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Dieu, l’hypothèse erronée

Publié en ligne le 10 juin 2011
Dieu, l’hypothèse erronée
Comment la science prouve que Dieu n’existe pas

Victor Stenger
Editions H&O, 2009, 350 pages, 19 €

Victor Stenger 1 est professeur émérite de physique et d’astronomie à l’université d’Hawaï et professeur auxiliaire de philosophie à l’université du Colorado ; il est aussi associé aux activités de la plus grande organisation sceptique internationale, le Center For Inquiry 2 fondé et présidé par Paul Kurtz. Il s’est fait une spécialité depuis un peu plus d’une vingtaine d’années de récuser les tentatives concordistes ou créationnistes 3. Dieu l’hypothèse erronée : comment la science prouve que Dieu n’existe pas est le cinquième de ses livres touchant à cette thématique. Publié en 2007 en langue anglaise, l’ouvrage nous est aujourd’hui proposé en français. Accélérant son rythme de publication, Victor Stenger a, depuis, déjà publié the New Atheism (2009) alors que The Fallacy of Fine-Tuning : How the Universe Is Not Designed for Humanity 4 est attendu.

L’incompatibilité entre science et religion

Comme le rappelle Christopher Hitchens dans sa préface, autrefois était le temps des conciliations : la conciliation agnostique, d’abord, affirmant que la question de l’existence d’un agent surnaturel était en dehors de la science et qu’il n’y avait pas donc à se prononcer ; la conciliation popularisée par le principe de NOMA 5 de Stephen Jay Gould, ensuite, attribuant des domaines de compétence tant à la science qu’à la religion, mais distincts. Comme nous l’évoquions dans notre analyse de l’illusion de Dieu 6, pour des scientifiques tels que Richard Dawkins, Jean Bricmont ou Alan Sokal, « l’hypothèse Dieu » est une hypothèse scientifique sur l’univers qu’ils examinent sans complaisance, comme tout discours scientifique, et qu’ils récusent. Victor Stenger, à ce stade, s’inscrit dans cette même perspective.

La science prouve que Dieu n’existe pas

Encore un titre choisi pour faire vendre, vous direz-vous peut-être, comme je me le suis dit moi-même… Eh bien non ! Victor Stenger le revendique dans l’avant-propos à la seconde édition : « j’ai choisi ce sous-titre et je pense, sans la moindre équivoque, que l’on peut prouver scientifiquement au-delà de tout doute raisonnable que le Dieu que la plupart des gens vénèrent n’existe pas » (p.19). Cette simple phrase permet du même coup de comprendre ce que ce livre est et ce que ce livre n’est pas.

Le Dieu que la plupart des gens vénèrent

Victor Stenger tient à la majuscule au mot « Dieu », et, quand il parle de « la plupart des gens », c’est qu’il n’envisage que le dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans, dieu présumé aux caractéristiques à peu près identiques et donc désigné comme « Dieu ». Il ne s’intéresse pas aux croyances en d’autres agents surnaturels (dieux, esprits, etc.) en vigueur dans d’autres régions du monde ou s’y superposant.

Au-delà de tout doute raisonnable

Cette expression permet de lever un malentendu qui pourrait venir du titre. Victor Stenger ne réalise pas une démonstration de type logique/mathématique. Victor Stenger s’attribue en réalité la place du ministère public dans un procès qui, appelant à la barre les experts de différentes spécialités scientifiques, entend démonter une à une les prétentions de l’accusé (les fameuses « preuves » ou présomptions de preuves en faveur de l’existence de Dieu) afin de conquérir l’intime conviction du jury et de conclure « au-delà de tout doute raisonnable » à la mort de Dieu… On conviendra qu’on est quand même loin, stricto sensu, de l’ambition affichée de « prouver que Dieu n’existe pas » 7.

La « démonstration »

Après préface, avant-propos et introduction, nous abordons les modèles et méthodes (chap.1) où Stenger définit les contours du Dieu qu’il entend récuser. La première illusion démontée par Stenger est celle du dessein (chap.2), réfutation que l’auteur conclut en empruntant les mots de Richard Dawkins : « l’univers observable a exactement les propriétés auxquelles on s’attendrait s’il n’y avait au fond pas de dessein, pas d’intention, pas de mal, pas de bien, rien, si ce n’est une indifférence sans pitié » 8 (p.105). Puis viennent successivement à la rescousse, l’examen du dualisme esprit-matière, les preuves cosmiques évoquées en accroche 9, et de nombreux aspects dont on me permettra de douter que pour certains, il soit pertinent de considérer la critique comme réellement « scientifique » 10 au-delà du fait qu’il s’agit bel et bien d’un discours tenu par un scientifique (et philosophe) professionnel.

La conclusion de Victor Stenger

L’objectif annoncé est-il atteint ? Stenger répond lui-même : « on ne peut écarter complètement la possibilité d’un Dieu qui se réserve à une très petite élite. Tout ce que je peux dire, c’est qu’on n’a pas l’ombre d’une preuve de son existence ». Curieusement d’ailleurs, changeant complètement de registre, la phrase continue en disant « Mais, s’il existe vraiment, personnellement, je ne veux rien savoir de lui. Ce dieu est possible, mais il est ignoble » (p.300) et assure la transition sur un dernier chapitre (chap.10) consacré à l’aspiration de l’auteur à « vivre dans un monde sans Dieu ». On a définitivement quitté le champ de la prétention scientifique.

Et pour nous, en guise de conclusion

Finalement ma plus grande surprise avec ce livre c’est de découvrir en quatrième de couverture que Richard Dawkins en a écrit : « J’ai appris énormément de choses de ce livre splendide »… J’incline à penser, comme je l’avais déjà pensé à la lecture de sa préface de la théorie des mèmes par Susan Blackmore[[La théorie des mèmes : Pourquoi nous nous imitons les uns les autres, Susan Blackmore, préface de Richard Dawkins, Editions Max Milo (2005)]], que Richard Dawkins est tellement anglais jusqu’au bout des ongles que sa politesse lui interdit d’émettre des réserves à propos de quelqu’un qui dit du bien de lui… Mais le tough french guy que je suis ne craint pas d’être impolite or rude et s’interrogera sur la réelle valeur ajoutée de cette énième publication se revendiquant d’un « nouvel athéisme »… Je conseillerai à nos lecteurs intéressés par cette problématique de lire d’abord et avant tout, s’ils ne l’ont déjà lu, Et l’homme créa les dieux de Pascal Boyer (2001), référence encore inégalée pour éclairer ce sujet 11. Je n’irai néanmoins pas jusqu’à déconseiller cet ouvrage de Victor Stenger, d’une lecture aisée et utilement complétée d’une bibliographie importante : il trouvera tout naturellement son lectorat, comme il a su le trouver aux Etats-Unis où il est présenté comme un des best seller du nouvel athéisme.

1 http://www.colorado.edu/philosophy/vstenger/VWeb/Home.html (disponible sur archive.org—3 mai 2020)

2 http://www.centerforinquiry.net/ publiant notamment le Skeptikal Inquirer.

3 Concordisme : Système d’exégèse visant à établir une concordance entre les textes bibliques ou coraniques et les données scientifiques. Source : http://www.cnrtl.fr/definition/conc...
Créationnisme : Doctrine qui admet que l’univers (et, en particulier, les êtres vivants) a été créé ex nihilo par Dieu. http://www.cnrtl.fr/definition/cré...

4 Le sophisme du réglage fin : comment l’Univers n’a pas été conçu pour l’humanité.

5 Les initiales de Non Overlapping MAgisteria, « non empiètement des magistères »

7 Et ce n’est pas une question de traduction car le sous-titre anglais est How Science shows that God does not exist. A celles et ceux qui se demanderaient comment on pourrait, de toute façon, prouver une inexistence, Stenger entend répondre que c’est pour cela qu’il définit très précisément l’objet dont il entend démontrer l’inexistence. Ce n’est pas un dieu en général, c’est le Dieu des religions du Livre avec tous ses attributs. Sans l’exprimer explicitement Stenger utilise le principe du raisonnement par l’absurde : « Supposons que ce dieu là existe ; alors il doit se passer ceci et cela ; or ceci et cela ne se passe pas ; donc ce dieu là n’existe pas ». Mais cela ne dit rien sur un autre…

8 Chap.4 de River Out of Eden : A Darwinian View of Life, New York, HarperCollins 1995 ; repris comme article “God’s Utility Function” dans Scientific American, Nov. 1995, p. 85 http://www.phy.syr.edu/courses/modules/ORIGINS/utility.htm (disponible sur archive.org—3 mai 2020)

9 Reprenant la thèse de son livre The Comprehensible Cosmos. Where do the laws of physics come from ? dont on pourra lire une recension sur le site d’Automates intelligents (2006) http://www.admiroutes.asso.fr/larev...

10 Ainsi, par exemple et non exclusivement, les interrogations sur « les échecs de la révélation » (chap.6), « les valeurs du morales viennent-elles de Dieu » (chap.7), « l’argument de l’existence du mal » (chap.8).

11 Des ouvrages d’une lecture plus ardue peuvent les compléter utilement, comme les ouvrages de Daniel Clément Dennett ou de Scott Atran.