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Freud et la psychanalyse

Publié en ligne le 6 juillet 2016
Freud et la psychanalyse
Jean-François Marmion (dir.)

Éditions Sciences Humaines, 2015, 168 pages, 10,20 €

Les Éditions Sciences Humaines publient régulièrement des ouvrages qui reprennent des textes parus dans leurs magazines Sciences Humaines et Le Cercle Psy, auxquels sont alors ajoutés de nouveaux articles. C’est le cas pour ce remarquable recueil, qui fait suite à celui paru en 2007 sur le même thème. Le précédent recueil 1 faisait la part belle aux psychanalystes orthodoxes. Cette fois, on retrouve des freudiens, mais également des historiens « neutres » et d’éminents spécialistes de la remise en question du freudisme. Une moitié de la trentaine de textes et encadrés présente Freud dans son temps (son parcours, le contexte de ses idées, ses sources) ; l’autre moitié présente la postérité du freudisme, son influence et les remises en question.

J.-Fr. Marmion ouvre le recueil par la question « Freud, totem ou tabou ? » et souligne qu’aujourd’hui 98% des publications mondiales consacrées à la psychologie ne font absolument pas référence à Freud ou à ses héritiers. Dans un autre texte, « La psychanalyse, malade de son histoire », il présente tour à tour la biographie officielle de Freud par Jones et les travaux des pourfendeurs des légendes freudiennes, à commencer par Ellenberger. Il pose la question provocante de la raison pour laquelle une partie des documents de Freud (surtout des lettres) ne pourront pas être consultées avant 2057 et que d’autres sont fermés sans date de déclassification sous prétexte de secret médical.

Six psychanalystes présentent divers aspects du freudisme. D. Bourdin fait un exposé, tout ce qu’il y a de plus classique, du complexe d’Œdipe… dont on peut estimer qu’il est une généralisation à l’Humanité de l’excitation sexuelle que Freud enfant éprouva à la vue de sa mère nue. A. de Mijola évoque la diffusion française des idées freudiennes : très laborieuse jusqu’aux années 1950, puis, avec Lacan, véritable raz-de-marée qui commence seulement à ralentir. D. Widlocher évoque la spécificité de la cure freudienne : « l’écoute associative et interprétative ». A. Millet évoque une question qu’elle avait examinée dans Psychanalystes qu’avons-nous fait de la psychanalyse ? (2010) : la psychanalyse freudienne a-t-elle visé principalement à constituer une théorie scientifique ou à soigner (avec l’aide de la suggestion et autres méthodes actives) ? G. Makari et S. Chiche évoquent l’expansion de la psychanalyse au XXe siècle et son reflux aujourd’hui, surtout dans les pays anglo-saxons. S. Chiche rapporte la savoureuse anecdote de Lacan venu faire une conférence à Vienne en 1955 : celui qui devait assurer la traduction simultanée, « un psychanalyste pourtant très francophile », ne comprit strictement rien et renonça à traduire dès les premières phrases, provoquant la colère de Lacan. Celui-ci écrira à ce sujet que ce fut « ma première rencontre avec ce qu’il faut bien appeler le fonds le plus bas du monde psychanalytique » 2.

É. Pewzner présente des travaux du XIXe siècle sur les rêves et les états modifiés de la conscience, à l’origine de ce qu’Ellenberger a appelé « la psychiatrie dynamique ». Elle évoque l’intérêt de l’époque pour la sexualité et les perversions, un thème également abordé par S. Chaperon, spécialiste de l’histoire de la sexologie. Celle-ci montre que les conceptions de Freud sur la sexualité s’inscrivent dans une longue lignée de discussions de médecins et de chercheurs, et qu’elles sont largement inspirées de l’enseignement sexologique de von Kraftt-Ebing. J. Carroy retrace la formation française de Freud et l’influence du Belge J. Delbœuf sur sa conception des rêves et de la thérapie. J.-Fr. Dortier résume l’histoire mouvementée des conceptions de l’inconscient depuis le XIXe siècle (on pourrait remonter au moins au XVIIe) jusqu’aux récentes théorisations des neurologues et des psychologues scientifiques. Par ailleurs, il rend compte de la diversification des psychanalyses aux États-Unis et des relations de Freud avec le jungisme. M. Macmillan retrace la source de la méthode des associations libres et explique quelques-unes des erreurs logiques de Freud concernant le passage de ses observations à ses théories.

Plusieurs textes portent sur l’interprétation des rêves : la confection du grand livre que Freud y a consacré et, d’autre part, ce que les recherches scientifiques nous en apprennent aujourd’hui (contribution de D. Oudiette et I. Arnulf).

J.-Fr. Marmion présente les découvertes de M. Borch-Jacobsen concernant l’usage que fit Freud de l’hypnose pendant une dizaine d’années. Une interview de Borch-Jacobsen fournit des informations complémentaires sur le fait que Freud a pratiqué une hypnose autoritaire bien plus que la méthode de Breuer, dont il savait l’échec avec le traitement d’Anna O. Borch-Jacobsen présente ce que l’on sait aujourd’hui de huit patients de Freud (on en trouve vingt-trois autres dans son ouvrage Les patients de Freud). H. Guillemain retrace l’histoire de la méthode Coué qui, dans les années 1920, rivalisa avec la psychanalyse (Jones et Abraham critiquèrent vivement la célèbre méthode d’autosuggestion inspirée de la suggestion hypnotique de l’École de Nancy).

E. Zaretsky avance des explications de la diffusion du freudisme au XXe siècle, notamment le souci croissant de se constituer une identité personnelle, l’essor du capitalisme et de la consommation de masse. Il observe que la psychanalyse s’est développée dans les années 1950 avec la TV et la Nouvelle Vague.

Notons enfin la très intéressante étude de J.-Fr. Marmion sur la question « Les anti-Freud sont-ils antisémites ? », une accusation ancienne, relancée par É. Roudinesco à l’endroit de Bénesteau (Mensonges freudiens, 2002) et des auteurs du Livre noir de la psychanalyse (2005) avant même la sortie de leur ouvrage.

Ce livre apporte une quantité impressionnante d’informations ignorées du grand public et même de la majorité des psys, dont la plupart se contentent d’un catéchisme freudien. Il devrait intéresser tous ceux qui veulent se forger une opinion nuancée sur le freudisme.

1 Molinié, M. (coord.) La psychanalyse. Points de vue pluriels, 400 p.

2 Écrits, Seuil, 1966, p. 866.