Ignorance scientifique et décision publique
Publié en ligne le 10 janvier 2025 - Science et décision -
Ignorance scientifique et décision publique
Les décideurs sont élus ou nommés en fonction de préférences politiques. Ils peuvent parfois n’entretenir qu’une relation lointaine avec les sciences, voire en ignorer complètement les méthodes et les résultats, même quand ils sont en charge de questions à fort contenu scientifique. Robert F. Kennedy Jr., secrétaire à la Santé du nouveau gouvernement Trump 1, est connu pour ses positions antivaccin et complotistes. Il affirme par exemple que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) n’est pas la cause du sida et que la covid-19 visait à « attaquer les Caucasiens et les Noirs » et que « les personnes les plus immunisées sont les Juifs ashkénazes et les Chinois » [1]. Mehmet Oz, chirurgien et célèbre animateur d’une émission télévisée sur la santé, en charge du programme public d’assurance maladie, a promu des traitements à base d’endives pour guérir le cancer, le recours aux signes astrologiques pour la santé et la pratique du reiki dans les blocs opératoires [2]. La France n’est pas à l’abri de ces dérives, même si c’est à moindre échelle. Patrick Hetzel, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du gouvernement Barnier a endossé sur de nombreux sujets des positions en contradiction avec le consensus scientifique : vaccination, homéopathie, maladie de Lyme, hydroxychloroquine [3]. Annie Genevard, ministre de l’Agriculture du même gouvernement a déclaré vouloir « développer des travaux de recherche » sur la géobiologie, pseudo-sciences héritière des sourciers de nos campagnes [4].
Une vision optimiste considérera qu’il s’agit de postes politiques et que la prise de décision saura s’appuyer sur les agences gouvernementales chargées des différentes expertises. Il convient de tempérer cette appréciation en constatant que, tout en cédant à la pseudo-science pour des raisons diverses – convictions personnelles ou populisme –, des responsables politiques, encouragés par certains médias, ignorent ou discréditent les recommandations des agences d’expertise. Certains s’en prennent directement à ces entités, à l’image de de Robert F. Kennedy Jr qui déclare vouloir débarrasser ses services de la « corruption institutionnelle » en espérant que « tous les scientifiques en nutrition […] soient licenciés dès le premier jour » [5].
Certes, les avis des agences peuvent comporter des biais, et certains experts se font parfois les représentants d’intérêts économiques ou idéologiques au détriment des faits scientifiques. Mais le fait de s’appuyer sur un examen complet de la littérature scientifique et le caractère collectif des délibérations conduit la plupart du temps à exprimer un consensus scientifique solide et argumenté. En outre, la transparence sur les conflits d’intérêts est régulièrement renforcée.
Ainsi, les Français sont-ils 71 % à estimer que « les décideurs politiques ne prennent pas assez en compte l’avis des experts scientifiques » [6]. La démocratie, c’est reconnaitre que la science ne dicte pas la décision et que celle-ci relève de nombreuses considérations d’ordre politique, social ou économique, ce sur quoi les électeurs se prononcent. Cependant, la transparence sur les données scientifiques examinées lors des prises de décision ne contribuerait-elle pas efficacement à ce que ces dernières soient mieux comprises et acceptées ?
Science et pseudo-sciences.
1| Dorn S, Pastis S, “RFK Jr.’s conspiracy theories : here’s what trump’s pick for health secretary has promoted”-, Forbes, 15 novembre 2024.
2| Garcia V, « Gouvernement Trump : les très mauvais conseils du Dr. Oz, le magicien des pseudosciences », L’Express, 21 novembre 2024.
3| Benz S, « Patrick Hetzel, un ministre de la Recherche fâché avec la science », L’Express, 23 septembre 2024.
4| Haynes M, « Sur la géobiologie, l’inquiétant relativisme de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard », Huffpost, 21 novembre 2024.
5| “What is "Make America Healthy Again" ? What to know about Trump and RFK Jr.’s wide-ranging platform”, CBS News, 12 novembre 2024.
6| Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Baromètre IRSN : la perception des risques et de la sécurité des Français », base de données, 2024.
1 Éditorial rédigé le 5 décembre 2024
Publié dans le n° 351 de la revue
Partager cet article
Science et décision
![[Metz- 14 novembre 2019] Science et santé. Que croire ? Qui croire ?](local/cache-gd2/21/cb1c4ec067d43cf7c7dd0d04739b1f.jpg?1681567311)
[Metz- 14 novembre 2019] Science et santé. Que croire ? Qui croire ?
Le 14 novembre 2019
L’art d’avoir toujours raison
Le 31 janvier 2025
Ignorance scientifique et décision publique
Le 10 janvier 2025
Les « données probantes » et la décision
Le 12 juillet 2024
Une expérience de pensée : le dilemme du tramway fou
Le 13 juin 2024Communiqués de l'AFIS

États-Unis : menaces sur la science
Le 9 mars 2025