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La science dans l’enseignement contestée au nom des croyances

Publié en ligne le 13 juillet 2019 - Éducation -

Une récente enquête [1] du Comité national d’action laïque auprès des enseignants (de l’école primaire au lycée) montre que 38 % d’entre eux estiment que les contenus de l’enseignement font l’objet de contestations pour des raisons de croyance religieuse, et parmi ces situations d’enseignement contestées, 22 % concernent l’enseignement délivré dans les cours de sciences. Outre les difficultés liées à la question de la procréation, le discours scientifique sur l’évolution des espèces – celle de l’espèce humaine, en particulier – fait l’objet d’une mise en cause dans le cadre de la classe. Il y a dix ans, Science et pseudo-sciences consacrait un dossier à ce sujet, « Créationnisme et enseignement », et posait la question « L’enseignement de l’évolution est-il menacé ? » [2]. Depuis, cette préoccupation est restée prégnante chez les enseignants des sciences de la vie et de la Terre et chez leurs formateurs.

L’enseignement de la nature de la science

La tache noire
La tache noire, Albert Bettannier (1851-1932)

L’une des réponses à opposer aux contestations de l’enseignement de l’évolution par les élèves est, selon un vadémécum [3] proposé par l’Éducation nationale, l’enseignement de la nature de la science, de ses caractéristiques, de son fonctionnement :  « En sciences de la vie et de la Terre, il est opportun d’expliciter la nature propre du savoir scientifique. L’enseignement transmet un savoir scientifique incontestable, des connaissances argumentées, démontrées, vérifiées. Les croyances, elles, font l’objet d’un sentiment de vérité, mais ne sont pas démontrables » p. 34).

Pour Guillaume Lecointre 1, auteur d’un livre visant à apporter une « une réponse laïque et didactique aux contestations de la science en classe » 2, esprit critique et savoirs communs constituent le fondement du projet républicain français. La classe est bien cet espace où s’échafaude l’esprit critique de l’élève, dans une posture de crédulité momentanément consentie :  « ce n’est pas aux enseignants de ménager les savoirs […] mais c’est aux adultes référents, aux parents, aux théologiens ou aux chefs spirituels de chaque religion de réaliser une articulation entre les postures métaphysiques des élèves et les savoirs acquis à l’école » p. 116).

Le livre apporte ces outils épistémologiques qui permettront aux enseignants de donner une réponse didactique aux objections auxquelles ils peuvent être confrontés, comme  « Chacun croit ce qu’il veut… on est en démocratie ! »,  « On ne peut pas remonter le temps pour voir comment ça s’est passé »,  « On ne peut pas tester l’évolution par une expérience »,  « L’évolution n’est qu’une théorie »

Savoir scientifique contre croyance et opinion

Calcul mental
Calcul mental, Nikolay Bogdanov-Belsky (1868-1945)

Partant du constat que l’accès à la connaissance, aujourd’hui, est une question de confiance accordée (la croyance par délégation, selon Gérald Bronner [4]), qui souvent dispense d’aller vérifier, l’auteur prend soin de distinguer le savoir, les croyances (dont la croyance religieuse) et l’opinion. Il fonde cette distinction sur deux critères principaux, le mode de justification (soit rationnel, soit par confiance en une autorité) et le type de validation (collectif ou individuel) donnés aux affirmations. Le savoir scientifique est une élaboration rationnelle qui repose sur six attendus cognitifs partagés par l’ensemble des scientifiques considérés collectivement et internationalement : le scepticisme initial du chercheur sur son sujet qui, même s’il a une idée, une hypothèse quant aux résultats attendus, est prêt à se laisser surprendre par un résultat inattendu ; le réalisme dans le cadre duquel le monde existe indépendamment de la perception que nous pouvons en avoir ; la rationalité qui implique le respect de la logique et l’application du principe de parcimonie par lequel on privilégie le scénario qui implique le moins d’hypothèses ; le matérialisme méthodologique (le scientifique ne sait travailler que sur la matière et ses propriétés émergentes) ; la transparence des procédures qui permet à la science d’être collective et à une expérience d’être reproductible ; la prise en compte de toutes les données disponibles pertinentes au regard de la question posée sans sélectionner les seules données qui iraient dans un sens souhaité rejoignant en cela le scepticisme initial et en maintenant les liens logiques entre divers modules.

Dans l’ouvrage, ces six attendus sont explicités et illustrés par des exemples puisés dans les tentatives d’intrusion créationniste dans le domaine de la science.


Références

1 |  « Les enseignants et la laïcité », sondage réalisé par l’Ifop pour le Comité national d’action laïque. Sur ifop.com
2 | SPS, n° 281, avril 2008, en ligne sur afis.org
3 | Ministère de l’Éducation nationale, « Vadémécum La laïcité à l’école », 2018. Sur eduscol.education.fr
4 | Bronner G, La démocratie des crédules, PUF, 2013.


Nous signalons volontiers

SAVOIRS, OPINIONS, CROYANCES
Une réponse laïque et didactique aux contestations de la science en classe
Guillaume Lecointre
Belin Éducation, coll. Guide de l’enseignement, 2018, 125 pages, 9,90 €

Note de lecture de Philippe Le Vigouroux sur notre site Internet

1 Guillaume Lecointre, systématicien, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, est très engagé dans la formation des enseignants et la vulgarisation des sciences de l’évolution. Il est membre du Comité de parrainage scientifique de Science et pseudo-scienceset de l’Afis.

2 Note de lecture détaillée sur notre site Internet : afis.org.


Thème : Éducation

Mots-clés : Croyance - Science