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Des histoires… belles, mais trop simples

Publié en ligne le 10 octobre 2022 - Science et décision -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°342 (octobre 2022)

Pour qu’une histoire paraisse solide, ce qui importe, c’est la cohérence de l’information, non son exhaustivité. À vrai dire, on s’aperçoit souvent que moins on en sait, plus il est facile d’agencer le tout en un ensemble cohérent » [1]. En matière de santé publique et d’environnement, la pluralité des causes et le doute scientifique font rarement de belles histoires. Aussi est-il fréquent de voir des explications simplistes remplacer un état des lieux complet et nuancé.

On entend ainsi parfois dire que « la disparition des abeilles, des insectes, c’est la faute des pesticides »… Peu importe que les évaluations scientifiques décrivent, pour les abeilles, un « déclin » dû à « un phénomène complexe aux causes multiples » impliquant des agents pathogènes, des prédateurs (comme le frelon asiatique), l’appauvrissement des sources d’alimentation, la qualité des pratiques apicoles, l’exposition aux produits chimiques disséminés dans l’environnement (pesticides en particulier) et « des causes qui [restent] inconnues » [2]. Peu importe que, pour les insectes, les évaluations des scientifiques évoquent « quatre causes principales » incluant la conversion des milieux terrestres, l’usage des pesticides, les effets du changement climatique et l’introduction d’espèces exotiques envahissantes [3].

Les solutions évoquées pour résoudre les problèmes sont aussi parfois simplistes, se rapprochant du « remède miracle » : 100 % renouvelable ou 100 % nucléaire contre le changement climatique, zéro « pesticide de synthèse » et 100 % bio pour l’agriculture et l’alimentation, etc.

Malheureusement, le monde réel est complexe. Les phénomènes observés ne s’expliquent que rarement par une cause unique et les réponses que les sociétés peuvent apporter doivent souvent faire appel à de nombreux leviers complémentaires. Rares sont les situations où une solution n’a que des avantages et toutes les alternatives que des inconvénients. Cependant, les discours simplistes ont l’avantage d’une très grande efficacité : « Dans le monde imaginaire où nous vivons, les bonnes technologies n’ont que peu d’inconvénients, les mauvaises technologies n’ont pas d’avantages, et toutes les décisions sont faciles » [1].

Constater cela n’est en rien invoquer un relativisme où tout serait compliqué et rien ne serait bien expliqué, ni affirmer que « la vérité est au milieu ». Au contraire, lutter contre un phénomène néfaste, c’est d’abord le comprendre dans l’ensemble de ses dimensions. Choisir une solution, c’est évaluer les avantages, mais aussi les inévitables inconvénients. C’est essayer d’anticiper l’efficacité globale du dispositif en reconnaissant qu’il y aura toujours une part d’incertitude. Ne pas le faire, c’est favoriser « les réactions biaisées aux risques [qui] sont une source importante de priorités erronées et déplacées dans la politique publique » [1].

Des décisions éclairées supposent une information scientifique complète et partagée, avec ses nuances, ses incertitudes, mais aussi ses grandes lignes consolidées.

Science et pseudo-sciences
Références

1 | Kahneman D, Système 1 / Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012.

2 | Anses, « Santé des abeilles », 10 mai 2021.

3 | Veyrieras JB, « Déclin des insectes : l’urgence d’agir », Journal du CNRS, 26 janvier 2021.