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Un dangereux « contrôle citoyen » sur la recherche publique

Publié en ligne le 3 décembre 2020 - Intégrité scientifique -
Texte adopté par le conseil d’administration de l’Afis – 2 décembre 2020

Le 5 juin 1999, les cultures expérimentales de riz transgénique d’une serre du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), près de Montpellier, sont saccagées. En juin 2000, ce sont divers essais sur des plantes transgéniques (tomates, bananes, tabac...) dans une serre d’un Centre de recherche de l’Inra (Institut national de recherche agronomique, aujourd’hui Inrae, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) près de Toulouse qui sont à leur tour dévastées. Le 15 août 2010, 70 pieds de vigne au porte-greffe transgénique sont arrachés sur une parcelle à Colmar où l’Inra menait une expérimentation en plein air pour tester la résistance de porte-greffes génétiquement modifiés à une maladie virale de la vigne, le court-noué. Le 23 mai 2011, le centre Inra d’Angers est investi par des militants entendant procéder à une « inspection citoyenne » afin de vérifier le contenu des recherches menées. Pour une liste détaillée de ce type d’actions en France et en Europe, voir [1]. Dans les trois exemples cités, ce sont des travaux d’organismes de recherche publique qui sont visés.

En septembre 2003, à l’issue d’un été ayant vu la destruction de 27 essais au champ destinés à évaluer de nouvelles variétés végétales, huit professeurs et directeurs de recherche, aussitôt rejoints par plus de 2 200 scientifiques (chercheurs, universitaires, ingénieurs, médecins, doctorants) interpellent l’opinion publique : « Ne laissons pas saccager les travaux des chercheurs français ! » [2]

En 2014, dans un appel commun, douze responsables d’organismes de recherche et d’universités (CNRS, Inra, Inserm, IRD, etc.) regrettent la relaxe des « faucheurs volontaires » de Colmar et dénoncent les saccages des plans OGM en ces termes : « Leur destruction par des individus ne respectant pas les règles démocratiques empêche concrètement les chercheurs d’exercer leur mission au service de l’intérêt général. Faut-il que sous la menace, ils renoncent collectivement à conduire désormais des expérimentations sur des sujets sociétaux à forts enjeux parce qu’ils font l’objet de controverses ? » [3]

Les militants à l’œuvre justifiaient leurs actions non seulement par leur opposition aux biotechnologies en général, mais également par « une dérive de la recherche publique qui contracte avec les entreprises agroalimentaires et agrochimiques » [4].

Après cette censure prétendue « citoyenne » du contenu de la recherche publique, se pourrait-il que l’on assiste maintenant à une volonté de certains mouvements de réguler les prises de parole des institutions scientifiques ?

On peut le craindre en lisant une lettre de scientifiques membres des « ateliers d’écologie politique » de Toulouse, Montpellier, Paris–Île-de-France et Rennes, adressée au président-directeur général de l’Inrae [5]. Dans ce texte, ils demandent que soit annulée la participation de l’institut à un colloque organisé par la Fondation de la Maison de la chimie intitulé « Chimie et agriculture durable : un partenariat en constante évolution ». Les auteurs de la lettre mettent en avant leur désaccord avec le programme du colloque et avec le choix des intervenants en affirmant refuser « que la recherche publique cautionne de grands groupes chimiques ».

L’Inrae est un organisme public de recherche qui développe « des partenariats avec l’ensemble des acteurs publics et privés nationaux et internationaux » et « [nourrit] un dialogue avec les citoyens et parties prenantes » [6]. Il est tout à fait normal qu’il réponde positivement aux sollicitations qui lui sont faites de venir exposer ses orientations. Il ne saurait y avoir de « bonnes » et de « mauvaises » parties prenantes, celles qui seraient adoubées par des représentants de courants idéologiques et qui auraient l’autorisation d’être rencontrées, et les autres qui seraient déclarées infréquentables. La totale liberté des institutions scientifiques à répondre aux sollicitations et à rencontrer l’ensemble des acteurs de la société pour présenter leurs axes de recherche et leurs activités est partie prenante de la liberté plus générale de la recherche académique.

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La Fondation de la Maison de la chimie est une association de droit privé reconnue d’intérêt public. Ses missions consistent à « développer les relations entre savants, techniciens et industriels » afin de « contribuer à l’avancement de la science chimique dans toute l’étendue de son domaine et de ses applications ». Elle est en particulier propriétaire d’un immeuble dans le VIIe arrondissement de Paris qui accueille de nombreuses « manifestations scientifiques, techniques, professionnelles, culturelles, politiques ou d’entreprise, au-delà des colloques ou réunions qu’elle organise elle-même ». Elle est partenaire de sociétés savantes, d’entreprises ou d’association de promotion de la culture scientifique (voir le site de la Fondation [7]).

Le colloque « Chimie et agriculture durable : un partenariat en constante évolution », initialement prévu pour novembre 2020 mais reporté au 10 novembre 2021 en raison de la crise sanitaire, fera intervenir un panel d’experts : des membres de l’Académie d’agriculture, de professeurs d’université, un ancien président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et des représentants d’entreprises industrielles.

L’intervention prévue par l’Inrae est celle de son directeur scientifique Environnement, sur le thème « Recherche agronomique et transition agroécologique ».