Une hiérarchie des risques biaisée conduit à des décisions politiques inefficaces
Publié en ligne le 9 juillet 2025 - Science et décision -
Une hiérarchie des risques biaisée conduit à des décisions politiques inefficaces
Les décisions politiques, qu’elles soient législatives ou réglementaires, visent à transcrire dans la réalité un ensemble d’objectifs et de valeurs. Les connaissances scientifiques ne peuvent en aucun cas légitimer ou, au contraire, invalider ces valeurs : elles se contentent de décrire de la façon la plus rigoureuse possible la réalité du monde qui nous entoure. La science peut cependant contribuer à des prises de décisions cohérentes au regard des objectifs affichés, par exemple en objectivant le diagnostic d’une situation ou en anticipant des conséquences possibles de certains choix.
Cependant, en démocratie, la décision politique prend appui sur l’opinion publique et cette dernière est largement façonnée par l’information… et la désinformation. Ainsi, mettre en œuvre des mesures de santé publique ou une politique environnementale, décider d’orientations en matière d’approvisionnement alimentaire ou encore fonder des choix énergétiques implique la prise en compte d’une hiérarchie des risques. C’est à partir d’elle que l’on peut identifier et dimensionner les actions adaptées.
La science est un outil indispensable pour aider à objectiver et quantifier ces risques. Mais alors que les experts les évaluent à l’aide d’outils statistiques et scientifiques, la majorité du public se fie à son intuition, largement influencée par les médias et les réseaux sociaux. Certains risques, par exemple liés à des activités perçues comme utiles ou bénéfiques ou à des activités choisies (prendre la voiture, faire du ski, consommer de l’alcool ou fumer…), sont alors plus facilement acceptés, et donc minorés. Inversement, d’autres risques sont davantage craints, et donc amplifiés : risques subis (additifs alimentaires, résidus de pesticides dans l’alimentation…), risques « invisibles » (radioactivité, ondes électromagnétiques, OGM…).
Dans ce contexte, certains événements ont un impact sociétal disproportionné, même s’ils causent peu ou pas de victimes. Un ensemble de facteurs psychologiques et sociaux font ensuite que ces opinions peinent à évoluer, même quand elles sont confrontées à des données objectives les contredisant [1]. Il en résulte une hiérarchie de la perception des risques peu en rapport avec la réalité, mais très largement façonnée par l’information partisane ou la désinformation. Comment alors prendre des décisions rationnelles, par exemple en matière de santé publique, si certains additifs alimentaires ou l’aspartame sont plus redoutés que l’alcool ou le tabac ? Comment mettre en œuvre une politique énergétique bas-carbone quand, en 2023, 51 % des Français étaient convaincus que les centrales nucléaires contribuent à la production de gaz à effet de serre et au dérèglement climatique [2] ?
Faut-il pour autant renoncer à l’éclairage scientifique ? Bien évidemment non. Sans être suffisant, il reste indispensable et, en la matière, les décideurs politiques ont une responsabilité toute particulière. Ils devraient tout d’abord eux-mêmes s’informer le plus objectivement possible et, pour cela, s’appuyer plus largement sur les agences d’expertise qu’ils ont eux-mêmes mises en place. Sans être parfaites, elles sont les meilleures boussoles dont ils disposent. Par ailleurs, ils gagneraient également à expliciter les corpus de connaissances scientifiques qu’ils ont utilisés pour éclairer leurs décisions, ainsi qu’à décrire les moyens d’évaluations qu’ils entendent mettre en œuvre. Ainsi, sous cette forme, « plus de science en politique » est une attente de la société : en 2023, selon le baromètre de l’IRSN sur la perception des risques et de la sécurité, 71 % des Français estimaient « les décideurs politiques ne prennent pas assez en compte l’avis des experts scientifiques » [3]. Ce serait également un moyen de renforcer la confiance des citoyens dans la décision publique 1.
1 | Slovic P, “Perception of risk”, Science, 1987, 236 :280-5.
2 | « Les Français et le nucléaire », sondage BVA Xsight pour Orano, 20 décembre 2023. Sur bva-xsight.com
3 | IRSN, « Baromètre 2024 de la perception des risques et de la sécurité par les Français », 2024. Sur irsn.fr
1 Ce sujet, comme bien d’autres, sera l’objet du festival « Et la science ? ! » qui se tiendra le samedi 27 septembre 2025 dans les locaux du Conservatoire national des arts et métiers à Paris, coorganisé par EcoHumans et l’Association française pour l’information scientifique (Afis). Inscrivez-vous sur www.etlascience.org
Publié dans le n° 353 de la revue
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