États-Unis : menaces sur la science – Les décrets et décisions prises
Publié en ligne le 12 mars 2025 - Science et décision -
Dès son arrivée à la Maison Blanche, le président Donald Trump a pris de nombreuses décisions sous forme de décrets présidentiels (executive orders). La mise en œuvre a été rapidement organisée dans les différents services de l’administration. Au total, au 6 mars 2025, 82 décrets ont été signés. Certains concernent directement l’action publique sur des enjeux sanitaires ou environnementaux, l’organisation de la production de la science et de son enseignement, voire le contenu même des connaissances scientifiques. Dans un communiqué publié le 9 mars 2025, l’Afis dénonce les « menaces sur la science ».
L’objet du présent article est de fournir une description des principales décisions relatives aux sujets à dimension scientifique afin de permettre au lecteur qui le souhaite de remonter aux sources de l’information et de se faire sa propre opinion 1. Cette description n’est pas exhaustive et est arrêtée au 11 mars 2025. Un site de l’université de Columbia tient à jour une liste de décisions « mettant sous silence la science » en les classant en six catégories distinctes : censure gouvernementale, autocensure, coupes budgétaires, changements de personnel, entrave à la recherche et préjugés et fausses déclarations.
Le climat et l’environnement
Donald Trump a déclaré en 2022 que le changement climatique est un « canular ». Bien que ses déclarations aient souvent évolué d’un discours à l’autre, étant même parfois contradictoires entre elles, force est de constater que l’éclairage scientifique sur la question du climat disparaît complètement des décisions relatives à l’énergie. Le mot même « climat » n’est pas mentionné dans les décrets, sauf pour faire référence au retrait des États-Unis des conventions cadres et accords internationaux.
Purge des sites institutionnels
Des sections entières consacrées au changement climatique et ses conséquences ont été effacées des sites de la Maison Blanche, du Département d’État (ministère des Affaires étrangères), du ministère de l’Agriculture ou encore du ministère des Transports. Dans certains cas, les informations sont archivées par l’administration. Des organismes à but non lucratif essaient, de leur côté, de procéder à un archivage complet.
La mise en œuvre des décrets sur l’énergie signés par Donald Trump se traduit par une large purge de ces sites en fonction de mots-clés. À titre d’illustration, une note du ministère des Transport du 29 janvier 2025 ordonne d’« identifier et éliminer tous les ordres, directives, règles, réglementations, notices, recommandations, accords de financement, programmes et déclarations de politique, ou portions de ceux-ci, qui ont été autorisés, adoptés ou approuvés entre le 20 janvier 2021 à midi et le 20 janvier 2025 à midi, et qui font référence ou se rapportent de quelque manière que ce soit au changement climatique, aux émissions de “gaz à effet de serre”, à l’équité raciale, à l’identité de genre, à la “diversité, équité et inclusion”, aux objectifs de justice environnementale, ou à la “Justice 40 Initiative” 2 ».
Le site www.climate.mil a été supprimé. Il s’agissait d’un portail informatique mis en place par le département de la Défense présenté comme « un point de convergence central et unique pour des informations scientifiquement crédibles, neutres, faisant autorité et exploitables sur le changement climatique » 3.
Des scientifiques licenciés, interdits de participer à des réunions internationales
Selon la revue Science, l’administration américaine a refusé à certains de ses responsables scientifiques l’autorisation de se rendre à une réunion de travail du Giec. Le journal précise que, selon certaines sources, « pour l’instant, le contrat du Global Change Research Program [géré par la Maison Blanche] qui permet aux scientifiques américains de se rendre aux réunions du Giec n’a pas été annulé ». Mais les déplacements, s’ils n’étaient pas interdits, se feraient dans des conditions financières non explicitées. De fait, depuis le début du second mandat de Donald Trump, il semble qu’aucun responsable américain n’ait participé aux différentes réunions du Giec.
Ainsi, Katherine Calvin est une scientifique américaine de la Nasa. Elle a été choisie pour co-diriger l’élaboration du rapport du Groupe 3 du Giec (sur les mesures permettant de limiter le changement climatique et ses conséquences). Le contrat qui devait permettre de financer la petite équipe dédiée à cette tâche a été annulé et K. Calvin n’a pas eu l’autorisation de participer à la réunion visant à définir le programme de travail du Giec pour les prochaines années (voir l’article dans la revue Nature). Depuis, son poste a été supprimé, et K. Calvin ainsi qu’une douzaine de ses collaborateurs ont été licenciés.
Plusieurs centaines de scientifiques travaillant sur le climat ou la météorologie ont été licenciés de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (National Oceanic and Atmospheric Administration – NOAA).
Programmes de recherche sur le climat et subventions
Selon le site d’information Axios, la NOAA a reçu instruction d’identifier tous les programmes comprenant un des termes d’une liste de mots clés liés au climat. Le site précise qu’il « ne sait pas clairement ce que l’administration compte faire des informations recueillies à partir des recherches par mots-clés, ni si le versement des subventions en cours pourrait cesser ».
Selon la revue Nature, Donald Trump a annulé le financement fédéral américain destiné aux projets internationaux de lutte contre le changement climatique (11 milliards de dollars en 2024).
Retrait des accords de Paris et relance active de l’exploitation des ressources fossiles
S’il s’agit là d’un choix d’ordre politique, soulignons cependant que strictement aucune référence n’est faite à la science sur le climat et au constat des scientifiques sur les conséquences de l’utilisation des énergies fossiles.
Un premier décret intitulé « Donner la première place à l’Amérique dans les accords environnementaux internationaux » est signé le soir même de l’investiture. Il décide du retrait des États-Unis des accords de Paris sur le climat, estimant que ceux-ci « ne reflètent pas les valeurs de [son] pays » et « orientent l’argent des contribuables américains vers des pays qui n’ont pas besoin ou ne méritent pas d’aide financière dans l’intérêt du peuple américain ». La décision s’accompagne d’un arrêt immédiat du plan de financement international des États-Unis pour le climat et d’une annulation sous trente jours des « politiques qui ont été mises en œuvre pour faire avancer le plan international de financement du climat ».
Un décret intitulé « Libérer l’énergie nationale » vise à « encourager l’exploration et la production d’énergie sur les terres et les eaux fédérales, y compris sur le plateau continental extérieur ».
Un autre décret, intitulé « Déclarer l’état d’urgence énergétique national » donne des instructions aux agences fédérales afin qu’elles mettent en œuvre tous les moyens disponibles pour accélérer l’identification, la production, le transport et le raffinage des ressources énergétiques nationales.
Concernant l’Alaska, un décret intitulé « Libérer le potentiel extraordinaire des ressources de l’Alaska » décide d’« annuler, révoquer, réviser, modifier, différer ou accorder des exemptions à l’égard de tous les règlements, ordonnances, documents d’orientation, politiques et autres mesures similaires », de donner « la priorité au développement du potentiel de gaz naturel liquéfié » et de faciliter l’exploration et l’exploitation du pétrole.
Un nouveau National Energy Dominance Council en appui au gouvernement est mis en place afin de « réduire les formalités administratives gouvernementales et moderniser [les] procédures d’autorisation afin de stimuler la production nationale d’énergies essentielles comme le pétrole, le gaz, l’hydrogène, le captage du carbone et le nucléaire, et de réduire notre dépendance aux sources d’énergie étrangères ».
Une définition officielle du sexe biologique
Un décret intitulé « défendre les femmes contre l’extrémisme des idéologies de genre et restaurer la vérité biologique au gouvernement fédéral » a été signé le 20 janvier 2025. Il décrit une longue liste de décisions relatives aux questions de sexe, de genre et d’identité de genre.
Un certain nombre d’entre elles relèvent de choix politiques : pas de mention de genre dans les documents d’identité, espaces intimes (prisons, refuges pour femmes, douches sur les lieux de travail) uniquement en fonction du sexe biologique, remises en cause des « politiques d’inclusion » de l’administration précédente, etc.
D’autres mesures dans ce décret visent à imposer une « vérité » qui serait « essentielle », non seulement « à la politique fédérale […], à la sécurité publique, au moral et à la confiance dans le gouvernement lui-même », mais également à la recherche scientifique. Ainsi, cette « vérité » porterait sur les termes « sexe » et « genre ». Il est écrit que « le terme “sexe” désigne la classification biologique immuable d’un individu, soit comme homme, soit comme femme » et que l’« affirmation selon laquelle les hommes peuvent s’identifier comme femmes » est « fausse ».
Aujourd’hui, les connaissances scientifiques identifient bien deux sexes si l’on s’intéresse au « sexe-rôle reproductif », c’est-à-dire aux gamètes portés par les individus. Mais la biologie est bien plus complexe si l’on considère les mécanismes génétiques et hormonaux de détermination du sexe. Ces dimensions scientifiques ne peuvent pas être tranchées par un décret gouvernemental et les chercheurs doivent pouvoir librement les explorer. Le fait que des hommes ou des femmes peuvent s’identifier au sexe opposé est une réalité qui ne peut être effacée, et les chercheurs doivent pouvoir explorer librement ce sujet.
Purges de sites d’agences sanitaires et d’instituts de recherche médicale
De nombreuses pages d’agences sanitaires, dont les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et la Food and Drug Administration (FDA) ont été supprimées sur la base de mots clés indésirables en application du décret « défendre les femmes contre l’extrémisme des idéologies de genre et restaurer la vérité biologique au gouvernement fédéral ». Certaines de ces pages contenaient des informations importantes sur les vaccins ou les maladies infectieuses. Un juge fédéral saisi par une association de médecin a ordonné le rétablissement d’une partie de ces pages.
Gel des projets de recherche scientifique en fonction de mots-clés
La National Science Foundation, chargée de gérer d’importants budgets publics pour des programmes de recherche, mais également d’autres agences comme les Centers for Disease Control and Prevention (CDC, agence de santé publique), ont dû revisiter l’ensemble de leurs programmes à l’aune d’une liste de mots clés. Les évaluations des demandes de subventions de recherche, les déplacements et les formations des scientifiques des National Institutes of Health (NIH, équivalent de l’Inserm) ont été suspendus.
Une vague anti-science d’ampleur
D’une manière générale, toutes ces mesures témoignent d’une volonté d’écarter de la décision politique tout éclairage scientifique.
La nomination de Robert F. Kennedy Jr, en charge du ministère de la Santé, est révélateur de cette situation. R.F Kennedy est en effet un farouche militant contre la vaccination qu’il accuse d’être responsable de nombreux décès et maladies, il relaie de nombreuses théories complotistes (les vaccins contre la covid-19 injecteraient des puces électroniques, la maladie de Lyme était une arme biologique fabriquée par des militaires, etc.). R.F Kennedy a en particulier repris la thèse d’un lien entre vaccination et autisme, thèse invalidée depuis longtemps et issue d’une fraude scientifique en 1998. Selon l’agence Reuters, alors que son pays est confronté à une importante vague d’épidémie de rougeole alimentée par la baisse des taux de vaccination, tout en concédant la nécessité de vacciner, il a mandaté les CDC pour mener une vaste étude sur les liens potentiels entre les vaccins et l’autisme, au risque de relancer les peurs autour de la vaccination.
Les conséquences de cette vague anti-science vont largement au-delà des États-Unis et fragilisent l’ensemble des collaborations scientifiques internationales et la place de la science dans nos sociétés.
1 Toutes les traductions depuis l’anglais sont de notre responsabilité
2 Décret exécutif 14008 du 27 janvier 2021 signé sous l’administration Biden qui prévoit que 40 % des bénéfices globaux de certains investissements fédéraux dans le domaine du climat, de l’énergie, du logement, etc., soient destinés à diverses communautés défavorisées.
3 On retrouve des versions antérieures du portail sur le site d’archivage wayback machine (web.archive.org).
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