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Est-il acceptable de publier des recherches non éthiques ?

Publié en ligne le 3 avril 2022 - Intégrité scientifique -

Pour les responsables de revues et les éditeurs scientifiques, la publication de recherches faites dans certains pays comme la Chine engendrent des débats complexes car certaines procédures ne respectent pas les règles éthiques encadrant la recherche. En médecine, cela peut concerner la transplantation d’organes prélevés sur des prisonniers condamnés à mort, des données sur le contrôle des naissances et les avortements, des bases de données sur le génome constituées sans que les participants aient été informés des finalités.

L’Opération, Gaspare Traversi (1722-1770)

La question des transplantations d’organes en Chine se pose indépendamment de la problématique des publications par des revues scientifiques. Il existe un tourisme médical permettant à des étrangers de venir en Chine pour obtenir une greffe d’organe. En 2006, un article du journal Le Monde citait des chiffres de 62 000 dollars pour le rein, 100 000 pour le foie et 30 000 pour la cornée [1]. Bien que les autorités chinoises disent avoir limité ces pratiques, le nombre de greffes dites clandestines serait de 90 000 par an d’après un rapport canadien de 2016 [2]. C’est le 1er janvier 2015 que le gouvernement chinois a annoncé bannir le prélèvement d’organes sur des prisonniers [3] sans pour autant éteindre la controverse.

Le 30 juin 2021, le quotidien anglais The Guardian est revenu sur la démission du Pr D. Curtis de son poste de rédacteur en chef de la revue Annals of Human Genetics [4]. Membre de l’Institut de génétique de l’University College of London, il n’avait pas accepté que l’éditeur Wiley, propriétaire de la revue, s’oppose à la publication d’une lettre questionnant la science en Chine et proposant un boycott des manuscrits des chercheurs chinois [5]. Cette lettre a également été refusée par des revues prestigieuses (The Lancet, le BMJ, et le JAMA).

Ces pratiques sont contestables sur le plan éthique. Mais qu’en est-il de la qualité des recherches produites ? Les résultats des études faites peuvent parfois contribuer aux progrès de la science. Que faire alors lorsqu’un manuscrit portant sur une recherche non éthique est soumis à une revue scientifique ?

Au sein des comités de rédaction des revues qui reçoivent ces manuscrits en provenance de Chine, les opinions divergent. Les bases de l’éthique et de l’intégrité de la recherche semblent ne pas être prises en compte par les chercheurs chinois car il n’y a souvent pas de mention de comités de protection des personnes (CPP) dans les manuscrits. S’il y en a une, comment évaluer sa portée quand le texte produit est en langue chinoise ? Est-ce que ces CPP locaux travaillent en accord avec des normes internationales, comme par exemple la déclaration d’Helsinki ? Comment vérifier la réalité des consentements des malades chinois inclus dans des essais cliniques ?

Quelle décision doit prendre un responsable de revue scientifique quand les avis des relecteurs sur un manuscrit sont favorables à la publication mais attirent l’attention sur l’éthique de la recherche ? Plusieurs stratégies peuvent être envisagées :

  1. refuser de publier (mais se pose alors la question des motifs à mettre en avant) ;
  2. publier sans prise en compte des réserves éthiques ;
  3. publier en accompagnant de commentaires ou d’éditoriaux attirant l’attention sur de possibles non-respects des principes internationaux d’éthique.

Les raisons qui poussent à publier malgré les réserves éthiques sont diverses : ne pas se mettre à dos la communauté scientifique chinoise, ne pas mettre en situation délicate les membres chinois des rédactions, bénéficier de l’impact éditorial d’articles qui vont être cités et vont contribuer à augmenter la notoriété de la revue. En outre, il peut y avoir une grande incertitude sur la réalité du respect ou non-respect des règles éthiques.

Les revues peuvent par ailleurs décider de rétracter un article publié pour prendre en compte des informations nouvelles ou la réaction des lecteurs. Ainsi, en 2017, un article relatant une étude portant sur 564 transplantations de foie a été rétracté de la revue Liver International (qui appartient au groupe Wiley) [6]. Cet article affirmait qu’aucun organe ne provenait de prisonniers exécutés mais les auteurs, après publication, n’ont pas répondu aux demandes de lecteurs et des rédacteurs de la revue sur la provenance des organes. Cet article n’est plus disponible en ligne mais il reste bien entendu présent dans la revue en format papier, ce qui n’est pas sans poser de problèmes.

Il n’y aura jamais de position commune des revues sur ces questions qui mélangent recherche, éthique et surtout politique. Cette problématique de la publication de recherche s’appuyant sur des processus non éthiques n’est pas limitée à la médecine et ne concerne pas que la Chine. Les chercheurs chinois ne sont bien entendu pas en cause. Ils sont comme les chercheurs de tous les autres pays : ils souhaitent pouvoir contribuer à l’avancement des sciences et sont, pour la plupart, honnêtes.

Références


1 | Philip B, « Au cœur du trafic d’organes en Chine », Le Monde, 24 avril 2006. Sur lemonde.fr
2 | International Coalition to End Transplant Abuse in China, “Bloody harvest / The Slaughter”, 2017. Sur endtransplantabuse.org
3 | Xiang YT et al., “China to halt using executed prisoners’ organs for transplants : a step in the right direction in medical ethics”, Journal of Medical Ethics, 2016, 42 :10.
4 | Weaver M, “Science journal editor says he quit over China boycott article”, The Guardian, 30 juin 2021. Sur theguardian.com
5 | Schulze TG et al., “China – is it time to consider a boycott ?”. Sur theguardian.com
6 | Retraction : Yu ZY et al., ”Safety limitations of fatty liver transplantation can be extended to 40 % : Experience of a single center in China”, Liver International, 2017, 37 :767.

Publié dans le n° 338 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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