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Des impacts cachés de la production électrique ?

Publié en ligne le 19 mai 2022 - Énergie -

Aujourd’hui, la plus grande part de l’énergie consommée en France et dans le monde est d’origine fossile (charbon, pétrole, gaz méthane). L’utilisation de cette énergie conduit à des émissions de dioxyde de carbone (CO2), qui est le principal responsable de l’augmentation de l’effet de serre et donc du changement climatique. C’est pourquoi les scénarios prospectifs qui visent à une stabilisation du climat proposent une forte diminution de l’usage de ces sources d’énergie en parallèle à un développement des énergies renouvelables et de l’électricité d’origine nucléaire. La France est un cas particulier du fait de la forte proportion du nucléaire dans la production d’électricité qui lui permet d’avoir des émissions de CO2 plus faibles que d’autres pays comparables qui n’ont pas recours à cette technologie. Pourtant, les détracteurs du nucléaire mettent parfois en avant des impacts climatiques cachés. Nous analysons ci-dessous deux de ces critiques.

Les Sorcières de Macbeth (détail), Alexandre-Gabriel Decamps (1803-1860)

La vapeur d’eau émise

La vapeur d’eau est le gaz qui contribue le plus à l’effet de serre sur Terre. Or la production électrique à partir de centrales thermiques, qu’elles utilisent de la biomasse, un combustible fossile ou du nucléaire, conduit au relâchement de ce gaz dans l’atmosphère via les emblématiques tours de refroidissement. Il est donc naturel de s’interroger sur l’impact climatique de cette évaporation. C’est d’ailleurs un argument parfois utilisé [1, 2] pour affirmer que les centrales nucléaires sont loin d’être neutres pour le climat puisqu’elles contribuent à rejeter des quantités importantes de vapeur d’eau dans l’atmosphère.

Contrairement au CO2, premier responsable de l’augmentation de l’effet de serre depuis l’époque préindustrielle, la vapeur d’eau peut condenser dans l’atmosphère. Ainsi, tout excès de vapeur d’eau est rapidement éliminé par précipitation. La période typique du cycle de l’eau (évaporation-condensation-précipitation) est de l’ordre de dix jours. C’est pourquoi l’évaporation additionnelle en lien avec les centrales thermiques n’a pas d’impact significatif sur le contenu en vapeur d’eau dans l’atmosphère, et donc sur son effet de serre [3].

La chaleur perdue

Une autre idée reçue concerne la chaleur perdue lors de la production d’électricité dans une centrale nucléaire [4]. Cette chaleur perdue contribuerait au réchauffement climatique et il conviendrait d’en tenir compte dans l’évaluation de l’énergie nucléaire. En réalité, l’argument s’applique à toute la production électrique thermique (nucléaire, charbon, gaz). En effet, comme toute machine qui transforme de la chaleur en travail (on parle alors de machine de Carnot), son principe de fonctionnement implique un rendement assez faible, de l’ordre de 30 % pour une centrale nucléaire, et donc la perte d’une part importante de l’énergie qui n’est pas convertie en électricité. Cette perte conduit à réchauffer les océans (pour les centrales en bord de mer), l’atmosphère (pour les centrales avec tours aéroréfrigérantes) ou les rivières (pour les autres). Cependant, cette énergie perdue, que l’on peut estimer à 800 TWh par an pour une production d’électricité nucléaire française de l’ordre de 400 TWh, reste négligeable par rapport à l’énergie qui nous vient directement du Soleil (avec un facteur proche de mille sur le territoire métropolitain). La chaleur directement générée par les activités humaines peut avoir un impact détectable sur la température dans les zones très urbanisées, mais n’a pas d’impact climatique significatif.

Pour évaluer un ordre de grandeur, nous proposons de calculer la chaleur utile (pour le chauffage ou la production d’électricité) apportée par l’utilisation d’un combustible fossile, et de la comparer à la chaleur induite du fait de l’effet de serre additionnel engendré par les émissions de CO2 associées. Un calcul (voir encadré en fin d’article) montre que les rapports entre énergie induite et énergie utile, lorsqu’on utilise du gaz pour le chauffage, sont de 1,4 la première année, 11 sur dix ans et 74 sur cent ans. Cette énergie induite est perdue dans l’environnement et inutilisable en pratique. Si le gaz est utilisé pour produire de l’électricité, le rendement de conversion (chaleur vers électricité) rend ces chiffres encore plus défavorables. Il en est de même si le combustible fossile utilisé est du pétrole plutôt que du gaz. L’impact de l’effet de serre additionnel est donc largement dominant devant la chaleur directement introduite dans l’atmosphère.

Détail du calcul


Prenons l’exemple du gaz méthane (CH4, aussi appelé « gaz naturel ») utilisé pour chauffer un logement. La combustion d’une mole de ce gaz (16 grammes) apporte 875 kJ (kilojoules) potentiellement utiles, par exemple pour chauffer un logement. Mais cette combustion conduit à mettre une mole de CO2 dans l’atmosphère, soit 44 grammes. Ce CO2 se disperse et contribue à une augmentation de l’effet de serre. Les modèles informatiques simulant le fonctionnement et l’évolution du climat permettent d’estimer cette augmentation. Dans le 5e rapport du Giec [1], on trouve une estimation du « forçage radiatif » (augmentation du flux d’énergie qui chauffe la Terre) associé à une perturbation de la concentration de CO2. Pendant la première année après l’émission, l’augmentation de l’effet de serre est de 1.69 10-15 watt par mètre carré et par kilogramme (W m2 kg1).

En sommant sur l’ensemble de la surface de la Terre et sur l’année, cette estimation donne donc un chauffage additionnel par effet de serre de 1 200 kJ, donc un peu plus (1,4 fois) que l’énergie « utile ». Pendant les années suivantes, une partie de ce CO2 additionnel va être absorbé, en particulier par les océans, ce qui va réduire sa contribution à l’effet de serre. Mais une partie va rester. En moyenne sur dix ans, l’effet de serre additionnel est réduit à 1.39 10-15 W m-2 kg-1 ; sur cent ans, c’est 0.917 10-15. On peut convertir de même en énergie, ce qui donne 9 800 kJ et 65 000 kJ sur les deux périodes considérées. On a donc des facteurs 11 et 74 par rapport à l’énergie utile.

Référence
1 | 5e rapport du Giec, figure 8.29.

Références


1 | Nouveau parti anticapitaliste, « L’énergie nucléaire réchauffe la planète », enquête, 2 juin 2021. Sur npa45.org
2 | Coordination antinucléaire du Sud-Est, « L’énergie nucléaire réchauffe la planète, le climat et la France », enquête, 21 mai 2021. Sur coordination-antinucléaire-sudest.net
3 | Giec, « FAQ 8.1 Quelle importance la vapeur d’eau a-t-elle pour le changement climatique ? », in Changements climatiques 2013. Les éléments scientifiques, Résumé, 2013, 153-4. Sur ipcc.ch
4 | Vallet F, « L’énergie nucléaire réchauffe la planète et le climat », billet de blog, 9 novembre 2021. Sur blogs.mediapart.fr

Publié dans le n° 339 de la revue


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L' auteur

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien-climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de (...)

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