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Et la culture scientifique ?

Publié en ligne le 30 mai 2013 - Éducation -
Nous reproduisons ici un texte que Jean-Claude Pecker a adressé au nouveau Président de la République, au Premier Ministre ainsi qu’aux ministres concernés. Il explicite ses préoccupations concernant la culture scientifique qui, selon lui, est depuis trop longtemps tragiquement ignorée par les gouvernements, et principalement ces récentes années.

Jean-Marc Ayrault a répondu en lui assurant partager « l’idée selon laquelle la culture scientifique est partie intégrante de toute culture » et accorder « une grande importance au développement de la culture scientifique et technologique, aujourd’hui et pour l’avenir, car elle permet de véhiculer une image positive de la science et de la technologie, notamment auprès des jeunes ». Le premier ministre confirme avoir demandé aux principaux ministres concernés « d’en faire un élément de leurs programmes d’action ».

À l’aube d’une nouvelle législature, de nombreux thèmes se sont installés dans la campagne électorale, en fonction directe des déceptions accumulées au cours du quinquennat passé, des quinquennats passés, pourrait-on dire.

La culture a notamment été l’objet de nombreux points de vue. On a évoqué bien entendu la maîtrise nécessaire, dès l’école, de notre langue ; on a prôné une meilleure connaissance de la littérature, des arts, du théâtre, de la pensée... que sais-je ? Certes, ces aspects essentiels de la culture ont été souvent négligés par nos gouvernants depuis une quinzaine d’années. Mais combien de responsables politiques, combien même d’intellectuels parmi les plus respectés, sont-ils conscients de ce que la culture scientifique appartient aussi, pleinement, à la culture ? Il n’est certes pas bien d’ignorer Shakespeare, Rembrandt, Mozart, Victor Hugo, ou Picasso. Mais pourquoi devrait-on ignorer sans complexe Copernic, Galilée, Pasteur, Hubble ou Fleming ? L’épanouissement de la culture scientifique est aussi nécessaire que celui de tous les autres visages de la culture, culture artistique, culture littéraire, culture musicale. Le silence qui plane généralement autour de la culture scientifique est d’autant plus insupportable que les autorités publiques se sont longtemps désintéressées trop souvent des outils de cette culture, et que le mécénat privé prétendu scientifique ne s’exerce qu’avec des œillères et un compte-gouttes, et un souci aigu des intérêts du donateur.

Veut-on des justifications à notre inquiétude ? Le Palais de la Découverte, créé par Jean Perrin à l’époque du Front populaire, est menacé, malgré la nécessité de maintenir au centre de la capitale cet établissement remarquable d’ouverture à la science pure. Le nombre de planétariums, même dans les grandes villes, est très insuffisant ; ainsi une ville comme Bordeaux (et ce n’est pas le seul exemple !) en est dépourvu. L’observatoire historique qu’est l’Observatoire Camille Flammarion à Juvisy-sur-Orge est toujours en attente du financement des travaux de réhabilitation, et de transformation en un centre de culture scientifique, malgré les efforts de son propriétaire, la Société Astronomique de France. En province, les maisons des jeunes et de la culture ont des propos scientifiques très insuffisants. Les revues de popularisation de la science (telles Science et Vie, La Recherche, Science et pseudosciences, Pour la Science ou Ça m’intéresse, pour ne citer que des revues « généralistes ») sont des magazines de qualité. Mais leur diffusion est encore insuffisante, dans les établissements scolaires notamment, le plus souvent pour des raisons budgétaires.

Pourtant, nous n’arrêtons pas d’entendre les autorités responsables se plaindre de la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques. Il n’y a plus d’étudiants se lançant vers les maths ou la physique ; au collège ou au lycée, les enseignants se plaignent d’avoir de plus en plus de difficultés à faire comprendre les démarches de ces disciplines.

Et une certaine philosophie exprime assez fort les doutes envers le propos même de la science. Le mot de « progrès » passe parfois pour une dangereuse obscénité. Des émules de Protagoras nous expliquent que tout est vrai, et son contraire. Et dans le public, la science est associée à la bombe atomique, aux manipulations génétiques, aux dangers en somme des applications de la science plutôt qu’à ses bienfaits, chirurgie cardiaque, transports rapides, ou communications faciles. Après Hiroshima, il y a eu Fukushima ; la thalidomide a fait des ravages, les OGM sont vilipendés. Et « c’est la faute à la science » ! Le débat politique sur ces problèmes a perdu sa rationalité pour ne devenir que purement passionnel.

Restons-en d’abord aux principes de la culture scientifique.

Tout d’abord, il convient de distinguer la science pure et ses applications.

Il est bon de faire comprendre au public jeune ou moins jeune ce qu’il y a dans la boîte noire universelle de la technologie, de montrer comment et pourquoi l’on se sert de tel ou tel outil, et quels principes de la physique, de la chimie ou de la biologie il importe d’exploiter pour développer et utiliser telle ou telle technique. Qui comprend clairement comment marche – et ce ne sont que des exemples – son ordinateur, son four à micro-ondes, ou les comprimés absorbés chaque matin ? C’est le rôle de la Cité des sciences et de l’industrie, à la Villette, que de permettre cette compréhension.

Mais il importe aussi, et même d’abord, de faire comprendre la physique et la chimie de base, mais aussi la mathématique de base, nécessaires à la conception des technologies nouvelles. Il ne suffit pas de montrer tout cela, comme un spectacle de magie. Encore faut-il l’expliquer, le faire comprendre et s’assurer, c’est l’une des missions de la pédagogie, que la personne à qui l’on s’adresse en a effectivement bien compris les principes. Et qu’il s’agisse du théorème de Pythagore, de la nature de l’arc-en-ciel, de l’analyse élémentaire de l’eau ou du sel, ou encore de la conception héliocentrique du système solaire... Ne jamais se satisfaire de montrer la science, et non seulement la faire comprendre, mais s’assurer de ce que ceux à qui l’on s’adresse ont bien compris. Telle est évidemment la mission des enseignants. Mais telle est aussi la mission des institutions de culture scientifique, tel le Palais de la Découverte.

Il est un domaine relevant de la culture universelle et qui mérite de plus en plus d’attention, tant il constitue une menace pour notre société. C’est la culture « antiscience », la culture du faux, de l’illusion, du mystère, du mystique... et qui s’affirme pourtant scientifique. C’est aussi le rôle des semeurs de culture scientifique que de mettre en accusation ces mystifications nombreuses, et souvent, hélas, séduisantes : la parapsychologie, l’astrologie, la numérologie, mais aussi l’homéopathie, et les nombreuses thérapies illusoires, irrationnelles, et se vantant de l’être, comme si l’on pouvait associer les concepts de « scientifique » et d’« irrationnel » ! La culture scientifique est un antidote contre cet empoisonnement lent et très insidieux de notre société. Une croyance n’est pas une connaissance, l’aveuglement n’est pas la lucidité, la foi n’est pas la raison.

Il importe donc, pour des raisons multiples – maîtrise de notre croissance, démystification des fausses solutions, regard lucide vers le monde qui nous entoure et dans lequel nous vivons – de cultiver la science. La culture scientifique est une ouverture. Nos gouvernements s’en sont si souvent désintéressés que le terreau de la science française semble avoir perdu une partie de sa fertilité. C’est le devoir du nouveau gouvernement, de la nouvelle législature, que de remettre la culture scientifique au cœur de la culture.

Que faudrait-il donc faire ? C’est d’abord une question d’état d’esprit, bien sûr. Mais c’est aussi une question de programmes et de budget. Sans prétendre faire ici un tableau complet, cohérent, des possibilités, il me semble que l’on pourrait d’abord multiplier, en région, des antennes de la Cité des Sciences et de l’Industrie et du Palais de la Découverte (aujourd’hui groupés sous la casquette « Universcience »). Un planétarium dans chaque ville grande ou moyenne est un excellent accès à une prise de conscience de l’importance de la connaissance scientifique. Un soutien solide aux centres de documentation des collèges et des lycées doit permettre d’ouvrir largement les jeunes esprits vers la beauté de la science. Et des entreprises remarquables s’adressant aux plus jeunes, comme « La Main à la pâte » doivent être généralisées, et multipliées... Une volonté politique est nécessaire. Elle est possible.

La culture scientifique est partie intégrante de toute culture. Sans sa composante scientifique, toute culture est tristement incomplète, et vouée à tous les échecs.

autPecker

À l’appui de sa lettre, Jean-Claude Pecker rappelle les titres qui expliquent son engagement de toujours pour une culture véritablement scientifique : Membre de l’Institut (Académie des Sciences), Professeur honoraire au Collège de France (chaire d’Astrophysique théorique), Président du Comité Sciences de l’Univers du Palais de la Découverte (années 1960-70 env.), Membre (1979-80) du Comité chargé de sélectionner le projet architectural de la Cité des Sciences et de l’Industrie, Président du COMIST (Comité Préparatoire du Musée des Sciences et de l’Industrie de la Villette, 1981-1985), Président du Comité National interministériel de la Culture Scientifique et Technique (1985-1987), Président du Comité Sciences de la Commission Nationale pour l’UNESCO (1974-1978), Président de la Société Astronomique de France (1973-1976), Président d’honneur de CLEA (Comité de Liaison Enseignants-Astronomes), Président d’honneur de l’ALPF (Association des Planétariums de Langue Française), Président d’honneur de l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique).

Publié dans le n° 302 de la revue


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L' auteur

Jean-Claude Pecker

Jean-Claude Pecker (1923-2020) a été astrophysicien, professeur au Collège de France et membre de l’Académie des (...)

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