L’intégration des citoyens dans le fonctionnement des revues scientifiques
Publié en ligne le 10 juin 2025 - Intégrité scientifique -
De nombreuses initiatives visent à rapprocher le citoyen du système de la recherche scientifique. Les sciences participatives permettent à des acteurs nonscientifiques de s’impliquer dans des projets de recherche. Ainsi, par exemple, le Museum national d’histoire naturelle propose à ceux qui le souhaitent de nombreux programmes de collecte de données, de recensement, de prises de photos afin d’aider à rassembler des données fiables en grande quantité, ce qui « relève parfois de l’impossible pour les chercheurs » sans aide des citoyens [1]. Les scientifiques y gagnent une aide précieuse et les citoyens s’engagent dans des programmes utiles qui leur permettent de s’initier à la démarche scientifique.
L’expertise des patients est un ensemble d’activités mobilisées pour examiner ou évaluer une situation donnée à partir de leurs expériences et savoirs progressivement acquis du fait de leur situation de santé, notamment au cours des échanges avec leurs pairs. Dès lors qu’elle est reconnue par les professionnels, elle améliore les décisions médicales et les soins. Elle complète l’expertise médicale et académique. L’expertise acquise par les patients leur permet de participer plus activement à la prise de décision partagée avec leurs médecins, en contribuant à définir leurs objectifs de traitement, à évaluer les avantages et les risques des différentes options et à choisir le plan de soins qui convient le mieux à leur situation.
L’expertise des patients peut également être utilisée pour informer la recherche médicale, l’élaboration des politiques de santé et l’amélioration des services de soins.
Le patient-expert désigne celui qui a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et dispose ainsi d’une réelle expertise dans le vécu quotidien d’une pathologie ou d’une limitation physique liée à son état.
Source
Haute Autorité de santé, « Évaluation de l’engagement patients et usagers selon le référentiel de certification », 2024. Sur has-sante.fr
D’après la Charte des sciences et recherches participatives en France élaborée en 2017, « les sciences et recherches participatives sont des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles participent des acteurs de la société civile, à titre individuel ou collectif, de façon active et délibérée » [2]. La mise en œuvre des sciences participatives n’est cependant pas simple [3, 4] : il faut un respect mutuel des partenaires en évitant des comportements de domination de chercheurs ou d’instrumentalisation politique par des citoyens [5]. Dans certains domaines (entomologie, zoologie, astronomie par exemple), la collaboration des amateurs est ancienne.
Dans le domaine de la santé, des représentants d’associations de patients sont inclus dans de nombreuses activités. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise l’intégration à de nombreux niveaux des patients, de leurs familles et de leurs représentants pour « améliorer la qualité des soins de santé et la sécurité des patients » et « parvenir à des systèmes et services de santé intégrés et centrés sur la personne » [6].

Dans les congrès médicaux, un patient peut être appelé à témoigner de son expérience devant des professionnels de santé, parfois en séance plénière. Des financeurs qui allouent des ressources à des projets de recherche sollicitent parfois des avis externes de patients ou de citoyens avertis. La plupart des établissements de santé, voire des agences de santé, ont l’habitude d’intégrer des représentants de patients dans leurs instances et dans des groupes de travail. Il existe des recommandations de la Haute Autorité de santé pour « faire de l’engagement des usagers une priorité » [7]. Le terme « usager » est utilisé par les instances sanitaires au lieu de « patient ».
Toutefois, cette implication d’associations de patients peut conduire à un dévoiement de l’expertise médicale, comme cela a été le cas lors de l’élaboration par la Haute Autorité de santé de ses nouvelles recommandations sur la maladie de Lyme (voir le deuxième encadré). La vigilance est donc de mise.
De leur côté, certaines revues scientifiques proposent des résumés d’articles de recherche adaptés aux non-chercheurs afin de vulgariser et mieux disséminer les résultats [8], mais les comités de rédaction ont rarement l’habi tude d’associer des patients à leurs activités. Quelques expériences réussies dans le domaine médical semblent cependant montrer la voie.
Le British Medical Journal : une expérience ancienne et réussie
Le prestigieux British Medical Journal (BMJ), propriété de la British Medical Association, a fêté les dix ans d’une collaboration réussie [9]. En 2024, l’équipe éditoriale permanente du journal compte trois patientes : la première, diabétique de type 1, est responsable de la rubrique « Qu’en pense votre patient ? » (un article par mois) ; la seconde est une survivante d’un traumatisme sensible à l’importance d’établir des relations avec toutes les parties prenantes et toutes les cultures ; elle supervise les relectures d’articles de recherche par des patients (de 80 à 90 % des articles soumis sont envoyés à un patient pour avis) ; la troisième, diabétique de type 1, a un master de la London School of Economics (santé, communauté, développement). Un patient ainsi impliqué a une expérience de la maladie et, en général, une formation universitaire. Pour intégrer l’équipe éditoriale du BMJ, un emploi pérenne, on doit en outre avoir suivi une formation sur les méthodes de recherche ainsi qu’une formation éditoriale. En complément, des réseaux de patients bénévoles peuvent être sollicités par le journal et des patients sont encouragés à être co-auteurs d’articles. Ils peuvent participer à des études de recherche, à la gouvernance et à la stratégie de la revue.

Le consensus scientifique sur la maladie de Lyme est très fort et est partagé par toutes les agences sanitaires au niveau international. Pourtant, une intense campagne médiatique a été menée (particulièrement aux États-Unis et en France) par des associations prétendant représenter des patients atteints d’une forme chronique qui serait ignorée des autorités sanitaires. Ces associations affirment l’inadaptation des tests de diagnostics mis en œuvre et l’existence d’une « forme chronique » de la maladie qui serait résistante à tous les traitements et dénoncent un « scandale sanitaire caché ». Elles font la promotion de traitements mis en œuvre par les « Lyme doctors », traitements sans aucune validité scientifique, et parfois dangereux : caissons hyperbares, antibiothérapie au long cours, etc. [1]. Les médecins en désaccord avec leurs affirmations sont dénoncés publiquement, parfois menacés physiquement. Les médias, à quelques exceptions près, se sont faits le relais bienveillant de ces campagnes.
En 2017, lors du travail de révision de ses recommandations, la Haute Autorité de santé a associé plusieurs de ces « associations de patients » dans la commission chargée de proposer de nouvelles lignes directrices. Après plusieurs réunions, parfois houleuses, l’agence de santé a publié en 2018 un ensemble de recommandations reprenant une partie des affirmations associatives. Fait assez rare dans l’histoire de cette institution, « pour défendre les patients », vingt-quatre sociétés savantes ont « refusé de cautionner les recommandations publiées par la Haute Autorité de santé » [2]. De son côté, l’Académie nationale de médecine a également réagi, souhaitant « solennellement mettre en garde les pouvoirs publics contre la tentation de céder au chantage de groupes de pression en s’écartant des données de la science » [3].
Références
1 | Krivine JP, « Les “Lyme doctors” : un risque pour les patients », SPS n° 322, octobre 2017. Sur afis.org
2 | « Maladie de Lyme : vingt-quatre sociétés savantes se mobilisent pour protéger les patients », 13 juillet 2019. Sur afis.org
3 | « Mise au point de la Haute Autorité de santé (HAS) à propos de la maladie de Lyme : réactions et déception de l’Académie nationale de médecine », communiqué de presse, 2 juillet 2018. Sur academie-medecine.fr
Quatre rôles citoyens pour collaborer avec les revues scientifiques
Cette politique a un impact général sur les comportements des acteurs de la recherche et gagnerait probablement à être généralisée à d’autres revues médicales, voire à des revues scientifiques d’autres domaines, avec les adaptations propres au domaine considéré.
En s’inspirant de l’expérience du BMJ, différents rôles peuvent être envisagés.
Rédaction d’articles
Dans la rubrique « Qu’en pense votre patient ? » mise en place dans le BMJ, les auteurs sont des patients ou des aidants. En général, un seul auteur signe et la collaboration d’un professionnel de santé n’est pas souhaitée. Les instructions aux auteurs sont très détaillées [10] : les contributions (de 650 mots avec un résumé) ne doivent pas mettre en cause nommément des personnes, ni être insultantes. La rédaction relit attentivement les soumissions, les réécrit pour respecter le style de la revue et s’assure que des messages éducatifs sont bien proposés. Enfin, les articles publiés sont mis en libre accès, sans frais de publication.

Les citoyens ainsi associés à la rédaction ont des idées à soumettre, des critiques constructives, des visions externes du système de recherche, des opinions qui peuvent aider les chercheurs dans leur travail.
Toutefois, mettre en place une rubrique comme celle proposée par le BMJ demande de la volonté, de la rigueur, des missions et instructions claires. Et aussi des moyens.
Relecture d’articles : système de l’évaluation par les pairs
Nous l’avons vu, environ 80 à 90 % des manuscrits soumis au BMJ sont envoyés pour relecture à des patients. Les procédures habituelles d’évaluation par les pairs (ou peer review) sont néanmoins respectées et la relecture par un patient n’est qu’un complément. La revue a développé un réseau de patients volontaires qui savent comment procéder pour évaluer un manuscrit. Les chercheurs qui soumettent des articles peuvent ainsi recevoir des évaluations de patients en complément des évaluations de leurs pairs. Cette pratique est bien acceptée.
Sous réserve de missions claires, des citoyens avertis peuvent acquérir une expertise pour commenter des manuscrits dans certains domaines scientifiques. Est-ce que les chercheurs sont prêts à considérer des commentaires qui ne viennent pas de leurs pairs ? Probablement, la réponse est oui si ces commentaires sont pertinents et utiles.
Participer aux recherches
Dans le domaine de la santé, des patients peuvent contribuer à la mise en place d’études. Ils peuvent avoir des avis pertinents pour définir des thèmes de recherche, des critères d’évaluation, des méthodes de recherche ou des plans de communication.

Les motivations des chercheurs et des citoyens peuvent néanmoins diverger. Les chercheurs peuvent orienter leurs travaux vers des hypothèses éloignées des attentes des citoyens, et inversement. Il ne s’agit pas d’entrer dans des débats complexes, car la recherche est aussi affaire de sérendipité : parfois, des découvertes fortuites se font loin des objectifs fixés initialement.
En ce qui concerne les sciences participatives, celles-ci semblent s’arrêter avant l’analyse des résultats, et avant la rédaction des comptes rendus de recherche. Pourquoi des citoyens avertis ne pourraient-ils pas être également associés aux manuscrits soumis à des revues ? Ils sont en général remerciés courtoisement, mais leur coopération pourrait être développée afin qu’ils apparaissent comme co-auteurs. Ce n’est pas facile, et cela dépend probablement du domaine scientifique et de la nature de leur implication.
Participer à l’élaboration de la stratégie des revues
On l’a vu, le BMJ a donc intégré des patients à son équipe éditoriale. Ce sont des emplois pérennes et ces personnes ont une formation adaptée. Ces patients peuvent contribuer à la gouvernance et à la stratégie de la revue, peuvent animer des groupes d’experts et devenir des rédacteurs, voire rejoindre des comités de rédaction. Toutefois, à partir du moment où ces patients acquièrent une formation et interviennent sur des sujets très variés, sans plus de rapport avec les problèmes de santé qu’ils ont rencontrés, faut-il encore parler de « patients », ou tout simplement de collaborateurs comme les autres ?
Des expériences généralisables ?
En santé, en dehors du BMJ, il existe quelques expériences similaires, mais elles sont rares. L‘un des deux rédacteurs en chef du journal Research Involvement and Engagement (Richard Stephens) est un patient ayant survécu à deux cancers et à une urgence cardiaque [11]. Le groupe BMJ publie environ soixante revues qui sont toutes fortement incitées à inclure des patients dans leur fonctionnement. Le choix des patients doit être rigoureux. Ces personnes doivent d’abord être orientées vers la recherche et comprendre ses mécanismes, avec une formation supérieure (parfois spécialisée sur le fonctionnement des revues scientifiques). Avoir traversé l’épreuve d’une grave pathologie est indispensable.
Les sciences participatives dans des domaines comme l’environnement, les plantes ou les insectes sont connues de groupes de citoyens. Ces sciences participatives font avancer la science, en particulier avec la collecte de données, et donnent lieu à des publications [12]. Il existe environ 200 revues dans le domaine des sciences participatives [4]. Ces revues devraient logiquement être très concernées par la participation des citoyens à leurs propres comités éditoriaux. Pourtant, pour prendre un exemple, la revue Citizen Science : Theory and practice est en accès libre, avec une évaluation par les pairs des articles soumis et des frais de publication de 541 £ payés par les auteurs. Cette revue appartient à l’Association pour l’avancement des sciences participatives [13], association d’origine américaine. Les articles sont rarement co-signés avec des citoyens et l’examen des instructions aux auteurs de la politique de cette revue ne montre pas une implication des citoyens dans la gouvernance ni dans l’évaluation. Autre exemple, la revue francophone Participations [14] qui se présente comme une « revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté » affirme une approche interdisciplinaire « consacrée à la transformation des formes de la citoyenneté et à la participation du public aux choix politiques dans les démocraties contemporaines ». Son équipe éditoriale est exclusivement composée d’universitaires ; ne devrait-elle pas ouvrir son fonctionnement aux citoyens, par exemple des élus d’instances locales qui n’ont pas de carrière académique ?
Les domaines scientifiques pouvant ouvrir leurs revues aux citoyens sont nombreux : biodiversité, climat, développement durable, énergie, sciences sociales, recherche animale, observation des espèces animales, botanique, etc. Dans des domaines comme les mathématiques ou la physique, c’est difficile, voire impossible. Intégrer les citoyens aux revues scientifiques de certains domaines reste un défi : maintenir une rigueur scientifique en s’ouvrant à des perspectives non académiques, formation et encadrement des citoyens, financements de ces initiatives.
1 | Museum national d’histoire naturelle, « Participer à la science ». Consulté le 5 décembre 2024. Sur mnhn.fr
2 | « Charte des sciences et recherches participatives en France », 20 mars 2017. Sur franceuniversites.fr
3 | Houllier F, Merilhou-Goudard JB, « Les sciences participatives en France : états des lieux, bonnes pratiques et recommandations », février 2016. Sur hal.inrae.fr
4 | Houllier F et al., « Les sciences participatives : une dynamique à conforter », Natures Sciences Sociétés, 2017, 25 :418-23.
5 | Association française pour l’information scientifique, « Sciences “participatives” : plus de science ou détournement de la science ? », communiqué de presse, 28 juillet 2015. Sur afis.org
6 | Organisation mondiale de la santé, “Patients for patient safety”, 25 janvier 2022. Sur who.int
7 | Haute Autorité de santé, « Soutenir et encourager l’engagement des usagers dans les secteurs social, médico-social et sanitaire », juillet 2020. Sur has-sante.fr
8 | Maisonneuve H, « Publications scientifiques : des résumés pour le grand public ? », SPS n° 322, 2017. Sur afis.org
9 | Doble E et al., “More medical journals must work in partnership with patients and the public”, Br Med J, 2024, 386 :q1463.
10 | “What your patient is thinking : guidance for ‘what your patient is thinking’ articles”, BMJ Group, 2024. Sur bmj.com
11 | “Research involvement and engagement”, Bio Med Central, 2024. Sur researchinvolvement.biomedcentral.com
12 | Castagneyrol B, Bedessem B, « Recenser les oiseaux, identifier les plantes : les sciences participatives font-elles vraiment avancer la recherche ? », The Conversation, 14 février 2024.
13 | Site de l’Association for Advancing Participatory Sciences. Consulté le 5 décembre 2024. Sur participatorysciences.org
14 | Site de la revue Participations : revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté. Consulté le 5 décembre 2024. Sur revue-participations.fr
Publié dans le n° 351 de la revue
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L'auteur
Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (…)
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