Les illusionnistes
Publié en ligne le 29 décembre 2024
C’est une enquête journalistique fouillée que nous proposent les deux journalistes du Point. La thèse est la suivante : l’écologie politique 1, sous l’apparence sympathique de la défense de la planète et de la santé de ses habitants, relève en réalité d’un projet politique fondé sur la décroissance et dans lequel l’écologie, la santé ou le climat, ne sont pas nécessairement des priorités. À cette fin, la science est instrumentalisée et déformée. Les exemples donnés sont nombreux. Citons l’opposition au nucléaire, fondatrice de la plupart des mouvements, particulièrement en France, à propos de laquelle les auteurs nous invitent à « découvrir comment, en œuvrant pendant des décennies pour imposer l’agenda décroissant qui permettrait de se passer de nucléaire, la mouvance écologiste a non seulement considérablement retardé la lutte contre le réchauffement climatique... mais a aggravé ce dernier, en faisant la promotion active de sources d’électricité beaucoup plus polluantes. » Citons également le principe de l’opposition aux OGM, intangible même si cela prive des centaines de milliers d’enfants dans le monde atteints de cécité due à une carence en vitamine A, de l’accès à un riz génétiquement modifié pouvant contribuer à supplémenter cette carence. Autre exemple développé dans l’ouvrage : alors que la lutte contre l’utilisation excessive de produits phytosanitaires fait consensus à travers toute l’Europe et que les législations se sont considérablement durcies depuis trente ans pour interdire ou limiter l’usage des pesticides les plus nocifs, les auteurs notent que « le jusqu’au-boutisme porté par l’écologie politique (qui milite pour l’interdiction pure et simple de tous les pesticides de synthèse) a conduit, lorsqu’il a été appliqué, à des situations inextricables, dont le bilan s’est souvent révélé... pire pour l’environnement ». En effet, l’absence d’alternatives oblige à sur-traiter avec des produits moins efficaces et parfois plus nocifs, ou à importer des cultures pour lesquelles les mêmes normes ne sont pas respectées.
Pour les auteurs, les conséquences de ces positionnements sont réelles, car les promoteurs de cette idéologie ont su investir de nombreux cercles décisionnaires.
Dans une première partie, les racines historiques de l’écologie politique sont analysées, avec ses composantes religieuses, sa conception quasi-divine de l’harmonie de la nature, sa vision malthusienne du monde et… son lien « extrêmement ténu avec la science écologique ». Ensuite, les principaux thèmes de l’écologie politique sont passés en revue à l’aune des connaissances scientifiques : énergie, climat, agriculture, biodiversité, etc. Enfin, les méthodes d’action sont décryptées : activisme, rapport ambigu à la violence, maîtrise des relations avec la presse, etc. Sont également développées les stratégies mises en œuvre pour cultiver des peurs infondées et récolter les bénéfices de l’application inadaptée d’un principe de précaution constitutionnalisé : « traces de produits chimiques » sans que la dose et le risque ne soient évoqués, peur des ondes invisibles de la téléphonie mobile et du wifi, etc. Les auteurs soulignent que ces stratégies médiatiques conduisent à des perceptions erronées des véritables enjeux de santé publique : « De façon sidérante, 63 % des Français pensent que les pesticides représentent un risque élevé ou très élevé pour leur santé, au même niveau que le tabac, et loin devant l’alcool (56 %), fléau pourtant avéré, ou les accidents domestiques (38 %) qui causent plus de 20 000 morts par an ». Les 37 chapitres de l’ouvrage sont complétés par le portrait de quelques acteurs emblématiques du combat de l’écologie politique. Les nombreux liens d’intérêts de certaines associations avec différents secteurs industriels sont décrits et documentés. Ces associations gèrent parfois des budgets colossaux.
La rupture avec la science est largement consommée au début des années 1980. Les auteurs décrivent comment certaines figures de proue du mouvement écologique s’en éloignent pour cette raison, parfois avec fracas.
La démonstration est-elle à la hauteur de ces graves accusations ? Incontestablement, le livre est argumenté. Le travail est le fruit d’années d’enquêtes. Il s’appuie sur des sources scientifiques et rend également compte de nombreux entretiens qu’ont pu avoir les auteurs avec les différents protagonistes (anciens ministres, responsables écologistes ou scientifiques). L’illusionnisme, c’est l’art du spectacle qui consiste à créer une illusion par des trucages. Pour G Woessner et E Seznec, incontestablement, il y a du spectacle et du trucage dans l’écologie politique d’aujourd’hui. On pourrait même ajouter qu’il y a de la magie quand on voit l’engouement de certains pour des thèses ésotériques (biodynamie, médecines alternatives, new age…).
En refermant ce livre, le lecteur pourra se sentir profondément troublé. S’il découvre pour la première fois les faits rapportés, le doute pourra s’installer, tant ce qui est révélé semble incarner une véritable imposture politique qui irrigue la plupart des médias. S’il est plus familier des sujets traités, la mise en perspective de l’ensemble le fera réfléchir aux possibles conséquences de l’écologie politique, telle qu’elle est décrite dans l’ouvrage, au regard des enjeux sanitaires et environnementaux auxquels notre société est confrontée.
Le réquisitoire est radical, mais le propos est étayé. Ainsi, qu’il adhère ou non à l’ensemble de la thèse, le lecteur apprendra énormément de choses et pourra remonter aux sources des affirmations. G. Woessner et E Seznec sont convaincus de la réalité des menaces que fait peser sur nos sociétés le réchauffement climatique et sont inquiets du devenir des écosystèmes. Ils souhaitent ainsi promouvoir des solutions fondées sur l’éclairage scientifique qui permettent à la fois de préserver l’environnement et de répondre aux enjeux sanitaires, alimentaires et énergétiques d’une population de bientôt dix milliards d’habitants.
1 Par « écologie politique », les auteurs englobent, en France, un
parti politique comme Europe-Écologie Les verts (maintenant Les
Écologistes), mais aussi une constellation d’associations comme
Greenpeace, Générations futures, Sortir du nucléaire, Les faucheurs
volontaires d’OGM, etc.
Publié dans le n° 351 de la revue
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