifient la quantité totale d’énergie arrivant sur notre planète, de façon globale et surtout sur la distribution géographique en fonction des saisons. Ces changements appartiennent à la catégorie des forçages naturels.

Les changements d’albédo
Ces changements peuvent résulter de modifications dans l’utilisation des terres (déforestation, urbanisation) ou dans l’étendue des terres et de la glace de mer, qui jouent sur la réflectance d’une surface. Ils peuvent également venir de changements dans la couverture nuageuse ou dans la concentration des particules d’aérosol dans l’atmosphère (comme celles émises par les éruptions volcaniques). Les changements d’albédo peuvent donc être des forçages naturels ou anthropiques.

Les modifications de l’effet de serre
Les modifications de la fraction du rayonnement infrarouge qui est absorbée et émise par l’atmosphère (modifications de l’effet de serre) sont dues à des changements dans sa composition. Ils peuvent se produire soit par des mécanismes naturels (émission de méthane par des bactéries par exemple), soit en conséquence d’émissions dues aux activités humaines (cause anthropique).

Dans le passé, les changements climatiques étaient provoqués par des forçages naturels et étaient très lents (à l’exception des perturbations induites par les éruptions volcaniques puissantes, voire par les chutes de météorites). Par exemple, des périodes glaciaires froides et interglaciaires chaudes se sont produites de manière cyclique au cours des trois derniers millions d’années en fonction des variations des paramètres de l’orbite de la Terre autour du Soleil (voir l’encadré « Les variations naturelles de l’orbite terrestre »). Les rétroactions climatiques (par exemple la rétroaction de l’albédo de la neige et de la glace qui sera décrite plus loin) ont également joué un rôle important car elles ont amplifié les effets des forçages solaires.

Coalbrookdale de nuit (détail), Philip James de Loutherbourg (1740-1812)
Le village de Coalbrookdale, dans l’est de l’Angleterre, devient un point névralgique de la Révolution industrielle dès le début des années 1700 : la famille Darby y développe de nouvelles méthodes sidérurgiques qui vont améliorer grandement la qualité de la fonte. En 1781, le premier grand pont métallique au monde y est construit pour enjamber le fleuve Severn.

Le principal agent de forçage du changement climatique récent est l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre due aux activités humaines : production d’énergie à partir de combustibles fossiles, changements d’affectation des sols, notamment agriculture et déforestation, transports, etc. Depuis 1750, la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a augmenté de 40 % pour atteindre des valeurs supérieures à 420 ppm (parties par millions) et continue à augmenter à un rythme qui a dépassé 2 ppm par an au cours des dernières décennies [6] ; la concentration de méthane a aussi augmenté de plus de 150 % par rapport à ses niveaux préindustriels. L’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère a été plus rapide que la capacité des écosystèmes naturels (principalement les forêts ou les océans) à les absorber. Elle conduit à un effet de serre additionnel à l’origine du réchauffement climatique actuel, amplifié ensuite par plusieurs mécanismes de rétroaction (voir encadré « Quantifier la responsabilité des causes anthropiques »).

Quantifier la responsabilité des causes anthropiques


Un domaine spécifique de la recherche sur le climat, appelé « attribution », vise à quantifier la responsabilité des facteurs anthropiques et naturels dans l’occurrence d’un événement climatique.

Une des approches employées consiste à exploiter les modèles climatiques, non seulement pour faire des projections futures (leur principale application courante), mais aussi pour reproduire le climat passé, lorsque la perturbation anthropique peut être négligée. Deux simulations de modèles différents sont typiquement réalisées dans ce type d’application : l’une dans laquelle la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre est maintenue inchangée aux valeurs préindustrielles (ou soumise à des modifications naturelles uniquement) mais en tenant compte de l’action des forçages naturels (Soleil, volcans). Une autre, au contraire, considère à la fois les forçages naturels et anthropiques, sur la base de nos connaissances sur les émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols ou les changements d’utilisation des sols, entre autres, depuis la révolution industrielle.

Les résultats de ces expériences d’attribution aboutissent à une conclusion très solide : ce n’est que sous l’action des forçages naturels et anthropiques que les modèles climatiques sont capables de reconstituer les tendances de l’évolution de température observées au cours du siècle dernier, alors que, sans aucune influence anthropique, le récent réchauffement climatique n’aurait pas eu lieu.

Source  : Giec, « Changements climatiques 2013 », Eléments scientifiques, résumé à l’intention des décideurs, 2013.

Mécanismes de rétroaction

Tous les systèmes complexes, quelle que soit la discipline dont ils relèvent, présentent des caractéristiques communes. L’une d’entre elles, très pertinente pour l’étude du climat, est l’existence de relations non linéaires de cause à effet. Il s’agit de relations dans lesquelles une ou plusieurs causes génèrent un effet, qui lui-même se répercute sur la cause et, en tant que tel, a le pouvoir de modifier l’effet initial, en l’amplifiant (rétroaction positive) ou en l’atténuant (rétroaction négative).

Les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, ainsi que les changements dans l’utilisation des sols, sont des forçages climatiques humains bien connus, au moins depuis le milieu du XXe siècle. Le réchauffement associé a été amplifié par des rétroactions positives à l’œuvre dans toutes les composantes du système climatique, de la cryosphère (ensemble constitué d’eau à l’état solide) à l’atmosphère, des océans à la biosphère, dont certaines sont brièvement expliquées ci-dessous.

Rétroaction de la vapeur d’eau
La hausse de la température moyenne due aux émissions anthropiques de dioxyde de carbone, de méthane et d’autres gaz à effet de serre, augmente les taux d’évaporation et les concentrations de vapeur d’eau dans l’atmosphère. L’augmentation de sa concentration entraîne à son tour un réchauffement supplémentaire, la vapeur d’eau étant un puissant gaz à effet de serre.

Rétroaction glace-albédo
Le réchauffement climatique entraîne une diminution de l’étendue des zones couvertes de neige et de glace (surfaces réfléchissantes) et donc une augmentation des surfaces plus sombres et plus absorbantes, ce qui amplifie le réchauffement de la surface. Cette rétroaction est particulièrement active dans les parties les plus froides de la planète, comme les régions polaires et de haute altitude.

Rétroaction océans-CO2
Avec le réchauffement de l’atmosphère, les océans se réchauffent également, ce qui limite leur capacité à absorber le CO2 atmosphérique. Plus de CO2 dans l’atmosphère implique donc une moindre absorption de ce gaz dans l’océan, et donc une plus grande quantité dans l’atmosphère, et ainsi un réchauffement supplémentaire.

Rétroaction permafrost-méthane
Une grande quantité de carbone organique est stockée dans le permafrost (sol gelé en permanence, aussi appelé pergélisol). Lorsque ce dernier dégèle en raison du réchauffement climatique, des gaz à effet de serre tels que le méthane sont libérés dans l’atmosphère où ils contribuent à un réchauffement supplémentaire. Contrairement aux précédentes, cette rétroaction n’est pas encore observée à l’heure actuelle, mais elle est crédible physiquement et doit être envisagée.

Les signes d’un changement climatique

Le Giec prend comme référence la période 1850-1900 pendant laquelle on disposait déjà des relevés de température dans de nombreuses régions du globe, alors que la perturbation humaine sur le climat restait faible. Sur la dernière décennie, la température moyenne de la Terre a été de 1,1 °C supérieure à cette période de référence.

Les variations diurnes des températures, de même que les variations saisonnières, sont souvent bien supérieures à 10 °C. Les différences entre les températures tropicales et polaires sont de plusieurs dizaines de degrés. Devons-nous vraiment nous soucier d’un réchauffement qui paraît bien faible au regard des variations de température que chacun peut constater ?

Femmes au puits, Paul Signac (1863-1935)

Insistons tout d’abord sur le fait qu’il s’agit d’une augmentation de la température moyenne mondiale évaluée sur une très longue période, ce qui signifie que toute variabilité sur une courte période (liée aux conditions météorologiques, par exemple) est filtrée. Ainsi, les variations de température que nous subissons au jour le jour ou à l’intérieur d’une même journée, qui sont nettement plus importantes que 1 °C, n’ont pas d’impact sur la quantification du réchauffement planétaire. La météorologie et le climat ne sont pas la même chose. Deuxièmement, nous devrions examiner les effets que ce réchauffement de 1 °C a déjà eu sur les composantes du système climatique : élévation du niveau de la mer, recul des glaciers, augmentation de la fréquence des événements extrêmes, perte de biodiversité, ainsi que les impacts sur la société, notamment sur notre sécurité, notre santé, nos activités économiques et bien d’autres [7].

L’un des indicateurs les plus remarquables du réchauffement climatique est la fonte des glaces : la surface de banquise arctique a diminué d’environ 13 % par décennie depuis les années 1980 (rapporté à la moyenne 1981-2010), tandis que les calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland ont perdu respectivement 127 et 286 milliards de tonnes de masse par an depuis 2002 [8]. Les glaciers de montagne reculent et se fragmentent, deviennent plus petits et plus vulnérables au réchauffement, ce qui a de graves conséquences sur la disponibilité de l’eau et donc sur les utilisations agricoles, industrielles, hydroélectriques et civiles. Cela augmente le risque de conflits ou de guerres pour l’approvisionnement en eau dans certaines régions vulnérables.

Depuis 1993, le niveau des mers a augmenté d’environ 90 mm en moyenne sur le globe, à un rythme d’environ 3,3 mm par an [9], en raison de l’expansion thermique des eaux plus chaudes et de la fonte des glaces terrestres, ce qui expose des zones côtières entières au risque d’inondation et pourrait conduire à des migrations importantes.

En raison de l’évaporation accrue des eaux océaniques plus chaudes vers une atmosphère plus instable et plus énergique, l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes a également augmenté, générant des effets catastrophiques avec des dommages potentiels encore plus grands. Dans le même temps, les périodes de sécheresse se sont allongées dans certaines parties du globe (en particulier en Méditerranée), augmentant le risque de désertification, de famine et facilitant la propagation des incendies.

La biodiversité terrestre et marine a diminué, et de nombreuses espèces vivantes sont déjà proches de l’extinction en raison des activités de l’Homme, compromettant la survie et le fonctionnement d’écosystèmes entiers et donc leur capacité à fournir des biens et des services à tous.

Qu’en est-il de l’avenir ?

La connaissance du climat futur repose principalement sur les projections produites par les modèles de simulation du climat. Ils apportent une représentation du système climatique, de ses composantes et de leurs interactions, de la variabilité interne du climat et des changements imposés par des causes externes, naturelles ou anthropiques. Les projections climatiques futures nécessitent un ingrédient essentiel : l’élaboration de scénarios décrivant l’évolution possible des forçages anthropiques en fonction des choix économiques, énergétiques et technologiques possibles de la société et de la croissance démographique prévue. Les scientifiques ont donc élaboré toute une série d’hypothèses possibles [10], allant de scénarios d’atténuation forte, conduisant à une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, à des scénarios dans lesquels les émissions continueront à augmenter sans se stabiliser à la fin du siècle.

Glacier de Rosenlaui, John Brett (1831-1902)

Selon ces scénarios, la Terre pourrait se réchauffer de seulement +1,5 °C mais jusqu’à environ +5 °C d’ici 2100, par rapport aux valeurs préindustrielles. Comme aujourd’hui, le réchauffement ne sera pas homogène et sera accentué sur les régions polaires et en altitude. Les vagues de chaleur vont s’intensifier et devenir plus fréquentes. En raison de la fonte des glaces continentales et de l’expansion thermique des eaux océaniques plus chaudes, le niveau des mers va augmenter de 40 cm à plus d’un mètre selon les modèles et le scénario. Les phénomènes météorologiques extrêmes pourraient s’intensifier et les précipitations devenir plus rares, mais plus intenses dans certaines régions et, selon la vulnérabilité de la région, potentiellement plus destructrices. La cryosphère des montagnes diminuera. Ainsi, en Europe, seuls les glaciers situés au-dessus de 3500 m d’altitude seront susceptibles de perdurer, dans le cadre du scénario conduisant à 5 °C d’augmentation de la température. Pour une augmentation de 2 °C par rapport aux valeurs préindustrielles à la fin du siècle, certains écosystèmes risquent d’approcher, voire de franchir, un seuil au-delà duquel ils disparaissent.

Le rapport spécial du Giec [11] qui avait été commandé par les États lors de la conférence de Paris (COP21) souligne à quel point un réchauffement inférieur d’un demi-degré seulement (c.-à-d. 1,5 °C plutôt que 2 °C) aurait des bénéfices notables : moins de risques pour la santé, la sécurité des terres, la disponibilité de l’eau, l’agriculture, notamment dans les régions et les groupes de population particulièrement vulnérables et sensibles, moins d’inégalités et moins de conflits.

Quelques degrés en plus ou en moins ?


Il y a 20 000 ans, au maximum glaciaire, la température moyenne de la Terre était d’environ 5 °C de moins qu’aujourd’hui. Avec ces différences :

  • plusieurs kilomètres de glace recouvraient l’Amérique et l’Europe du Nord. La France ressemblait au Nord sibérien actuel,
  • l’Europe continentale était plus froide de 10 à 15 °C mais les températures de l’océan tropical étaient similaires à celles d’aujourd’hui,
  • on passait à pied à sec du continent à ce qui est aujourd’hui l’Angleterre, la mer étant plus basse de 130 mètres.

À la lumière de la seule expérience en grandeur nature que la planète ait connue, il est manifeste que 5 °C de hausse du thermostat planétaire en un siècle se traduirait par une modification massive de l’environnement.

Source  : Duplessy JC, Morel P, Gros temps sur la planète, Odile Jacob, 1990.

Les incertitudes

Comme toute science, celle du climat comporte également des incertitudes, en particulier lorsqu’il s’agit d’examiner les projections futures. En termes généraux, les incertitudes des modèles sont classées en conditions initiales, structure du modèle (littéralement la façon dont est construit un modèle), et conditions limites ou incertitude du scénario. Ce dernier point, en particulier, signifie que les futures émissions de gaz à effet de serre, dont le comportement dépend de facteurs socio-économiques et technologiques imprévisibles, sont incertaines.

Étant donné qu’il n’est pas possible de supprimer toutes les incertitudes du modèle, il devient essentiel de les comprendre et de les quantifier car elles sont un élément clé des décisions qui peuvent être prises.

D’un point de vue pratique, la quantification de l’incertitude se fonde sur la variabilité dans les résultats des simulations entre modèles développés de manière indépendante. Une plus grande confiance sera accordée aux résultats qui sont communs à un ensemble de modèles. À l’inverse, lorsque les résultats des modèles sont divergents pour une certaine variable climatique (comme les précipitations sur l’Amazonie), on accordera moins de confiance aux projections. Un ensemble de modèles fournit un cadre pour les analyses probabilistes du climat futur (par exemple, l’augmentation de température future). Le Giec propose un cadre solide pour traiter l’incertitude en utilisant un langage spécifique et bien défini pour communiquer des informations probabilistes tout en quantifiant l’incertitude [12]. Communiquer les incertitudes au-delà de la communauté scientifique et suggérer comment les utiliser au mieux dans la prise de décision sont des étapes importantes pour relever les défis posés par la crise climatique.

Conclusions

Le changement climatique est le problème le plus pressant auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, et il implique de multiples disciplines, tels que les sciences économiques et sociales, la politique et bien sûr les sciences naturelles. Le changement climatique a déjà des effets observables, dont les impacts sont ressentis par une très grande partie de la population mondiale. Limiter le réchauffement de la planète par des politiques et des actions d’atténuation et réduire les effets néfastes du changement climatique par l’adaptation devrait être l’affaire de tous, et devrait prendre en compte les principes éthiques et moraux qui imposent de réduire les énormes inégalités existant dans le monde aujourd’hui et de préserver les générations à venir en évitant que notre planète ne devienne inhospitalière.

Références


1 | Westerhold T et al., “An astronomically dated record of earth’s climate and its predictability over the last 66 million years”, Science, 2020, 369 :13837.
2 | « L’Holocène », page Wikipedia, 30 octobre 2022.Sur wikipedia.org
3 | Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, « L’IPBES : son rapport mondial sur la biodiversité et les services écosystémiques », dispositif ECORCE, avril 2022. Sur blogpeda.ac-poitiers.fr
4 | Crutzen P, Stoermer E, “The Anthropocene”, Global Change Newsletter, 2000, 41 :17-8.
5 | International Commission on Stratigraphy, “Results of binding vote by AWG”, Working Group on the Anthropocene, 2019. Sur quaternary.stratigraphy.org
6 |“Numbers for living on earth”, CO2.earth, 2022. Sur co2.earth
7 | Intergovernmental Panel on Climate Change, “Climate change 2022 : impacts, adaptation and vulnerability”, 6th assessment report, 2022. Sur ipcc.ch
8 | « La fonte des glaces : où, comment, et pourquoi ? », Le Monde, 26 avril 2019. Sur le monde.fr
9 | University of Colorado, “Global Mean Sea Level : most recent GMSL release”, Sea Level Research Group, 2021. Sur sealevel.colorado.edu
10 | Lepousez V, Aboukrat M, « Les scénarios SS : décryptage et recommandations d’utilisation pour une démarche d’adaptation au changement climatique », Carbone 4, juillet 2022. Sur carbone4.com
11 | Intergovernmental Panel on Climate Change, “Global Warming of 1.5 °C”, Special report, 2015. Sur ipcc.ch
12 | Intergovernmental Panel on Climate Change, “Climate change 2013”, Technical summary of the final report, 2013. Sur climatechange2013.org

1 Une erreur s’est glissée dans la version papier de cet article où il est indiqué « 18 °C » au lieu de « moins 18 °C ». Nos lecteurs auront rectifié.