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L’échelle INES des incidents et accidents nucléaires

Publié en ligne le 4 juin 2023 - Nucléaire -

En 2021, on a recensé 1 172 événements significatifs dans les installations nucléaires classés sur l’échelle INES (International Nuclear and radiological Event Scale), dont un de niveau 2, 103 de niveau 1, et le reste de niveau 0. Voilà un constat que l’on trouve dans le bilan chiffré du rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2021 [1]. Comment l’interpréter ? Quelle est cette « échelle INES » ? À quoi correspondent ces niveaux que les agences de presse et les médias reprennent ? Nous nous proposons dans ce texte de revenir sur les principes de cette « échelle », son histoire, son utilisation et ses limites.

Three Mile Island : un moment fondateur

Le 16 mars 1979 sort aux États-Unis Le Syndrome chinois, un film de fiction avec Jane Fonda et Jack Lemmon dans lequel un accident nucléaire conduit à envisager la fusion du cœur du réacteur d’une centrale nucléaire et le risque que le corium, généré par le combustible fondu, traverse l’enceinte de confinement et provoque une explosion majeure. Douze jours plus tard, un accident se produit à la centrale nucléaire de Three Mile Island, en Pennsylvanie, où une succession de défaillances matérielles et humaines va conduire à la fusion de près de 45 % du cœur d’un réacteur [2]. L’impact médiatique sera énorme, amplifié par une gestion de crise défaillante.

Cet accident, survenu sur un réacteur à eau pressurisée récent (il avait été mis en service quelques mois auparavant), d’un type très répandu et réputé particulièrement sûr, sera un moment charnière pour l’industrie du nucléaire, confrontée à la réalité d’un accident grave. Pourtant, les conséquences environnementales ont été négligeables et il n’y a pas eu d’impact sanitaire mesurable, ni sur les populations – l’enceinte de confinement du réacteur ayant joué son rôle –, ni pour les travailleurs – même s’ils ont été exposés à des doses significatives [3]. Le retour d’expérience tiré de cet accident sera riche [4] et montrera entre autres l’importance de la gestion de crise et de la communication au public. Sur le plan politique, les mouvements anti-nucléaires s’appuieront sur cet accident pour contester l’expertise « officielle » et promouvoir la diffusion d’une information qualifiée d’« objective » [5].

L’échelle de gravité des incidents et accidents dans les réacteurs nucléaires

À cette époque, le débat sur le risque nucléaire est déjà bien présent en France avec le développement rapide du parc de réacteurs. En effet, dès 1975, l’« Appel des 400 » [6] exprime l’inquiétude de certains scientifiques sur l’utilisation massive du nucléaire. Cette opposition trouvera un prolongement avec la création du GSIEN (Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire) et des prises de positions syndicales, notamment de la CFDT [5].

Cours de modèle vivant à l’Académie royale des Beaux-Arts, Wilhelm Ferdinand Bendz (1804-1832)

En 1986, l’accident de Tchernobyl et la communication catastrophique qui l’entoure en France [7] montrera le besoin d’outils de communication spécifiques entre spécialistes du nucléaire et opinion publique. Ainsi, en 1987, le ministre de l’Industrie modifie l’ancien Conseil supérieur de la sûreté nucléaire créé en 1973 pour lui ajouter un rôle d’information sur le nucléaire : ce sera le Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires (CSSIN) [8] dont la mission « s’étend à l’ensemble des questions touchant à l’information du public et des médias et relatives à la sûreté des installations nucléaires » [9]. Une des premières recommandations du CSSIN fut de promouvoir une « échelle de gravité des incidents et accidents dans les réacteurs nucléaires », issue d’un groupe de travail animé par Pierre Desgraupes, journaliste et ancien PDG d’Antenne 2 (devenu France 2 en 1992), et nommé vice-président du CSSIN.

Annoncée dès janvier 1988 [10], cette échelle sera présentée le 20 avril 1988 par Alain Madelin, alors ministre de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme [11]. Son objectif est clair : « Cette échelle, dont le principe est similaire à celle qui mesure la gravité des tremblements de terre, est destinée à faciliter l’accord et la compréhension mutuelle des techniciens du nucléaire, des médias, et de l’opinion publique, par un classement simplifié et aisément compréhensible des incidents et accidents susceptibles de se produire dans les centrales nucléaires. »

Cette première échelle comportait six niveaux (1 à 3 : incidents ; 4 à 6 : accidents). Les niveaux des accidents sont différenciés par « l’ampleur du risque de rejets radioactifs vers l’extérieur de l’installation où l’accident s’est produit », alors que les incidents « sont caractérisés par des rejets radioactifs au-dessous des limites annuelles autorisées », mais « comprennent également des troubles de fonctionnement qui […] peuvent traduire des faiblesses de l’installation auxquelles il faut remédier ».

Elle est illustrée par des événements passés, classés dans cette nouvelle échelle : Tchernobyl (1986) bien sûr au niveau 6, Windscale (Royaume-Uni, 1957) au niveau 5, Saint-Laurent (1980) au niveau 4, Bugey (1984) au niveau 3, et la fuite de sodium du barillet [12] de Superphénix (1987) au niveau 2.

L’échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (INES)

La France, au travers de son autorité de sûreté, portera cette échelle au niveau international : l’INES sera mise au point et adoptée en 1990-1991 par l’AIEA et l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE/AEN) [13]. Elle évoluera par la suite pour mieux prendre en compte les événements de radioprotection (2002), puis ceux survenant dans le domaine des transports ou entraînant l’exposition de personnes à des sources radioactives (2008) [14]. Il est à noter que, en France, l’ASN a élaboré en collaboration avec la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO) une échelle spécifique relative aux événements de radioprotection affectant les patients dans le cadre d’une radiothérapie (échelle ASN-SFRO, 2007-2008 [15]).

Étendue des réacteurs à toutes les installations de l’industrie nucléaire civile, comprenant désormais huit niveaux (de 0 à 7 : le niveau 0 correspondant à un écart, les niveaux 1 à 3 à des « incidents » et les niveaux 4 à 7 à des « accidents »), l’échelle INES conserve les mêmes principes que son ancêtre française : analogie avec les classements des phénomènes naturels (séismes, tornades), volonté de s’appuyer sur des critères objectifs, et surtout outil de communication, « elle est destinée à faciliter la perception par les médias et le public de l’importance des incidents et des accidents nucléaires » [14].

Le classement d’un événement nucléaire ou radiologique sur l’échelle INES se fait en regard de ses conséquences dans trois domaines [16, 17] :

  • conséquences à l’extérieur du site (population et environnement), qui prend en compte les doses de rayonnements subies par les populations à proximité du lieu de l’événement et le rejet imprévu, à grande échelle, de substances radioactives depuis une installation ;
  • conséquences à l’intérieur du site (barrières et contrôles radiologiques) : présence imprévue de rayonnements de forte intensité et rejet de quantités importantes de substances radioactives à l’intérieur de l’installation, qui concerne les événements survenant dans les installations et n’ayant pas d’impact direct sur la population ou l’environnement ;
  • conséquences sur la « défense en profondeur » : niveaux successifs de défense visant à prévenir les accidents puis, en cas d’échec de la prévention, à en limiter les conséquences ; événements sans impact direct sur la population ou l’environnement, mais pour lesquels les diverses mesures mises en place pour empêcher des accidents n’ont pas fonctionné comme prévu.

Comme précisé dans le manuel de l’utilisateur de l’échelle [18], le niveau 1 ne couvre que la dégradation de la défense en profondeur, les niveaux 2 et 3 portent sur des dégradations plus graves de la défense en profondeur ou bien des événements ayant de faibles conséquences réelles sur les personnes ou les installations. Les niveaux 4 à 7 couvrent, eux, des accidents entraînant des conséquences de plus en plus graves sur les personnes, l’environnement ou les installations, sur la base des quantités de matières radioactives rejetées, ramenées en équivalents de térabecquerels (TBq = 1012 Bq) d’iode 131.

L’échelle est conçue de telle façon que la gravité d’un événement est multipliée par dix pour chaque passage d’un niveau au suivant. Pour faciliter la présentation dans les médias et la compréhension par le public, des noms spécifiques et non ambigus ont été attribués à chaque niveau : anomalie, incident, incident grave, accident ayant des conséquences locales, accident ayant des conséquences étendues, accident grave et accident majeur.

Initialement conçue par le CSSIN comme simple et pragmatique (sa présentation ne faisait que quelques pages [11]), la mise en œuvre de cette échelle s’est complexifiée dans le temps et son « manuel utilisateur » fait désormais près de 240 pages [13]

Échelle INES : critères de classement

Source  : IRSN.

Quelques exemples de classification d’accidents et événements


Niveau 7. Il y a eu deux accidents de niveau 7 depuis le début du nucléaire civil. Ce sont les accidents sur les centrales de production électrique de Tchernobyl (URSS, 1986) et Fukushima (Japon, 2011), qui ont conduit tous deux à des rejets massifs dans l’environnement, (≈ 1 760 PBq de 131I et 85 PBq de 137Cs) pour le premier, contre respectivement 120 PBq et 10 PBq à Fukushima. Les conséquences sanitaires de ces deux accidents sont discutées ailleurs dans ce dossier de SPS.

Niveau 6. On recense un seul accident de niveau 6 qui est longtemps resté secret. Une explosion chimique survenue en 1957 sur un site d’entreposage de déchets du complexe nucléaire de Maïak (Маяк) en Russie (Union soviétique à l’époque) a dispersé une grande quantité (74 PBq) de radioactivité dans l’environnement avec des conséquences sanitaires qui restent difficiles à évaluer du fait du secret qui a entouré cet événement, seulement reconnu près de 30 ans plus tard [1].

Niveau 5. Cinq accidents ont été rétrospectivement classés au niveau 5 [2], dont celui du 28 mars 1979 à la centrale de Three Mile Island, déjà évoqué. Deux autres concernent des réacteurs nucléaires expérimentaux de faible puissance à Chalk River (réacteur NRX, 12 décembre 1952, Canada) et au Idaho National Laboratory (réacteur SL1, 3 janvier 1961, États-Unis), qui fit trois victimes.
Un accident significatif est l’incendie du 10 octobre 1957 qui est survenu sur un des deux réacteurs destinés à la production de plutonium du site de Windscale (Royaume-Uni) lors d’une opération sur le bloc graphite : un dégagement d’énergie lié à l’irradiation du graphite conduisit à un incendie dans plusieurs canaux et une inflammation du combustible qui dura deux jours. Malgré la présence de filtres à iode à la cheminée, on estime que de 740 à 1 200 TBq d’iode 131 ont été libérés, ainsi que 46 TBq de césium 137 [3], contaminant significativement l’environnement et conduisant à l’interdiction de commercialisation du lait produit sur une zone d’environ 500 km2 [4]. Quatorze employés reçurent, par irradiation externe, une dose supérieure à la limite maximale admissible à cette époque (30 mSv), le maximum reçu étant 50 mSv. Les doses à la thyroïde, pour les employés et le public sous le vent, furent de quelques dizaines de millisieverts (40 mSv pour les enfants), et jusqu’à 160 mSv pour les enfants ayant consommé du lait contaminé. Les études statistiques menées jusqu’en 1991 ne montrèrent pas d’impact sanitaire significatif [3].

Enfin, l’accident de Goiânia (1957, Brésil) résulte de l’abandon d’une source médicale au césium (50,9 TBq de césium 137) suite à la fermeture d’un hôpital. Récupérée par des ferrailleurs et ouverte, elle mena à une contamination massive de leur famille et proches, notamment des enfants. Environ 250 personnes furent contaminées, et plusieurs dizaines furent victimes d’un syndrome d’irradiation aigüe. Quatre décédèrent [5, 6].

Niveau 4. Selon les décomptes et les reclassements, moins de dix accidents de niveau 4 ont été recensés dans le monde, dont deux en France. Ces derniers se sont produits sur les réacteurs A1 (1969) et A2 (1980) de la centrale de Saint-Laurent sur la Loire (filière dite graphite-gaz). Dans les deux cas, une perte de refroidissement a conduit à la fusion d’une partie du cœur, conduisant à des rejets significatifs de radioactivité dans l’environnement. Les doses à la population sont restées minimes et aucun impact sanitaire n’est attendu.

Niveau 3. On recense quelques dizaines d’incidents de niveau 3 dans le monde en incluant les accidents radiologiques (gammagraphie), dont quatre en France. Le dernier s’est produit en 2008 avec un irradiateur industriel de gammagraphie, où un travailleur a été exposé à une source de cobalt 60, accidentellement tombée hors de sa protection radiologique suite à une mauvaise manipulation [7].

Niveau 2. En France, l’incident de niveau 2 le plus médiatisé est probablement l’inondation de la centrale du Blayais pendant la tempête Martin du 27 décembre 1999, qui a mené à la perte des sources d’alimentation électrique auxiliaires sur les quatre tranches du site, du réseau électrique sur les tranches 2 et 4, et de deux systèmes importants pour la sûreté (RIS – injection de sécurité – et EAS – aspersion de l’enceinte). Le 5 janvier 2000, le journal Sud Ouest titre « Le scénario catastrophe a été évité de justesse », déclenchant un « raz-de marée médiatique » (Sud Ouest, 6 janvier 2000), même si l’Autorité de sureté nucléaire « considère cependant qu’à aucun moment la situation n’a été menaçante, plusieurs lignes de défense étant toujours restées disponibles » [8, 9].

Sur la période 2016-2021, onze événements de niveau 2 ont été déclarés en France dans des installations nucléaires de base (et cinq pour le nucléaire de proximité), essentiellement liés à des événements affectant la défense en profondeur, et génériques sur le parc [10].

Niveau 0 – Niveau 1. Le bilan ASN 2021 fait état d’environ 1 000 événements de niveau 0 déclarés chaque année, et d’une centaine d’événements de niveau 1. Ces nombres sont globalement stables sur les dernières années [10].

Références
1 | Akleyev AV et al., “Consequences of the radiation accident at the Mayak production association in 1957 (the ‘Kyshtym Accident’)”, Journal of Radiological Protection, 2017, 33 :R19.
2 | Barré B, « Retour d’expérience sur les accidents nucléaires », Encyclopédie de l’énergie, 2015.
3 | Duco J, « Accidents nucléaires : Windscale (RoyaumeUni) », Techniques de l’ingénieur, 2003.
4 | Martin JJ, Doury A, « Étude des conséquences de l’accident de Windscale (octobre 1957) et de la validité du modèle mathématique de diffusion atmosphérique de Sutton », rapport CEA n° 1538, 1960. Sur osti.gov
5 | The radiological incident in Goiania, IAEA, 1988.
6 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Les accidents dus aux rayonnements ionisants : le bilan sur un demi-siècle », rapport, 15 février 2007. Sur irsn.fr
7 | Autorité de sûreté nucléaire, « Accident d’irradiation d’un travailleur au sein de l’établissement de l’Onera de Toulouse », actualité, 18 mars 2008. Sur asn.fr
8 | Mangeon M, « Conception et évolution du régime français de régulation de la sûreté nucléaire (1945-2017) à la lumière de ses instruments : une approche par le travail de régulation », thèse de doctorat, 2018.
9 | Autorité de sûreté nucléaire, « Incident sur le site du Blayais », communiqué de presse n° 9, 5 janvier 2000. Sur asn.fr
10 | Autorité de sûreté nucléaire, « La sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2021 », rapport, 16 mai 2022. Sur asn.fr

Limites et critiques de l’échelle INES

Le déploiement de l’échelle INES dans le cadre de la communication sur les accidents et événements nucléaires ne s’est pas fait sans interrogations ni critiques, notamment en ce qui concerne les « incidents » (niveaux de 1 à 3).

Ainsi, en 1996, l’ASN consacrait un dossier de sa revue Contrôle [19] à la communication sur les incidents nucléaires et à ses limites. L’utilisation internationale de l’échelle INES y est soulignée comme un aspect positif. Mais si l’échelle est internationale, la politique de communication reste de la responsabilité de chaque pays et peut ne pas être uniforme, rendant les comparaisons internationales sur la base des déclarations INES délicates, notamment pour les bas niveaux (0 à 2). Par exemple, l’agence américaine de régulation (NRC) ne requiert pas l’utilisation de l’échelle INES, et ne transmet à l’AIEA que les événements de niveau 2 ou plus, et ceux « pouvant susciter l’intérêt du public à l’international ». Autre exemple, l’AFCN (agence de contrôle belge) publie sur les douze derniers mois un événement de niveau 2 (radioprotection, gammagraphie industrielle) et cinq de niveau 1 [20], contre une centaine en France. De même, la NNSA (agence chinoise) déclare 28 niveau 0 (environ un millier en France) et un seul niveau 1 (en 2020 [21]). Comparer ces chiffres pour en tirer des conclusions sur la différence de sureté nucléaire entre pays serait évidemment périlleux.

De plus, il n’existe pas de base de données internationale à accès public recensant les événements. Ainsi, la base NEWS de l’AIEA [22] recense essentiellement des événements de radioprotection, et uniquement sur douze mois glissants. Même si des initiatives visant à pallier ces insuffisances apparaissent [23], la révolution « données ouvertes » (open data) n’a pas encore eu lieu dans ce domaine et beaucoup reste à faire, même en France, pour rendre exploitables ces informations.

L’Effroi, Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)

Dans le dossier de la revue Contrôle évoqué plus haut, il est noté que l’analyse multicritères menant au classement d’un événement était devenue complexe et pouvait être longue, contrevenant aux exigences de communication rapide en situation de crise vers le public et les médias, tout particulièrement pour les événements de faible importance. L’accident de Fukushima, où le classement INES par la Nisa (agence de sûreté japonaise) a évolué d’un niveau 3 le jour de l’accident (11 mars 2011) à 5 le 18 mars, puis enfin 7 le 12 avril, montre de même la difficulté de communiquer sur un accident majeur et évolutif [24].

Insistons enfin sur un point important : l’échelle INES est conçue pour être un support de communication rapide des conséquences d’événements auprès du public, événements essentiellement recueillis dans le cadre d’une démarche d’amélioration continue de la sûreté et de la radioprotection. Cette démarche déclarative permet aux autorités de s’assurer de la bonne prise en compte des événements par les exploitants, et d’en partager le retour d’expérience. Le classement des événements (écarts, incidents, accidents) sur l’échelle INES, leur nombre et les évolutions dans le temps ne sont pas des indicateurs suffisants du niveau de sûreté d’une installation ou d’un parc nucléaire, même s’ils participent à la détection de signaux faibles. Ce niveau de sûreté est déterminé principalement sur la base du contrôle exercé par l’Autorité de sûreté, par la qualité du dialogue technique, et par la responsabilisation des exploitants. Ainsi, il est insuffisant de considérer que la sûreté s’améliore (ou se dégrade !) en se basant sur la seule quantification des événements déclarés. C’est toutefois une dérive commune, souvent partagée aussi bien par les opposants au nucléaire que par les partisans de cette énergie ou les exploitants nucléaires.

La déclaration d’événements significatifs en pratique

En France, la déclaration par le responsable d’une activité nucléaire (exploitant d’une installation nucléaire de base [INB 1], hôpital, radiologue, industriel…) auprès des autorités administratives et de l’Autorité de sûreté nucléaire des événements significatifs à caractère radiologique est une obligation légale (article L1333-13 du Code de la santé publique). Les installations et activités nucléaires intéressant la défense relèvent d’une réglementation spécifique. Les modalités pratiques de cette déclaration sont déclinées dans divers guides de l’ASN, selon que cet événement survient dans une INB [25] ou lors d’un transport, ou encore concerne la radioprotection.

Le guide consacré aux installations nucléaires précise les objectifs du processus de déclaration :

  1. partager le retour d’expérience ;
  2. permettre aux autorités d’analyser de façon indépendante de l’exploitant les événements, les processus de retour d’expérience et de détection et d’analyse des événements ;
  3. informer le public des événements survenus dans les installations nucléaires.

Il détaille des critères de déclaration des événements dits « significatifs », qui doivent être portés « sans délai » à la connaissance de l’Autorité de sûreté nucléaire (en pratique, hors situation d’urgence, la déclaration doit être faite dans les 48 heures suivant la détection). Cette déclaration doit être effectuée même en l’absence des premiers résultats des investigations menées en vue de déterminer les circonstances de l’événement survenu, ce qui est parfois difficile pour l’exploitant, les conséquences avérées ou potentielles étant alors délicates à quantifier.

La Récolte, August Macke (1887-1914)

Toute déclaration doit s’accompagner d’une proposition par l’exploitant d’un classement selon l’échelle INES, proposition qui peut être retenue ou amendée par l’ASN. Dans tous les cas, l’autorité de sûreté est seule responsable du classement final. Il est à noter qu’une inspection, interne ou externe, peut mener à demander à l’exploitant de déclarer un événement, et que, à l’inverse, une déclaration peut déclencher une inspection réactive. En fonction du niveau de classement retenu, une information au public est faite : tous les événements de niveau 1 sont publiés sur le site internet de l’ASN [26], et les événements de niveau 2 et plus font systématiquement l’objet d’un communiqué de presse et d’une information de l’AIEA. Dans tous les cas, et pour tous les événements, un compte rendu d’événement significatif (CRES) doit être établi par l’exploitant dans les deux mois selon une trame standard. Ce CRES va préciser le contexte de l’événement, les modalités de détection, l’analyse des causes, les conséquences réelles et potentielles, les mesures correctives prises et les enseignements à en retirer au titre du retour d’expérience.

Tous ces différents guides, manuels et trames types visent à standardiser et expliciter les modalités de déclaration. Toutefois, et notamment pour les niveaux les plus faibles (0 ou 1) qui représentent la quasi-totalité des déclarations, une part d’interprétation et de subjectivité subsiste nécessairement ; elle est même actée par le critère de déclaration n° 10 : « Tout autre événement susceptible d’affecter la sûreté de l’installation jugé significatif par l’exploitant ou par l’Autorité de sûreté nucléaire. »

Si cette part d’interprétation reste dans la tradition du dialogue technique continu entre exploitants, autorité et experts, caractéristique du mode de régulation des risques nucléaires en France (mode de régulation appelé « French cooking » outre-Atlantique [27]), cela reste parfois encore difficilement compréhensible par le grand public et fait l’objet de critiques par des opposants à l’industrie nucléaire [28]. À tout le moins, l’échelle INES permet de disposer d’un cadre partagé de dialogue et de controverse entre public, médias et industrie nucléaire, ce qui après tout était le but initialement recherché.

Références


1 | Autorité de sûreté nucléaire, « Rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2021 », 16 mai 2022. Sur asn.fr
2 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island (USA) en 1979 », mars 2019. Sur irsn.fr
3 | Bertin M, « Conséquences sanitaires de l’accident de Three Mile Island », Radioprotection, 1980, 15 :89-91.
4 | Société française d’énergie nucléaire, « Les enseignements de l’accident nucléaire de Three Mile Island », synthèse, avril 2021. Sur sfen.org
5 | Topçu S, « Nucléaire : de l’engagement “savant” aux contre-expertises associatives », Natures Sciences Sociétés, 2006, 14 :249-56.
6 | « Nous appelons la population à refuser l’installation des centrales nucléaires », déclaration de quatre cents scientifiques, Le Monde, 11 février 1975. Sur lemonde.fr
7 | Bréon FM, « Le nuage de Tchernobyl qui s’arrête à la frontière : une fable sans cesse réitérée », SPS n° 335, mars 2021. Sur afis.org
8 | Foasso C, « Histoire de la sureté de l’énergie nucléaire civile en France (1945-2000) : technique d’ingénieur, processus d’expertise, question de société », thèse de doctorat, 2003.
9 | « Décret n° 87-137 du 2 mars 1987 relatif au conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaire », Légifrance, 3 Mars 1987. Sur legifrance.gouv.fr
10 | « Création d’une échelle d’évaluation des accidents nucléaires : de 1 (anomalie) à 6 (Tchernobyl) », Le Monde, 14 janvier 1988. Sur lemonde.fr
11 | Conseil national de la sûreté et de l’information nucléaires, « Présentation de l’échelle de gravité des incidents et accidents dans les réacteurs nucléaires », communiqué, 20 avril 1988. Sur iaea.org
12 | Schmitt P, « La saga politique, administrative, juridique et médiatique de l’arrêt de la centrale de Creys Malville », Envol, 2013. Sur calameo.com
13 | Agence internationale de l’énergie atomique, « Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (INES) », ressources d’informations Nucleus, 2022. Sur iaea.org
14 | Autorité de sûreté nucléaire, « Les échelles de classement des incidents et accidents nucléaires et des événements en radioprotection », septembre 2021. Sur asn.fr
15 | Autorité de sûreté nucléaire, « Échelle ASN/SFRO en radiothérapie : après une année d’expérimentation, l’ASN et la SFRO réalisent le bilan de son utilisation et présentent l’échelle révisée », juillet 2008. Sur asn.fr
16 | Autorité de sûreté nucléaire, « Échelle INES de classement des incidents et accidents nucléaires », 2013. Sur asn.fr
17 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « L’échelle INES : les critères de classement ». Sur irsn.fr
18 | Agence internationale de l’énergie atomique, « INES : échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques », manuel de l’utilisateur, 2008. Sur iaea.fr
19 | Autorité de sûreté nucléaire, « La communication sur les incidents nucléaires », Contrôle, 30 septembre 1996. Sur asn.fr
20 | Agence fédérale de contrôle nucléaire, « Événements classés sur l’échelle INES en Belgique durant les 12 derniers mois », 17 octobre 2022. Sur afcn.be
21 | National Nuclear Safety Administration, “The People’s Republic of China”, Annual report, 2020. Sur mee.gov.cn
22 | Site des news de l’IAEA. Sur news.iaea.org
23 | Ayoub A et al., « The ETH Zurich curated nuclear events database : Layout, event classification, and analysis of contributing factors », Reliability Engineering & System Safety, 2021, 213 :107781.
24 | Kermisch C, “Questioning the INES scale after the Fukushima Daiichi accident”, Ethics, Policy & Environment, 2011, 14 :279-83.
25 | Autorité de sûreté nucléaire, « Guide relatif aux modalités de déclaration et à la codification des critères relatifs aux événements significatifs impliquant la sûreté, la radioprotection ou l’environnement applicable aux installations nucléaires de base et aux transports de matières radioactives », 2017. Sur asn.fr
26 | Autorité de sûreté nucléaire, « Actualités du contrôle », novembre 2022. Sur asn.fr
27 | Rolina G, « Les institutions françaises de la sûreté nucléaire : un point de vue historique et ethnographique », Regards sur l’actualité : mensuel de la vie publique en France, 2012, 373 :55-67.
28 | « Echelle INES : communication ou escroquerie ? », Sortir du nucléaire, novembre 2008. Sur sortirdunucleaire.org

1 « Installations qui, de par leur nature ou en raison de la quantité ou de l’activité des substances radioactives qu’elles contiennent, sont soumises à des dispositions particulières en vue de protéger les personnes et l’environnement »(site de l’ASN). Exemples : réacteurs nucléaires, laboratoires, usines du cycle du combustible, installations d’entreposage ou de stockage des déchets, accélérateurs de particules, irradiateurs…