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Giordano Bruno

Publié en ligne le 5 janvier 2019
Giordano Bruno
Précurseur des Lumières
Jean Rocchi - Préface de Pascal Charbonnat et avant-propos de Marc Silberstein
Éditions Matériologiques, 2018, 464 pages, 24 €

Les Éditions Matériologiques, dont le nom est la contraction de « matérialisme » et « logique », se donnent pour objectif de combattre les pensées spiritualistes, postmodernistes et autres thèses relativistes qui encombrent les discours contemporains. Dans ce but, ils ont pris l’excellente initiative de publier Giordano Bruno, Précurseur des Lumières. Son auteur, Jean Rocchi, qui débuta sa carrière au quotidien L’Humanité, découvrit assez tardivement le destin tragique de Giordano Bruno, ce savant brûlé vif à Rome en 1600 parce qu’il refusait d’abjurer ses idées. Subjugué par l’image de ce personnage qui osa braver le danger, la souffrance et la mort, Jean Rocchi mit tout le talent de sa plume, tout son art de journaliste habitué à s’adresser au grand public, pour rédiger L’errance et l’hérésie (1989), une émouvante biographie de ce courageux supplicié, dont il devint rapidement spécialiste. En effet, il écrivit par la suite Giordano Bruno après le bûcher (2000) ; L’irréductible (2004) ; Giordano Bruno. La vie tragique du précurseur de Galilée (2011), sans oublier une pièce de théâtre.

On se souvient que Giordano Bruno – le Nolain 1, comme aime l’appeler Jean Rocchi – était un moine dominicain. Soupçonné d’hérésie, il s’enfuit de son couvent, se défroqua et entama un voyage mouvementé sur les routes européennes. Ayant des vues originales sur la religion, se vantant d’être le « fléau d’Aristote », il s’attira nombre d’ennuis dans les contrées chrétiennes où les thèses du philosophe grec étaient avalées comme des hosties. Ainsi, il fut excommunié par les calvinistes de Genève, conspué à Oxford et à la Sorbonne, excommunié par les luthériens à Wittenberg, dénoncé à l’Inquisition à Venise, transféré ensuite à Rome, où il restera huit ans emprisonné. Son procès, qui se déroula sous la surveillance personnelle du pape Clément VIII, fut instruit par le cardinal Bellarmin 2. Le cardinal inquisiteur décela dans les œuvres du Nolain huit hérésies que son auteur devait renier pour éviter de mourir dans les flammes. Parmi elles, deux propositions avaient une connotation scientifique. Bruno prêchait en effet qu’il pouvait prouver le mouvement de la Terre sans contredire les Écritures, que l’Univers était infini et qu’il y existait une pluralité de mondes habités. Les six autres étaient de nature purement religieuse. « Cette sentence vous cause plus de trouble que j’en éprouve à l’entendre ! » répondit Bruno. Comme il refusa de se repentir, il fut excommunié et conduit au Campo de Fiori (Rome) en février 1600 pour y être brûlé vif : son cortège traversa une foule de « fanatisés » qui se croyaient dans un cirque, qui chantaient des litanies.

Dans la deuxième partie du livre, intitulée « Après le bûcher », Jean Rocchi examine minutieusement les suites de cet événement tragique ; il traque dans tous les écrits de Bruno des éléments susceptibles d’avoir exercé une influence au siècle des Lumières. C’est une tâche ardue. Bruno n’a jamais dépassé le stade du spéculatif : on ne trouve dans ses œuvres aucune expérimentation, aucune mathématisation. Sa pensée est un pêle-mêle de science et d’hermétisme. Ses magnifiques intuitions sur l’infinité de l’Univers et la pluralité des mondes habités, sa géniale anticipation du principe d’inertie (reprise par Galilée qui omettra cependant de citer sa source), sont des perles rares. Jean Rocchi parvient brillamment à repérer son influence sur Shakespeare, Kepler, Galilée, Descartes, Pascal, Spinoza, Newton, Cyrano de Bergerac…

Dans un avant-propos superbe, le fondateur des Éditions Matériologiques, Marc Silberstein, situe l’actualité de ce livre lorsqu’il nous parle de la nécessité « mécréantielle » (sic) de défendre un hérétique, de combattre les obscurantismes religieux par la voix calcinée de Giordano Bruno. Il est vrai que nous vivons une époque dangereuse, où sévissent bien trop de fanatiques. Marc Silberstein, qui évoque l’assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo, aurait pu y ajouter l’affaire des caricatures de Mahomet et le cas de l’« hérétique » Salman Rushdie, le parallèle de Giordano Bruno, condamné à mort seulement pour avoir écrit le roman Versets sataniques par l’équivalent du pape dans le chiisme, l’ayatollah Khomeiny : « Notre époque est grosse d’une menace récurrente, la menace d’un Torquemada, d’un Bellarmin, d’un Clément VIII, cette fois-ci vêtu non pas d’un capuce monastique mais d’un turban. Non seulement “la religion est l’opium du peuple” mais elle est redevenue l’opium de nombre d’intellectuels, ceux-là même qui se posent en défenseurs des peuples… » (p. 17).

Ce livre de Jean Rocchi, remarquablement bien écrit, se lit d’un trait et fait œuvre de salut public. Il est à mettre dans toutes les mains. Il faut vite l’acheter pour le lire, pour le prêter, pour l’offrir.

1 Ce surnom provient des origines de Bruno, Nola, à proximité de Naples.

2 Celui-là même qui a tourmenté Galilée. Robert Bellarmin sera canonisé en 1930 et déclaré docteur de l’Église en 1931.

Publié dans le n° 325 de la revue


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Auteur de la note

Arkan Simaan

Agrégé de physique, historien des sciences et (...)

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