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La psychanalyse est-elle une secte ?

Publié en ligne le 26 mai 2023
La psychanalyse est-elle une secte ?
Anthropologie des fondamentalistes du freudo-lacanisme
Sophie Robert, préface de Jacques Van Rillaer
Enrick B Éditions, Coll. « Porte-Voix », 2023, 504 pages, 22,95 €

Sophie Robert avait fait, en 2011, une entrée fracassante dans la foisonnante et impitoyable galaxie « psy » avec Le Mur, son documentaire choc sur les regards, les conceptions et les pratiques des psychanalystes dans le domaine de l’autisme. L’histoire tourmentée de cette affaire constitue d’ailleurs le premier chapitre de ce livre, intitulé : « Une ethnologue de la psychanalyse ». L’ouvrage aborde ensuite ce que l’autrice qualifie de « piliers fondamentaux de la psychanalyse », à savoir, le complexe d’Œdipe (chapitre II) et la maternité pathogène (chapitre III). Puis elle décode le discours psychanalytique (chapitre IV), analyse en détail le « hold-up » sur la psychiatrie et la psychologie française (chapitre V), ainsi que le très particulier « modèle économique » des psychanalystes (chapitre VI).

Tout au long de son travail méticuleux et très bien documenté (qui n’exclut pas, pour autant, des notes d’humeur et des pointes d’ironie acerbe…), S. Robert étaye son discours par des citations textuelles des 52 psychanalystes qu’elle a personnellement interviewés 1, par des témoignages de victimes, d’usagers ou de professionnels qu’elle a rencontrés tout au long de ces années passées à étudier les « mœurs » d’une « tribu » étrange : les fondamentalistes du freudo-lacanisme.

Il faut dire que le succès, l’influence, le pouvoir, l’hégémonie de la psychanalyse en France, avec les figures de Jacques Lacan, Françoise Dolto, Élisabeth Roudinesco ou Jacques-Alain Miller, pour ne citer que les plus médiatisées, constituent une autre des multiples « exceptions françaises », pas forcément enviable, et absolument inimaginable et incompréhensible hors de l’Hexagone. Surtout en plein XXIe siècle ! Mais, comme le signale l’autrice : « Le grand talent des psychanalystes ne réside pas dans le traitement de la souffrance mentale, mais dans le fait d’être parvenus à cacher si longtemps la véritable nature de leur discipline. » Et cela n’aurait jamais été possible sans ce qu’elle n’hésite pas à considérer comme une organisation strictement sectaire, avec tout ce que cela signifie de dogmatisme, d’exégèse des textes canoniques, de culte de la personnalité du Père fondateur, de rites, d’endoctrinements, de noviciats, d’adoubements, de soumission, de perte du pouvoir critique, d’esprit claniste, de double langage, d’ésotérisme, de réseaux de pouvoir et d’influence, d’infiltration des institutions, de caisses de résonance médiatiques, de complicités des élites elles-mêmes en analyse, etc.

On en apprend beaucoup sur les « mœurs » et les agissements concrets de cette secte tout au long de l’ouvrage. Et sur son développement tentaculaire dans presque tous les domaines de la société française, au-delà du strict champ de la santé auquel on pourrait penser qu’elle se borne. Certes, ce n’est pas le premier travail qui dénonce ce scandaleux état de fait et, depuis un certain nombre d’années, les ouvrages critiques de la psychanalyse se sont multipliés 2 en abordant la question depuis des points de vue et sous des angles différents et complémentaires. Mais celui-ci apporte un éclairage différent du fait de la spécificité de son approche, centrée sur le caractère sectaire de la confrérie psychanalytique et sur la technique des entretiens.

Alors, à la question posée dans le titre, S. Robert répond par un « oui » franc et massif. Je souscris à cette analyse 3 et conclus avec les mots par lesquels l’autrice termine son livre : « La psychanalyse freudo-lacanienne peut être considérée comme un nouvel avatar des religions du Livre. Créée au tournant du XXe siècle, elle représente l’emballage culturel le plus récent d’un très vieil édifice théorique. Et ce n’est certainement pas le dernier. »

1 Et certaines de leurs déclarations, si ce n’est qu’elles ont été filmées et enregistrées, nous sembleraient littéralement incroyables !

2 On peut consulter, par exemple, celui de Borch-Jacobsen M et Shamdasani S, Le Dossier Freud : enquête sur l’histoire de la psychanalyse, Les empêcheurs de tourner en rond, 2006.